La Presse Anarchiste

La Fontaine et sa Philosophie

Rous­seau, dans son Émile, par­lant des fables en géné­ral et de celles de La Fon­taine en par­ti­cu­lier (qu’il admire d’ailleurs) dit a peu près ceci : « on fait apprendre les fables de La Fon­taine à tous les enfants et il n’y en a pas un seul qui les entende. Quand ils les enten­draient ce serait encore pis, car la morale en est tel­le­ment mêlée et si dis­pro­por­tion­née à leur âge qu’elle les por­te­rait plus au vice qu’à la ver­tu ». Un peu plus loin il dit encore : « Ain­si donc la morale de la pre­mière fable est pour l’en­fant une leçon de la plus basse flat­te­rie ; celle de la seconde une leçon d’in­hu­ma­ni­té ; celle de la troi­sième une leçon d’in­jus­tice ; celle de la qua­trième une leçon de satire ; celle de la cin­quième une leçon d’in­dé­pen­dance. Quand vous leur don­nez des pré­ceptes qui se contre­disent quel fruit espé­rez-vous de vos soins ? ».

Son point de vue est assez juste concer­nant le rôle édu­ca­tif et péda­go­gique de ces fables et, il aurait pu rele­ver bien d’autres contra­dic­tions et amo­ra­li­tés dans l’œuvre du sage fabu­liste, mais sa ten­dance mora­li­sa­trice lui inter­di­sait l’a­na­lyse de cette concep­tion de la vie si dif­fé­rente de la sienne. 

Com­ment, dira-t-on, peut-on par­ler ici de phi­lo­so­phie, puisque le fabu­liste n’a fait que ver­si­fier des fables qu’il n’a point inven­tées et dont la morale n’est pus de lui ? Tout au plus peut-on lui recon­naître un réel génie poé­tique, un remar­quable don pour la créa­tion de ces petits chefs-d’œuvre, qui charment pur leur fraî­cheur et leur har­mo­nieuse com­po­si­tion, mais tout cela sans appa­rence sui­vie, cohé­rence et bien définie. 

Nous ver­rons, au cours de cette étude, que si La Fon­taine a pui­sé dans les fables de ses devan­ciers la plu­part de ses sujets, il a tout de même fait un choix confor­mé­ment à ses concep­tions per­son­nelles et que ces sujets eux-mêmes dis­pa­raissent au second plan, tan­dis que ces obser­va­tions, ses conclu­sions consti­tuent à elles seules le fond véri­table de ses médi­ta­tions. Nous ver­rons d’autre part, en résu­mant ces obser­va­tions, que sous d’ap­pa­rentes et nom­breuses contra­dic­tions se devinent une par­faite uni­té, une com­pré­hen­sion très pro­fonde de la psy­cho­lo­gie humaine, une créa­tion sur­pre­nante d’un type humain indé­pen­dant, débrouillard, géné­reux, pru­dent, aven­tu­reux, rusé, auda­cieux, s’ins­pi­rant d’une réelle phi­lo­so­phie indi­vi­dua­liste peu sus­cep­tible de créer de « bons citoyens ». 

C’est donc dans les réflexions per­son­nelles dont sont émaillées ses fables qu’il faut trou­ver cette phi­lo­so­phie, et c’est en étu­diant l’œuvre dans son ensemble, et non par­tiel­le­ment, qu’il est pos­sible de sup­pri­mer les contra­dic­tions et les « morales » amorales. 

Quand on sait que c’est près de la cin­quan­taine que La Fon­taine se mit à com­po­ser ses fables, et qu’il les conti­nua jus­qu’à sa mort, on peut sup­po­ser que c’est bien là le fruit de ses obser­va­tions et, de ses méditations. 

Ces fables au nombre de 239, répar­ties en 12 livres, se pré­sentent sans ordre par­ti­cu­lier et il est dif­fi­cile de savoir si leur auteur les a créées dans l’ordre où elles ont été publiées, ou si elles ont été ensuite ordon­nées et clas­sées autre­ment, Je les ai donc toutes reprises et reclas­sées selon leur carac­tère dominant.

