La Presse Anarchiste

Mouvement social

PARIS.
Cette semaine a été féconde en incidents
ins­truc­tifs, aus­si n’au­rons-nous que peu de lignes à consacrer
à cha­cun d’eux.

C’est d’a­bord le congrès
des mineurs. On s’y est occu­pé d’un pro­jet de M. Lewy, relatif
à la ques­tion de la sur­pro­duc­tion et ten­dant à faire
rele­ver le prix du char­bon par une régle­men­ta­tion nouvelle
dimi­nuant le nombre des heures de tra­vail. Sui­vant ce pro­jet, il
s’a­gi­rait d’é­ta­blir, entre mineurs, une entente
inter­na­tio­nale, en vue de réduire, à titre d’es­sai, le
tra­vail à quatre jour­nées de huit heures par semaine,
les­quelles seraient d’ailleurs payées comme cinq. De cette
façon, dit-on, on évi­te­ra la for­ma­tion des stocks, si
contraire à l’in­té­rêt des ouvriers aus­si bien que
des patrons.

Ce pro­jet, dont
l’exé­cu­tion serait l’ap­pli­ca­tion d’un des saints axiomes de
l’é­co­no­mie poli­tique, n’est cepen­dant qu’un trompe-l’œil.

D’a­bord, pour que
l’en­tente se fit aus­si faci­le­ment qu’on semble le croire entre
patrons et ouvriers mineurs, il fau­drait que la for­ma­tion de ces
stocks de mar­chan­dises fût effec­ti­ve­ment préjudiciable
aux patrons. Ce qui est loin d’être démon­tré. Le
patron peut, en effet, lors­qu’il lui plaît, ralen­tir à
son gré la pro­duc­tion, soit en ren­voyant des ouvriers, soit en
dimi­nuant le nombre des heures de tra­vail, ou, encore, compenser
l’a­bais­se­ment du prix du char­bon par celui de la main-d’œuvre. D’un
autre côté, cette réserve de mar­chan­dises lui
per­met, en cas de grève, de satis­faire aux demandes de sa
clien­tèle, et, de venir à bout, dans une certaine
mesure, de la résis­tance de ses ouvriers. Le patron a cent
moyens de pal­lier les incon­vé­nients de la surproduction ;
l’ou­vrier n’en a qu’un la grève, c’est-à-dire une
aggra­va­tion de misère.

Il ne paraît donc
pas si évident que les patrons se ral­lient bénévolement
au sys­tème pro­po­sé. Leur adhé­sion, toutefois,
est secon­daire, car, devant la volon­té bien arrêtée
de leurs ouvriers, ils ne pour­raient que céder.

Mais encore faudrait-il
que les mineurs fussent assu­rés, par l’ap­pli­ca­tion de ce
pro­jet, d’une amé­lio­ra­tion de leur condi­tion. Est-ce bien à
eux, en effet, que pro­fi­te­ra l’é­lé­va­tion du prix du
char­bon ? Le patron, qui paie à ses ouvriers un salaire
fixe de tant par heure, aug­men­te­ra-t-il ce salaire en pro­por­tion de
cette élé­va­tion ? Rien n’est moins prouvé.
Je sais bien que le pro­jet de M. Lewy ajoute comme condi­tion la
par­ti­ci­pa­tion aux béné­fices. Mais ce pal­lia­tif, ainsi
que nous l’a­vons maintes fois démon­tré autre­fois, est
encore un leurre. Il incite, en effet, l’ou­vrier à augmenter
les béné­fices de son patron par une pro­duc­tion plus
active et tend fina­le­ment à pro­duire l’en­com­bre­ment des
pro­duits, ce que, pré­ci­sé­ment, on vou­lait éviter.

Quoi qu’il en soit,
quelle preuve écla­tante cette ques­tion de la sur­pro­duc­tion ne
four­nit-elle pas de l’ab­sur­di­té de l’or­ga­ni­sa­tion sociale
actuelle, dans laquelle la sur­abon­dance de richesses est un mal, une
cause de famine pour ceux qui les pro­duisent, et pousse ceux-ci à
affa­mer la masse des consom­ma­teurs pour se garer eux-mêmes de
la misère ? Tan­dis que, dans une société
com­mu­niste, l’a­bon­dance des biens aurait pour effet une augmentation
du bien-être pour tous.

O

Le ministre du Commerce
a, paraît-il, convié les artistes du théâtre
de l’Œuvre — QUI ONT
ACCEPTÉ ! — deux repré­sen­ta­tions de gala
aux­quelles assis­te­ront le « corps diplomatique »
et « la haute aris­to­cra­tie financière ».
Cette nou­velle nous attriste. Il est pénible, en effet, de
pen­ser que les si fidèles inter­prètes de l’indompté
Ibsen vont para­der devant les incom­pré­hen­sives badernes et les
for­bans de la Bourse et de la poli­tique, et faire précieusement
ondoyer en des pâmoi­sons de com­mande toute la char­nure étalée
des pécores du grand monde.

Non ! il est des
lieux où l’Art ne se com­met pas !

O

Un ser­gent du 154e
de ligne s’est tué d’un coup de fusil dans sa chambrée.
Les jour­naux ajoutent qu’on ignore la cause de ce sui­cide. La cause ?
Sans doute, un trop grand amour pour le « noble métier
des armes ».

O

L’Intran­si­geant a
publié des révé­la­tions très intéressantes
sur les tor­tures infli­gées aux « joyeux »
et aux « zéphyrs » en Afrique. La place
nous manque pour en par­ler, mais nous y revien­drons dans notre
pro­chain numéro.

André Girard

La Presse Anarchiste