La Presse Anarchiste

Périodiques

En
post-scrip­tum à la lettre de Silone par laquelle débute
ce cahier, j’ai déjà men­tion­né le numéro
du mai de Volon­tà et, dans ce dit post-scrip­tum, on a
pu lire un pas­sage d’une autre lettre de Silone adres­sée à
Jeanne Ber­ne­ri. Volon­tà publie en effet dans le numéro
en ques­tion, sous le titre « Conver­sa­zione fra ami­ci », un
échange de lettres entre Jeanne Ber­ne­ri, Silone et Cesare
Zac­ca­ria, sur le thème du « dia­logue ». Le lecteur
fami­lier de l’italien pren­dra connais­sance avec pro­fit de cet
échange de vues où l’honnêteté de
l’esprit le dis­pute à la droi­ture du cœur.

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Tout
comme Fon­tol dans son « Billet à Ursule » je tiens à
signa­ler ici le remar­quable article de Lüthy sur « Bertolt
Brecht et l’avant-garde de gauche » (Preuves, mai 57).
Je sous­cris aux réserves de Fon­tol. N’empêche, le
texte de Luthy, qui ne se fait aucune illu­sion sur le caractère
de Brecht, vaut d’être lu, pour la façon dont il met
en lumière le para­doxe selon lequel l’écrivain que
l’on peut consi­dé­rer comme le seul poète (?) de l’ère
sta­li­nienne n’a été publié en éditions
authen­tiques et repré­sen­té sur scène que de ce
côté-ci du rideau de fer. Mal­gré l’inauthenticité
du per­son­nage et de l’œuvre, il faut croire que celle-ci était
encore trop vraie (tout est rela­tif) pour être admise dans
l’empire rouge.

Ce
même numé­ro de mai de Preuves mérite
éga­le­ment d’être signa­lé pour les « Souvenirs
d’enfance » de Kwame N’Krumah (pre­mier chef du gouvernement
indé­pen­dant du Gha­na), et l’étude de Richard Wright
inti­tu­lée « De la Côte de l’Or au Ghana» ;
en revanche, « L’œil noir de l’Afrique », de Laurens
van der Post, s’il s’y exprime une louable volon­té de
com­pré­hen­sion du conti­nent noir, souffre, peut-il sembler,
d’une si grande inféo­da­tion aux méthodes du
psy­cho­logue C. G. Jung, que le texte finit, par moments, par être
plus dif­fi­cile à com­prendre que l’âme la plus exotique
d’un indigène.

Ega­le­ment
dans Preuves (juin): Tibor Dery « Sous le signe du chien »
(frag­ments du chef‑d’œuvre du grand écri­vain hon­grois que
le hon­teux gou­ver­ne­ment de Kadar a eu l’impudeur de jeter en
pri­son) et un curieux essai de Dio­ni­so Ridrue­jo, ex-franquiste
dégoû­té de la dic­ta­ture : « Les vainqueurs
sont des vain­cu ». L’apport le plus pas­sion­nant de ce numéro
de juin est peut-être son sup­plé­ment, « Quelques
aspects de l’intégration euro­péenne », de
Vla­di­mir Dedi­jer, l’ami (encore tolé­ré par Tito) de
Dji­las. Sur la poli­tique inter­na­tio­nale, les vues, très
conformes à la ligne you­go­slave, de ce texte appellent, par
leur « neu­tra­lisme », des réserves ; mais l’analyse
de la situa­tion inté­rieure russe et de l’impérialisme
sta­li­nien a cette puis­sance de véri­té propre aux
témoi­gnages de ceux qui parlent de ce qu’ils n’ont dû
que trop éprou­ver dans leur propre chair.

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Le
numé­ro 12 de Saturne, auquel nous sommes obligeamment
auto­ri­sés à emprun­ter les pages de Jelens­ki sur « La
Pologne de Gomul­ka » (à paraître dans notre n°
18), pré­sente les qua­li­tés de sérieux et la
richesse d’information qui sont cou­tu­mières dans ce
remar­quable organe de la « Com­mis­sion inter­na­tio­nale contre le
régime concen­tra­tion­naire ». À l’article de
Jelens­ki se joignent ceux de Paul Bar­ton et de P. Bonuz­zi, également
sur la Pologne. Non moins remar­quables, d’autre part, les textes
sur l’Algérie (Louis Mar­tin-Chauf­fier et Théo
Ber­nard) et ceux qui ont pour titre « Révo­lu­tion et
contre-révo­lu­tion en Chine » (David Rous­set, Pierre
Mon­ta­der, Léon Trivière).