J’ai recon­nu quatre de ces carac­tères : 1° Lutte pour la vie. 2° Entr’aide. 3° Éthique. 4° Psychologie. 

Le pre­mier de ces groupes compte 7 fables ; l’En­traide 12 ; l’É­thique 93 ; la Psy­cho­lo­gie 55. Quatre fables m’ont paru indécises. 

On voit tout de suite que la lutte l’emporte sérieu­se­ment sur l’en­traide, mais le détail de ces clas­se­ments nous réserve quelques surprises. 

Com­men­çons par la lutte pour la vie, en voi­ci le détail : les fables qui conseillent ou jus­ti­fient la méfiance sont au nombre de 15, la pré­voyance 10, la pru­dence 10, l’a­dap­ta­tion 7 ; de ne comp­ter que sur soi 5, la four­be­rie 5, la rai­son du plus fort 5, l’in­gra­ti­tude 5, la dupe­rie 3, la cor­rup­tion 2, la mau­vaise asso­cia­tion 2, à cha­cun son métier 2 ; enfin la méchan­ce­té, la cré­du­li­té, l’a­po­lo­gie de la force, de la dou­ceur de l’a­ven­ture, ne comptent qu’une fable. 

L’A­mi­tié se contente de 6 fables, tout comme l’Entraide. 

L’É­thique avec ses 93 fables se détaille ain­si : Sagesse 17, Vani­té-Orgueil 10, contre les grands 9, Ava­rice 6, contre le mariage et l’a­mour 6, Liber­té 5, Opti­misme 5, Modes­tie 4, Médi­sance 3, Irré­li­gion 3, Pro­cès. 3, Hon­nê­te­té 2, Scep­ti­cisme 2, pour l’a­mour 2, l’U­tile contre le Beau 2. Toutes les autres par­ti­cu­la­ri­tés ne nombrent qu’une seule fable : Cruau­té en amour, Oubli des défunts, Moque­rie, Faux amis, Paresse, Indul­gence, Exemple, Édu­ca­tion, Cour­ti­sans, Impor­tuns, Débi­teurs, Droit des ani­maux, Para­sites, Pro­tes­ta­tion contre le sort. 

Enfin la Psy­cho­lo­gie nous donne ceci : Sot­tise 8 fables ; Bavar­dage 7 ; Fan­fa­ron­nade 6 ; le natu­rel ne change pas 6 ; Intel­li­gence des bêtes 4 ; Pro­jets 3 ; S’ai­mer tel qu’on est 2 ; Illu­sion 2 ; Erreur 2 ; Ordre, méthode 2 ; Cor­ri­ger la nature 2 ; Le savoir 2 ; Imi­ta­teurs 2 ; Pou­voir des fables 2. Les autres n’en comptent qu’une seule : Insou­ciance, Nul­li­té, Inca­pa­ci­té, Le des­tin, Diver­si­té des êtres. 

On objec­te­ra que ce clas­se­ment est arbi­traire et qu’on pour­rait en faire un autre, tout dif­fé­rent. Cela est sûr. Il y a des fables dont le conte­nu très riche com­porte à la fois plu­sieurs conclu­sions, mais on ver­ra par les nom­breuses cita­tions qui vont suivre que la carac­té­ris­tique domi­nante est à peu près celle que j’ai choisie. 

Si mon clas­se­ment est juste, un pre­mier fait s’im­pose : la sagesse vient en tête avec 17 fables, puis la méfiance avec 13, suivent la vani­té et l’or­gueil avec 10 ; viennent ensuite la pré­voyance, l’a­dap­ta­tion, la pru­dence, l’hos­ti­li­té aux grands qui n’en ont cha­cune que 9. Enfin la sot­tise et le bavar­dage ne viennent qu’a­près, bien que pré­cé­dant l’en­tr’aide et l’amitié. 

Ce qui veut dire que La Fon­taine nous parle une fois de sagesse et d’a­mi­tié et nous aver­tit deux fois des traî­trises de la vie. 

