La Presse Anarchiste

Correspondance

[(

À
pro­pos des remarques sur « André Prud­hom­meaux traducteur
des poètes », publiées dans notre « Hommage
au miracle hon­grois », Jean Rous­se­lot, dont je men­tion­nais la
ver­sion de l’«Ode à Bela Bartók », m’a
adres­sé la lettre suivante :

)]

L’Etang-la-Ville,
le 11 avril 1957.

Cher
Monsieur,

Je
vous remer­cie d’avoir bien vou­lu citer mon adap­ta­tion de l’Ode
à Bela Bartók
parue dans le numé­ro spécial
des Temps modernes, et suis heu­reux qu’elle vous ait paru
trans­mettre fidè­le­ment l’original. Mais je tiens à
pré­ci­ser que cette adap­ta­tion n’est pas « détechnisée ».
Elle épouse, au contraire, la forme du poème de mon ami
Illyès : vers tan­tôt régu­liers, tantôt
libres, et asso­nan­cés pour la plu­part. En vérité
 — et je me suis maintes fois expli­qué là-dessus,
notam­ment dans mon livre sur Edgar Poë, dans ma « Note sur
la tra­duc­tion de la poé­sie et des poètes hon­grois en
par­ti­cu­lier », parue dans les cahiers « France-Hongrie »,
et dans mon livre sur Atti­la Joz­sef, sous presse aux Editions
Deshers — je tiens qu’on ne sau­rait don­ner une trans­crip­tion (je
ne dis pas « tra­duc­tion », car on ne peut tra­duire vraiment
la poé­sie) d’un poème, sans entrer dans le détail
tech­nique de son éla­bo­ra­tion. Des équi­va­lences — le
rythme, la rime, l’allitération, etc. — peuvent et doivent
être trou­vées. Cela demande non seule­ment un énorme
et patient tra­vail, mais aus­si un effort d’identification à
la pen­sée, à la démarche même du poète.
Je suis reve­nu sur ce sujet dans une étude consacrée
aux son­nets de Sha­kes­peare parue dans les « Cahiers de la
Com­pa­gnie Made­leine Renaud, Jean-Louis Bar­rault ». J’y
rejoi­gnais, au fond, la pen­sée que vous expri­mez sur les
tra­duc­tions de Jouve, qui a cru pou­voir tra­duire en prose, en prose
jou­vienne, des poèmes très stric­te­ment écrits en
vers, avec la rigueur, la musique et la part de hasard et de brume
que cela sup­pose. Ceci n’enlevant d’ailleurs rien à
l’admiration que j’ai pour Jouve, notre plus grand poète
vivant avec St John Perse et Rever­dy. Au fait, dis­cu­tant ici votre
juge­ment et, là, le trou­vant juste, je vous mets en
contra­dic­tion avec vous-même ! Ce n’est pas pour ce malin
plai­sir que je vous ai écrit, croyez-le bien… Mais parce que
j’attache beau­coup d’importance à votre revue, à
vos notes, même si je ne suis pas tou­jours d’accord avec
vous. Je vou­drais bien avoir votre numé­ro sur les Hongrois.
Tout ce qui les touche m’est cher. J’étais par­mi eux en
octobre, quatre jours avant l’insurrection. Depuis lors, Illyès
et les autres n’ont guère quit­té ma pen­sée de
poète et d’amant de la vérité.

À
vous bien cordialement.

Jean
Rousselot

L’« Hom­mage
des poètes fran­çais aux poètes hongrois »
paru chez Deshers méri­te­rait bien un écho dans votre
cou­ra­geuse revue [[Nous n’y man­que­rons pas. (S.)]]

La Presse Anarchiste