La Presse Anarchiste

L’antisémitisme (2)

[[Voir le numé­ro 5 du 1er juin.]]

Lors­qu’on inau­gu­ra chez
nous les che­mins de fer : « Ah ! s’écria
mon grand-père, les pauvres che­vaux vont avoir du bon temps !
C’é­tait pitié de les voir mon­ter la côte sous les
coups de fouet des conduc­teurs. À bas le fouet ! »

Quelques années
plus tard, mon grand-père tra­ver­sait la grande place où
sta­tion­naient des fiacres.

Un voya­geur se précipite
dans un sapin et lance au cocher :

 — Vite, à la
gare, vous aurez un bon pourboire !

 — Hue !…

Et le cocher enlève
sa rosse d’un magis­tral coup de fouet.


Aïe ! gémit grand-père, les coups de fouet
sub­sistent quand même. Avant, c’é­tait pour mon­ter la
côte, main­te­nant, c’est pour arri­ver à la gare :
les pauvres bêtes n’ont rien gagné !

O

Sous la monarchie
abso­lue, sous la puis­sance des­po­tique du cler­gé, les juifs
met­taient leur espoir en un chan­ge­ment de gou­ver­ne­ment : les
per­sé­cu­tions, pen­saient-ils, dis­pa­raî­traient avec un
gou­ver­ne­ment, et les attaques ces­se­raient avec les préjugés
qui les fai­saient naître : vain espoir ! La
Répu­blique a rem­pla­cé la monar­chie, et les coups de
fouet pleuvent tou­jours… on ne dit plus « sale juif »
pour gagner son âme, mais pour gagner sa bourse, et cela
revient au même pour les vic­times. En somme, leurs déceptions
sont une preuve de plus que la ques­tion sociale ne peut être
réso­lue par un chan­ge­ment dans la forme de l’autorité,
par un vire­ment. d’in­di­vi­dus plus ou moins humains. Tant que les
inté­rêts de l’hu­ma­ni­té entière ne seront
pas uni­fiés, tant que le fort, au nom de sa force, prendra
tout pour lui seul, que ce soit sous un titre ou sous un autre, rien
ne sera chan­gé, et les solu­tions qu’on nous pro­pose ne sont
que des mirages.

 — Émigrons !
crient les uns, en nous mon­trant les pays vastes et libres où
pous­se­rait bien­tôt une flo­ris­sante République
israélite…

Comme nous le disons
plus haut, nous ne par­ta­geons point cet enthou­siasme pour un
demi-remède qui ne ferait que trans­plan­ter sur un autre point
du globe la ques­tion sociale ; mais nous ne vou­lons pas
décou­ra­ger ces jeunes dont beau­coup déploient tout leur
zèle et leur intel­li­gence à la réus­site de ce
plan. Nous leur sou­hai­tons bon cou­rage, en espé­rant qu’ils
déve­lop­pe­ront là-bas les idées huma­ni­taires pour
les­quelles nous luttons.

D’autres, per­dant la
tête, déclarent que la race juive sera tou­jours le bouc
émis­saire. Et en même temps, ils s’in­dignent de ce qu’on
ne répond pas à chaque nou­velle attaque des
anti­sé­mites : « Ripos­tez donc ! »
crient-ils.

Mais à quoi bon ?
Faut-il encore répé­ter que votre cause se confond dans
la ques­tion sociale, et que, dès que celle-ci sera résolue,
il n’y aura plus de ques­tion juive.

Pour­quoi, dès
lors, s’en­ga­ger dans des polé­miques avec les antisémites
qui, lors­qu’ils seront à court d’ar­gu­ments, en trouveront
d’in­faillibles dans ces épi­thètes : « sale
juif, youtre, échap­pé de ghet­to, etc., etc.?»

C’est abso­lu­ment comme
un vieux juif fana­tique qui vou­lait dis­cu­ter avec moi sur la
reli­gion, espé­rant me rame­ner à de meilleurs
sen­ti­ments. Au com­men­ce­ment, tout allait bien, il était
calme ; puis, devant mon insis­tance à récla­mer des
preuves pal­pables de l’exis­tence de Dieu, il s’é­cria hors de
lui :

 — Des preuves !
mais la sainte Bible en est rem­plie ! Dieu ne s’est-il pas
révé­lé aux pro­phètes ? N’a-t-il pas
par­lé à Moïse ? Car vous n’al­lez pas me faire
croire que Dieu n’a pas par­lé à Moïse…

Et comme j’es­quis­sais un
sourire :

 — Ne répondez
pas, mon­sieur, vous êtes un impie, un misé­rable, digne
de la colère de l’É­ter­nel et des maux qu’elle attire
sur notre nation!…

Et il conti­nua à
m’in­vec­ti­ver, triom­phant de mon silence même.

Non, non, ne per­dons pas
notre temps que nous pou­vons employer plus uti­le­ment en semant le
grain de la véri­té, là où il peut porter
des fruits.

O

La race juive, dit-on,
est une race essen­tiel­le­ment com­mer­çante et ne possède
pas de classe ouvrière.

D’a­bord, il faut
consi­dé­rer que toute autre car­rière que le commerce
étant fer­mée aux juifs, il leur fal­lut embrasser
celle-là pour vivre. Ensuite, voi­ci des chiffres pris au
hasard qui don­ne­ront une idée de leurs différents
moyens d’existence.

La ville de D… en
Rus­sie compte 100.000 habi­tants dont 80.000 juifs, sur lesquels
12.000 com­mer­çants, dont voi­ci les for­tunes approximatives :

8 sont millionnaires,

17 ont envi­ron 500.000 F

280 — 100.000 F

2000 — 30.000 F

et 9695 qui vivent au jour le jour, gagnant une année, per­dant l’autre.

En outre, vous avez
43.400 arti­sans, char­gés de nom­breuses familles et exerçant
tous les métiers : char­re­tiers, hommes de peine,
tailleurs, cor­don­niers, menui­siers, ouvriers et ouvrières dans
les fabriques d’al­lu­mettes, les savon­ne­ries, les car­ton­nages, etc. Il
y a aussi :

300 employés
gagnant de 100 à 250 F

2340 — 50 à 100 F

150 méde­cins, sages-femmes, avo­cats, répé­ti­teurs, pharmaciens,

1830 mar­chands ambu­lants, usu­riers, caba­re­tiers et gens sans profession.

Puis les ado­les­cents et
les enfants.


O ―

Concluez : cette
masse est-elle res­pon­sable pour une poi­gnée de capi­ta­listes et
doit-elle être sacri­fiée pour leurs crimes ?

Vox Popu­li

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