Enfin dans le domaine psy­cho­lo­gique il aborde avec les deux sujets : « le natu­rel ne change pas » et : « s’ai­mer tel qu’on est » un des aspects les plus sur­pre­nants de la conscience, pro­duit for­tuit des hasards bio­lo­giques et on s’a­per­çoit qu’il a par­fai­te­ment ana­ly­sé ce côté trou­blant de la personnalité.

- 0 -

Com­men­çons par LA LUTTE POUR LA VIE, avec les fables sur la méfiance, la trom­pe­rie et la fourberie.

Dans « Le Renard et la Cigogne », La Fon­taine conclut : 

Trom­peurs, c’est pour vous que j’écris,

Atten­dez-vous à la pareille.

Dans « Le Coq et le Renard », il ter­mine ainsi : 

Car c’est double plai­sir de trom­per le trompeur. 

Il nous apprend plus loin que le loup deve­nu ber­ger finit plu­tôt mal 

Tou­jours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.

Qui­conque est loup agisse en loup.

C’est le plus cer­tain de beaucoup.

Le che­vreau se méfiant du loup et lui deman­dant de mon­trer patte blanche amène cette réflexion :

Deux sûre­tés valent mieux qu’une

Et le trop en cela ne fut jamais perdu. 

La mère sou­ris, dans « Le Cochet, le Chat et le Sou­ri­ceau », dit à celui-ci 

Garde-toi tant que tu vivras

De juger des gens sur la mine.

« Le Renard, le Loup et le Che­val » se ter­mine par la décon­fi­ture du loup et par ces sages paroles : 

Frère, dit le renard, ceci nous justifie

Ce que m’ont dit des gens d’esprit ;

Cet ani­mal vous a sur la mâchoire écrit

Que de tout incon­nu le sage se méfie.

La fable du « Chat et du vieux Rat » nous montre un chat retors et un vieux rat des plus méfiants.

« Ce bloc enfa­ri­né ne me dit rien qui vaille,

S’é­cria-t-il de loin au géné­ral des chats.

Je soup­çonne des­sous encor quelque machine

Rien ne te sert d’être farine.

Car quand tu serais sac je n’ap­pro­che­rais pas. »

C’é­tait bien dit à lui : j approuve sa prudence.

Il était expérimenté,

Et savait que la méfiance

Est mère de la sûreté. »

Rous­seau, dans son Émile, par­lant des fables en géné­ral et de celles de La Fon­taine en par­ti­cu­lier (qu’il admire d’ailleurs) dit a peu près ceci : « on fait apprendre les fables de La Fon­taine à tous les enfants et il n’y en a pas un seul qui les entende. Quand ils les enten­draient ce serait encore pis, car la morale en est tel­le­ment mêlée et si dis­pro­por­tion­née à leur âge qu’elle les por­te­rait plus au vice qu’à la ver­tu ». Un peu plus loin il dit encore : « Ain­si donc la morale de la pre­mière fable est pour l’en­fant une leçon de la plus basse flat­te­rie ; celle de la seconde une leçon d’in­hu­ma­ni­té ; celle de la troi­sième une leçon d’in­jus­tice ; celle de la qua­trième une leçon de satire ; celle de la cin­quième une leçon d’in­dé­pen­dance. Quand vous leur don­nez des pré­ceptes qui se contre­disent quel fruit espé­rez-vous de vos soins ? ».

Son point de vue est assez juste concer­nant le rôle édu­ca­tif et péda­go­gique de ces fables et, il aurait pu rele­ver bien d’autres contra­dic­tions et amo­ra­li­tés dans l’œuvre du sage fabu­liste, mais sa ten­dance mora­li­sa­trice lui inter­di­sait l’a­na­lyse de cette concep­tion de la vie si dif­fé­rente de la sienne. 

Com­ment, dira-t-on, peut-on par­ler ici de phi­lo­so­phie, puisque le fabu­liste n’a fait que ver­si­fier des fables qu’il n’a point inven­tées et dont la morale n’est pus de lui ? Tout au plus peut-on lui recon­naître un réel génie poé­tique, un remar­quable don pour la créa­tion de ces petits chefs-d’œuvre, qui charment pur leur fraî­cheur et leur har­mo­nieuse com­po­si­tion, mais tout cela sans appa­rence sui­vie, cohé­rence et bien définie. 

