La Presse Anarchiste

Portrait : Tharsia

Thar­sia s’a­vère plu­ra­liste en matière amou­reuse, mais on ne lui connaît que fort peu d’a­mis, car elle a hor­reur de com­pli­quer son exis­tence. Thar­sia est sage, rai­son­nable, maî­tresse d’elle-même, tout en pre­nant garde que son cœur se des­sèche. Elle tient la balance égale entre ses quelques amis, c’est-à-dire que dans les rela­tions sen­ti­men­tales, affec­tueuses, phy­siques, qu’elle entre­tient avec cha­cun d’eux, elle se montre a son égard ce qu’il lui demande d’être. Sage comme elle est, elle a com­pris que c’é­tait le seul moyen à employer pour que cha­cun d’eux retire de la joie d’être son ami, mais aus­si pour qu’au­cun d’eux n’é­prouve à l’é­gard d’un autre du res­sen­ti­ment ou de l’i­ni­mi­tié du fait qu’il se sent moins favo­ri­sé que lui. D’ailleurs, de sa façon de faire, Thar­sia retire un enri­chis­se­ment inap­pré­ciable, cha­cun de ses amis se révé­lant a elle sous un aspect dif­fé­rent, sen­ti­men­ta­le­ment, affec­tueu­se­ment, phy­si­que­ment par­lant. Dès l’a­bord, Thar­sia refuse ou accepte l’a­mi­tié amou­reuse qui lui est offerte, mais une fois accep­tée, Thar­sia consi­dère qu’elle est sous obli­ga­tion à l’en­droit de qui lui fait don de cette ami­tié. Cette obli­ga­tion com­porte qu’elle paie­ra de retour cette ami­tié amou­reuse, selon ce que son ami attend d’elle. Natu­rel­le­ment douée de flair, Thar­sia se rend immé­dia­te­ment compte si l’a­mi­tié qu’on lui voue est ou non de qua­li­té, durable, trem­pée, résis­tant a l’é­preuve, sans alliage. C’est cette qua­li­té, d’ailleurs, qui déter­mine son accep­ta­tion de l’a­mi­tié amou­reuse offerte. Il se peut que ce « payer de retour » ne soit pas tou­jours plai­sant, mais Thar­sia ne le laisse jamais soup­çon­ner, car l’o­bli­ga­tion est là, et, rai­son­nable comme elle est, elle estime que ce serait cruau­té de sa part que d’in­fli­ger de la dou­leur à l’a­mi dont elle a accep­té l’a­mi­tié. Thar­sia, d’ailleurs, a tant de cordes à son arc, je veux dire à l’arc de son bon vou­loir : affa­bi­li­té, com­pré­hen­sion, rai­son­ne­ment, dévoue­ment, bon­té, pitié même. Mais ce dont elle ne veut à aucun prix, c’est qu’à cause de son atti­tude à l’é­gard d’un seul d’entre eux, ses autres amis aient peine ou tour­ment. Peu importe le prix a payer, Thar­sia ne veut pas faire figure de femme qui fait souf­frir et elle sait que, de cette déter­mi­na­tion, ses amis lui sau­ront gré. Thar­sia n’en­tend pas non plus que ses amis se regardent en chiens de faïence, comme on dit, et elle sait que cela se pro­dui­ra inévi­ta­ble­ment si elle a le mal­heur de mani­fes­ter de la pré­fé­rence pour l’un d’eux. Elle ne consent pas à être une cause de désac­cord, quelque sacri­fice qu’il dût lui en coû­ter. Elle se doit à ce que ses amis, à elle, soient amis entre eux et elle s’y emploie, ne regar­dant ni au tact ni à la déli­ca­tesse indis­pen­sables. Mais sa bonne volon­té n’est jamais à court de trou­vailles. Elle n’en­tend pas non plus que les sen­ti­ments que lui portent ses amis soit occa­sion pour l’un d’entre eux d’en tirer, sans réci­pro­ci­té ou com­pen­sa­tion, pro­fit sen­ti­men­tal ou amou­reux. Dés­in­té­res­sée comme elle est, son mépris serait tel pour le béné­fi­ciaire qu’elle ces­se­rait de le comp­ter au nombre de ses amis. Elle ne consen­ti­ra jamais à ce qu’on la soup­çonne d’a­voir approu­vé, sans que sanc­tion en résulte, qu’un de ses amis tire d’un autre plus qu’il ne se pré­oc­cupe de lui rendre. Thar­sia n’est pas que bien­veillance et géné­ro­si­té, elle aus­si équi­table. De ses pro­jets d’a­ve­nir, aucun de ses amis n’est absent et tous sur­ent fort bien que, dans ces pro­jets-la ils sont tous pré­sents, à éga­li­té de réa­li­sa­tion affec­tive. Thar­sia, en cas de défaillance de sa part, ne se for­ma­lise pas parce qu’un de ses amis lui démontre qu’a l’é­gard de cet autre, elle a négli­gé un ins­tant de tenir la balance égale, c’est-à-dire qu’elle ne lui a pas don­né ce qu’il atten­dait d’elle. Elle ne trouve cette inter­ven­tion ni intem­pes­tive ni dépla­cée. Elle est intel­li­gente et tou­jours dis­po­sée à remé­dier à ses man­que­ments. Elle inter­roge, fait son exa­men de conscience et rachète sa défaillance par un redou­ble­ment de pré­ve­nance et de ten­dresse. Thar­sia n’est-elle pas la femme qui ne veut pas qu’on souffre à cause d’elle ? 

Men­tor

La Presse Anarchiste