La Presse Anarchiste

À propos d’un livre

Le lun­di 29 novembre, à
Paris, dans la salle des Socié­tés Savantes, le
pro­fes­seur Jau­rès a gagné une grand, victoire.
Contre une affaire de librai­rie, il a livré une bataille
épique et, grâce à sa qua­li­té de général
et de clai­ron du Par­ti socia­liste, il a pu sor­tir vain­queur. Une fois
de plus, le socia­lisme par­le­men­taire est triom­phant. Tant mieux pour
Jau­rès et pour le Parti.

Je n’en­vie nul­le­ment son
suc­cès. Si je m’ap­pe­lais Jau­rès. j’au­rais la modestie
que donne la pudeur de ne pas écra­ser un livre inspiré
des mêmes chi­mères qui récem­ment me pous­saient à
pro­mettre, dans un dis­cours reten­tis­sant. — un de ces dis­cours qui,
selon le pro­fes­seur Lapicque opèrent des changements ;
pour­quoi pas des révo­lu­tions aus­si ?
un pro­jet de loi devant conte­nir en germe et en for­mules juridiques
la socié­té future.

À
la place de Jau­rès, je son­ge­rais amè­re­ment à mon
insuf­fi­sance, puisque j’au­rais été inca­pable de tenir
une telle pro­messe, mal­gré la sono­ri­té et la fermeté
mise à l’an­non­cer, et je me dirais qu’a­près tout Pataud
et Pou­get ont eu le grave tort, comme moi, de jouer au prophète.
Je me dirais même qu’eux, du moins, n’ont rien pro­mis et qu’ils
ont livré au public un livre feuille­ton­nesque ayant le mérite
du genre.

Mais Jau­rès n’a
vou­lu voir l’er­reur des autres que pour mieux mas­quer la sienne.
C’est là sa pre­mière faute.

En cri­ti­quant un ouvrage
 — que bien des syn­di­ca­listes révo­lu­tion­naires estiment pour
le moins inutile, — l’o­ra­teur socia­liste a vou­lu mon­trer, malgré
une courte décla­ra­tion du début, que le livre de Pataud
et de Pou­get tra­dui­sait en action la révo­lu­tion syndicaliste
encore en germe dans les esprits ; il a vou­lu proclamer
l’in­ca­pa­ci­té du syn­di­ca­lisme à faire œuvre
révolutionnaire.

Tout autre me paraît
l’ob­jec­tif des per­son­na­li­tés qui, dans leur entière
liber­té, ont vou­lu sans doute écrire un roman que les
dames du grand monde liraient pour y res­sen­tir des émotions
leur fai­sant défaut. De là à conclure que ce
livre doit ser­vir d’élé­ment prin­ci­pal de juge­ment et de
cri­tique à l’é­gard d’un mou­ve­ment qu’on n’a cessé
de fla­gor­ner et de flat­ter, voi­là qui dépasse
l’en­ten­de­ment. Ce livre, citoyen Jau­rès, res­semble à
celui que publia à autre­fois votre ancien jour­nal, la Petite
Répu­blique
, sous la signa­ture de Bel­la­my, et il contient
autant de logique que celui de Zola, inti­tu­lé : Le
Tra­vail
, dont vous êtes l’admirateur.

O

La leçon du
pro­fes­seur Jau­rès est un étrange début
pour l’École
socia­liste
. Les quelques cama­rades qui par­ti­cipent à sa
marche me per­met­tront de le leur dire.

Qu’ils donne l’occasion
à une per­son­na­li­té de faire œuvre cri­tique à
l’é­gard de ce qui vit et, de ce qui est l’é­ma­na­tion du
mou­ve­ment, soit ! Mais qu’ils sol­li­citent du pro­fes­seur Jaurès
 — pour apprendre scien­ti­fi­que­ment à des élèves  l’ex­po­sé d’un
syn­di­ca­lisme vu à tra­vers un livres qui n’est qu’une oeuvre de
fan­tai­sie lit­té­raire et ima­gi­na­tive, voi­là qui témoigne
d’un regret­table manque de goût et de sérieux. Le livre
de Pataud et de Pou­get offre une lec­ture attrayante pour nous,
exci­tante pour les ras­tas. Il n’est pas —  et leurs auteurs ne l’ont
pas vou­lu  une œuvre
construc­tive de révolution.

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