Nous ver­rons, au cours de cette étude, que si La Fon­taine a pui­sé dans les fables de ses devan­ciers la plu­part de ses sujets, il a tout de même fait un choix confor­mé­ment à ses concep­tions per­son­nelles et que ces sujets eux-mêmes dis­pa­raissent au second plan, tan­dis que ces obser­va­tions, ses conclu­sions consti­tuent à elles seules le fond véri­table de ses médi­ta­tions. Nous ver­rons d’autre part, en résu­mant ces obser­va­tions, que sous d’ap­pa­rentes et nom­breuses contra­dic­tions se devinent une par­faite uni­té, une com­pré­hen­sion très pro­fonde de la psy­cho­lo­gie humaine, une créa­tion sur­pre­nante d’un type humain indé­pen­dant, débrouillard, géné­reux, pru­dent, aven­tu­reux, rusé, auda­cieux, s’ins­pi­rant d’une réelle phi­lo­so­phie indi­vi­dua­liste peu sus­cep­tible de créer de « bons citoyens ». 

C’est donc dans les réflexions per­son­nelles dont sont émaillées ses fables qu’il faut trou­ver cette phi­lo­so­phie, et c’est en étu­diant l’œuvre dans son ensemble, et non par­tiel­le­ment, qu’il est pos­sible de sup­pri­mer les contra­dic­tions et les « morales » amorales. 

Quand on sait que c’est près de la cin­quan­taine que La Fon­taine se mit à com­po­ser ses fables, et qu’il les conti­nua jus­qu’à sa mort, on peut sup­po­ser que c’est bien là le fruit de ses obser­va­tions et, de ses méditations. 

Ces fables au nombre de 239, répar­ties en 12 livres, se pré­sentent sans ordre par­ti­cu­lier et il est dif­fi­cile de savoir si leur auteur les a créées dans l’ordre où elles ont été publiées, ou si elles ont été ensuite ordon­nées et clas­sées autre­ment, Je les ai donc toutes reprises et reclas­sées selon leur carac­tère dominant.

J’ai recon­nu quatre de ces carac­tères : 1° Lutte pour la vie. 2° Entr’aide. 3° Éthique. 4° Psychologie. 

Le pre­mier de ces groupes compte 7 fables ; l’En­traide 12 ; l’É­thique 93 ; la Psy­cho­lo­gie 55. Quatre fables m’ont paru indécises. 

On voit tout de suite que la lutte l’emporte sérieu­se­ment sur l’en­traide, mais le détail de ces clas­se­ments nous réserve quelques surprises. 

Com­men­çons par la lutte pour la vie, en voi­ci le détail : les fables qui conseillent ou jus­ti­fient la méfiance sont au nombre de 15, la pré­voyance 10, la pru­dence 10, l’a­dap­ta­tion 7 ; de ne comp­ter que sur soi 5, la four­be­rie 5, la rai­son du plus fort 5, l’in­gra­ti­tude 5, la dupe­rie 3, la cor­rup­tion 2, la mau­vaise asso­cia­tion 2, à cha­cun son métier 2 ; enfin la méchan­ce­té, la cré­du­li­té, l’a­po­lo­gie de la force, de la dou­ceur de l’a­ven­ture, ne comptent qu’une fable. 

L’A­mi­tié se contente de 6 fables, tout comme l’Entraide. 

L’É­thique avec ses 93 fables se détaille ain­si : Sagesse 17, Vani­té-Orgueil 10, contre les grands 9, Ava­rice 6, contre le mariage et l’a­mour 6, Liber­té 5, Opti­misme 5, Modes­tie 4, Médi­sance 3, Irré­li­gion 3, Pro­cès. 3, Hon­nê­te­té 2, Scep­ti­cisme 2, pour l’a­mour 2, l’U­tile contre le Beau 2. Toutes les autres par­ti­cu­la­ri­tés ne nombrent qu’une seule fable : Cruau­té en amour, Oubli des défunts, Moque­rie, Faux amis, Paresse, Indul­gence, Exemple, Édu­ca­tion, Cour­ti­sans, Impor­tuns, Débi­teurs, Droit des ani­maux, Para­sites, Pro­tes­ta­tion contre le sort. 

