La Presse Anarchiste

Lectures

La
Chute,
le Requiem pour une nonne, le recueil de nouvelles
que nous sig­nalons ici, les textes actuels à plusieurs d’entre
lesquels nous avons emprun­té les quelques frag­ments ci-dessus,
les boulever­santes Réflex­ions sur la guil­lo­tine (Cal­mann)
enfin, aux­quelles nous nous réser­vons de revenir, voici, en
quelques mois, les ouvrages dont Camus vient de nous combler. Il y a
là une inten­sité de créa­tion — et d’une
créa­tion qui est en même temps témoignage —
d’autant mieux faite pour jus­ti­fi­er l’admiration, et l’amitié,
que nulle part dans ces œuvres la ver­tu d’écrire ne consent
à se com­plaire en elle-même, mais tou­jours, au
con­traire, demeure indé­fectible­ment au ser­vice de l’homme et
de la vérité.

Que
Camus se ras­sure : je n’ai pas l’intention de réduire
cette ver­tu d’écrire à la seule ver­tu, qui,
mal­heureuse­ment tient lieu de tal­ent à tel ou tel auteur bien
inten­tion­né. Il appa­raît même, en ce recueil de
nou­velles que con­stitue l’Exil et le Roy­aume, que la
légitime recherche d’une expres­sion bien décidée
à ne pas com­mod­é­ment tou­jours rester de plain-pied avec
nos préoc­cu­pa­tions courantes, peut entraîn­er notre ami à
des ten­ta­tives qui rejoignent, d’une façon dif­fi­cile à
définir mais cer­taine, le prob­lé­ma­tisme pro­pre à
l’art non fig­u­ratif. Cela appa­raît déjà, au
moins en sour­dine, dans le pre­mier de ces réc­its, la Femme
adultère,
plus net­te­ment dans Jonas (qui fait
songer au Chef‑d’œuvre incon­nu), surtout, enfin, dans le
René­gat,
d’une rigueur a peine sup­port­able dans
l’horrible.

Je
ne sais si je me trompe lour­de­ment, mais les textes que je viens de
nom­mer fig­urent « l’exil », il me semble —
l’évocation, pour repren­dre un titre de Jou­ve, du monde
désert.

Le
« roy­aume », au con­traire, c’est l’amitié
des hommes, fût elle comme dans l’Hôte — ces
pages peut être les plus fortes du livre — mise à
l’épreuve par l’absurde de cette tragédie
algéri­enne qui ne peut pas ne pas hanter à chaque
instant l’âme de l’Algérien qu’est Albert Camus.

Avec
l’Hôte, deux autres réc­its du recueil en
con­densent le plus acces­si­ble mes­sage : les Muets, d’un
si pro­fond, d’un si dis­cret amour des hum­bles, et le tout dernier,
La Pierre qui pousse. J’aurais honte à le résumer.
Qu’on sache seule­ment qu’en un loin­tain Brésil, un
« Blanc », tout étranger qu’il soit à
la naïve piété des indigènes, y accomplit
le vœu (porter une pierre sacrée) de l’un d’eux, trahi
par ses forces : même sans la foi, ce qui compte, c’est
la com­mu­nion — et l’amour.

J.
P. S.


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