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Nou­velle
revue qui n’en est encore qu’à son second numéro,
le Contrat social (Ins­ti­tut d’histoire sociale, Paris)
apporte sur les pro­blèmes de notre trouble époque des
études d’une haute tenue et, pour la plu­part, du plus vif
inté­rêt. Très curieuses, entre autres, dans le
numé­ro 1, les « Pages oubliées » d’un
cer­tain Michel Che­va­lier, inti­tu­lées « Le pre­mier peuple
du monde », et tirées des « Lettres sur l’Amérique
du Nord » (deux volumes parus… en 1836 !).

Per­son­nel­le­ment,
j’ai été par­ti­cu­liè­re­ment rete­nu par deux
textes du numé­ro 2 : la pre­mière par­tie d’une étude
de N. Valen­ti­nov sur « Tcher­ny­chevs­ki et Lénine »,
qui fait sai­sir sur le vif la genèse on ne peut moins marxiste
des convic­tions de Wla­di­mir Illitch — et, d’autre part une
chro­nique (non signée) inti­tu­lée « Sur­vie de Georg
Lukacs ». On sait qu’il est de bon ton dans les milieux
intel­lec­tuels de gauche fran­çais (mon ami Lucien Gold­mann a
beau­coup contri­bué, en toute bonne foi d’ailleurs, au
triomphe de la légende) de se confondre en res­pect, à
pro­pos de Lukacz, devant « le seul vrai mar­xiste vivant ».
Vivant, qu’il le soit encore (la clique de Kadar s’apprête,
paraît-il, non point à le liqui­der, mais à
l’utiliser) — oui, qu’il soit encore vivant, tant mieux. Nous
ne deman­dons ici la mort de per­sonne. Mais la chro­nique à
laquelle je fais allu­sion a cet immense mérite de dénoncer
sans ména­ge­ments l’abracadabrante cab­ba­lis­tique de la pensée
de Lukacs : si Brecht fut le seul « poète » de l’ère
sta­li­nienne, tout, chez le « pen­seur » hon­grois, peut
encore à bien plus juste titre être défi­ni comme
la seule « phi­lo­so­phie » qu’ait méri­tée le
régime de feu le génial Père des Peuples.

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Est-il
besoin de le dire ? Pas ques­tion, ici, de nour­rir la moindre
com­plai­sance pour la ter­reur, « aus­si mépri­sable à
Alger qu’à Buda­pest », a dit Camus. Cela posé,
on n’en est que plus à l’aise pour décla­rer qu’on
ne marche pas, quand Sartre, dans « Vous êtes formidables »
(Temps modernes, mai 57), tout en nous recom­man­dant — et, il
a bien rai­son — de lire la bro­chure « Des rappelés
témoignent » (édi­tée par le Comité
Résis­tance spi­ri­tuelle, 14 ter, rue du Lan­dy, Cli­chy, Seine),
s’avise de construire une « res­pon­sa­bi­li­té collective »
fran­çaise, quant à tout ce qui se passe là-bas :
«… les crimes que l’on com­met en notre nom, écrit-il,
il faut bien que nous en soyons per­son­nel­le­ment com­plices puisqu’il
reste en notre pou­voir de les arrê­ter. » Entendons-nous,
que beau­coup d’actes com­mis dans cette déplo­rable tragédie
afri­caine sont des crimes, il n’est pas ques­tion de le contester
(qu’ils soient com­mis par les uns ou par les autres). Mais qu’il
soit en notre pou­voir de les arrê­ter ? Parce que nous votons ? Je
ne savais pas Sartre si confiant dans notre démo­cra­tie. La
« res­pon­sa­bi­li­té col­lec­tive » de tous les Allemands
en bloc, au temps d’Hitler, m’a tou­jours paru une infâme
stu­pi­di­té. En construire une autre, une fran­çaise, ce
n’est pas plus équi­table, ni plus intel­li­gent. Ou alors, le
brave Arabe, éga­le­ment emm… par les colons et par le
chan­tage du FLN, mais qui s’abstient de dénon­cer ce qu’il
peut connaître des inten­tions de celui-ci, est aussi
« res­pon­sable col­lec­tif », et le para qui le zigouille
pour­ra dire qu’il est jus­ti­fié. Poser le pro­blème en
ces termes-là, c’est se condam­ner à ne plus sortir
d’un cercle de vio­lence et de sang.

S.

La Presse Anarchiste