Enfin la Psy­cho­lo­gie nous donne ceci : Sot­tise 8 fables ; Bavar­dage 7 ; Fan­fa­ron­nade 6 ; le natu­rel ne change pas 6 ; Intel­li­gence des bêtes 4 ; Pro­jets 3 ; S’ai­mer tel qu’on est 2 ; Illu­sion 2 ; Erreur 2 ; Ordre, méthode 2 ; Cor­ri­ger la nature 2 ; Le savoir 2 ; Imi­ta­teurs 2 ; Pou­voir des fables 2. Les autres n’en comptent qu’une seule : Insou­ciance, Nul­li­té, Inca­pa­ci­té, Le des­tin, Diver­si­té des êtres. 

On objec­te­ra que ce clas­se­ment est arbi­traire et qu’on pour­rait en faire un autre, tout dif­fé­rent. Cela est sûr. Il y a des fables dont le conte­nu très riche com­porte à la fois plu­sieurs conclu­sions, mais on ver­ra par les nom­breuses cita­tions qui vont suivre que la carac­té­ris­tique domi­nante est à peu près celle que j’ai choisie. 

Si mon clas­se­ment est juste, un pre­mier fait s’im­pose : la sagesse vient en tête avec 17 fables, puis la méfiance avec 13, suivent la vani­té et l’or­gueil avec 10 ; viennent ensuite la pré­voyance, l’a­dap­ta­tion, la pru­dence, l’hos­ti­li­té aux grands qui n’en ont cha­cune que 9. Enfin la sot­tise et le bavar­dage ne viennent qu’a­près, bien que pré­cé­dant l’en­tr’aide et l’amitié. 

Ce qui veut dire que La Fon­taine nous parle une fois de sagesse et d’a­mi­tié et nous aver­tit deux fois des traî­trises de la vie. 

Enfin dans le domaine psy­cho­lo­gique il aborde avec les deux sujets : « le natu­rel ne change pas » et : « s’ai­mer tel qu’on est » un des aspects les plus sur­pre­nants de la conscience, pro­duit for­tuit des hasards bio­lo­giques et on s’a­per­çoit qu’il a par­fai­te­ment ana­ly­sé ce côté trou­blant de la personnalité.

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Com­men­çons par LA LUTTE POUR LA VIE, avec les fables sur la méfiance, la trom­pe­rie et la fourberie.

Dans « Le Renard et la Cigogne », La Fon­taine conclut : 

Trom­peurs, c’est pour vous que j’écris,

Atten­dez-vous à la pareille.

Dans « Le Coq et le Renard », il ter­mine ainsi : 

Car c’est double plai­sir de trom­per le trompeur. 

Il nous apprend plus loin que le loup deve­nu ber­ger finit plu­tôt mal 

Tou­jours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.

Qui­conque est loup agisse en loup.

C’est le plus cer­tain de beaucoup.

Le che­vreau se méfiant du loup et lui deman­dant de mon­trer patte blanche amène cette réflexion :

Deux sûre­tés valent mieux qu’une

Et le trop en cela ne fut jamais perdu. 

La mère sou­ris, dans « Le Cochet, le Chat et le Sou­ri­ceau », dit à celui-ci 

Garde-toi tant que tu vivras

De juger des gens sur la mine.

« Le Renard, le Loup et le Che­val » se ter­mine par la décon­fi­ture du loup et par ces sages paroles : 

Frère, dit le renard, ceci nous justifie

Ce que m’ont dit des gens d’esprit ;

Cet ani­mal vous a sur la mâchoire écrit

Que de tout incon­nu le sage se méfie.

La fable du « Chat et du vieux Rat » nous montre un chat retors et un vieux rat des plus méfiants.

« Ce bloc enfa­ri­né ne me dit rien qui vaille,

S’é­cria-t-il de loin au géné­ral des chats.

Je soup­çonne des­sous encor quelque machine

Rien ne te sert d’être farine.

Car quand tu serais sac je n’ap­pro­che­rais pas. »

C’é­tait bien dit à lui : j approuve sa prudence.

Il était expérimenté,

Et savait que la méfiance

Est mère de la sûreté. »

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LA PRÉVOYANCE est illus­trée par « La Cigale et la Four­mi », fable sou­vent dis­cu­tée, « L’Hi­ron­delle et les petits Oiseaux », « La Mouche et la Fourmi ». 

« La For­tune et le Jeune Enfant » ren­ferme une mer­veilleuse leçon contre l’im­pré­voyance. Cet enfant est endor­mi sur le bord d’un puits :

La for­tune pas­sa, l’é­veilla dou­ce­ment, Lui disant :

« Mon mignon je vous sauve la vie.

Soyez une autre fois plus sage je vous prie.

Si vous fus­siez tom­bé, l’on s’en fut pris à moi

Cepen­dant c’é­tait votre faute.

Et le fabu­liste ajoute :

Est-on sot, étour­di, prend-on mal ses mesures

On pense en être quitte en accu­sant son sort

Bref la For­tune a tou­jours tort. 

Mêmes réflexions au sujet de « L’in­gra­ti­tude et de l’in­jus­tice des hommes envers la For­tune », un com­mer­çant favo­ri­sé mais impré­voyant se trouve rui­né et son ami lui dit :

D’où vient cela ? — De la For­tune, hélas !

—Conso­lez-vous, dit l’autre, et, s’il ne lui plaît pas

Que vous soyez heu­reux, tout au moins soyez sage.

Et notre poète observe :

Le bien, nous le fai­sons ; le mal c’est la Fortune.

On a tou­jours rai­son, le des­tin tou­jours tort.

Nous connais­sons tous «  Petit Pois­son et le Pêcheur » que ter­mine cette réflexion deve­nue célèbre :

Un tiens vaut, se dit-on, mieux que deux tu l’auras

L’un est sûr, l’autre ne l’est pas.

« Le Loup et le Chien maigre », ain­si que « Le Vieux Chat et la Jeune Sou­ris » abondent éga­le­ment dans ce sens. Enfin « Le Renard et le Bouc » nous montre l’im­pré­voyance de ce der­nier. Le renard tiré d’af­faire lui dit narquoisement :

Si le ciel t’eut, dit-il, don­né par excellence

Autant de juge­ment que de barbe au menton

tu n’au­rais pas à la légère

Des­cen­du dans ce puits. Or adieu, j’en suis hors

Tâche de t’en tirer et fais tous tes efforts. 

Et le pro­fit à tirer de ceci est : 

En toute chose il faut consi­dé­rer la fin.

En cette fable, comme en beau­coup d’autres, nous voyons la fri­pouille­rie triom­pher de la bonne foi et, qu’en fin de compte, la morale tout court, celle qu’on veut ensei­gner dans les écoles, n’y trouve pas son dû.

L’ADAPTATION est fort bien illus­trée par « Le Chêne et le Roseau » par « La Chauve-Sou­ris et les deux Belettes ». La pre­mière de ces fables se résume en quelques mots :

Je plie et ne romps pas.

La seconde est riche d’en­sei­gne­ment car elle se prête à toutes sortes de mora­li­tés. La chauve sou­ris entre les pattes d’une belette enne­mie des sou­ris s’écrie : 

Moi sou­ris ! des méchants vous ont dit ces nouvelles

Grâce à l’au­teur de l’univers

Je suis oiseau : voyez mes ailes

Vive la gent qui fend les airs.

Mais, tom­bée entre les griffes de la deuxième belette qui hait les oiseaux, elle proteste

Moi pour telle pas­ser ! vous n’y regar­dez pas.

Qui fait l’oi­seau ? C’est le plumage.

Je suis sou­ris : vive les rats

Jupi­ter confonde les chats.

Par cette adroite répartie

Elle sau­va deux fois sa vie.

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NE COMPTER QUE SUR SOI s’illustre par « du Maître », « L’A­louette et ses petits avec le maître d’un champ », « Le Char­tier embour­bé », « Le Mar­chand, le Gen­til­homme, le Pâtre et le Fils du Roi », « Le Fer­mier, le Chien et le Renard ».

Il n’est pour voir que l’œil du Maître, résume la pre­mière fable, mais c’est la troi­sième qui démontre le mieux ce point de vue. Voi­ci la fin de cette fable connue de tous : 

Prends ton pic et me romps ce caillou qui te nuit,

Comble-moi cette ornière. As-tu fait ? Oui, dit l’homme.

Or bien je vais t’ai­der, dit la voix : prends ton fouet.

 — Je l’ai pris. Qu’est ceci ? mon char marche à souhait.

Her­cule en soit loué. » Lors la voix « Tu vois comme

Tes che­vaux aisé­ment se sont tirés de là.

Aide-toi, le Ciel t’aidera. »

De la FOURBERIE je ne cite­rai que « Le Satyre et le Pas­sant ». Cette petite fable nous offre cette par­ti­cu­la­ri­té d’a­bou­tir à une conclu­sion contraire à celle de « La Chauve-Sou­ris et les deux Belettes ». Ici la fran­chise par la bouche du satyre énonce :

Ne plaise aux dieux que je couche

Avec vous sous le même toit.

Arrière ceux dont la bouche

Souffle le chaud et le froid.

Cinq fables jus­ti­fiant la RAISON DU PLUS FORT. La pre­mière nous pré­sente une étrange asso­cia­tion : « La Génisse, la Chèvre et la Bre­bis, en socié­té avec le Lion » et chas­sant avec lui. Au moment. du par­tage celui-ci déclara :

« Nous sommes quatre à par­ta­ger la proie. »

Puis en autant de parts le cerf il dépeça,

Prit pour lui la pre­mière en qua­li­té de sire :

« Elle doit être à moi, dit-il, et la raison,

C’est que je m’ap­pelle Lion :

A cela l’on n’a rien à dire.

La seconde par droit me doit échoir encor :

Ce droit, sous le savez, c’est le droit du plus fort.

Comme le plus vaillant je pré­tends la troisième.

Si quel­qu’une de vous touche à la quatrième.

Je l’é­tran­gle­rai tout d’abord. »

« Le Loup et l’A­gneau est une fable trop connue pour y insis­ter. Je cite seule­ment le commencement :

La rai­son du plus fort est tou­jours la meilleure

Nous l’al­lons mon­trer tout à l’heure.

« Le Milan et le Ros­si­gnol » nous montre un mal­heu­reux ros­si­gnol argu­men­tant et essayant de sau­ver sa vie par la vir­tuo­si­té de son chant mais Le milan alors lui réplique : 

Vrai­ment nous voi­là bien : lorsque je suis à jeun

Tu me viens par­ler de musique.

J’en parle bien aux rois — Quand un roi te prendra

Tu peux lui conter ces merveilles

Pour un milan il en rira.

Ventre affa­mé n’a point d’oreilles.

Mais c’est sur­tout dans « Les Ani­maux malades de la peste » que l’on trouve cette véri­té démon­trée avec la plus heu­reuse iro­nie. En voi­ci quelques passages : 

Sire, dit renard, vous êtes trop bon roi

Vos scru­pules font voir trop de délicatesse.

Eh bien ! man­ger mou­tons, canaille, sotte espèce.

Est-ce péché ? non, non. Vous leur fîtes Seigneur

En les cro­quant beau­coup d’honneur.

L’âne explique alors sa tentation :

La faim, l’oc­ca­sion, l’herbe tendre

Quelque diable aus­si me poussant

Je ton­dis de ce pré la lar­geur de ma langue.

C’é­tait donc lui le plus coupable :

Ce pelé, ce galeux d’où venait tout le mal.

Man­ger l’herbe d’au­trui ! quel crime abominable !

Bien que la mort n’é­tait capable

D’ex­pier son for­fait. On le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puis­sant ou misérable

Les juge­ments de cour vous ren­dront blanc ou noir.

À suivre ) Ixigrec

La Presse Anarchiste