La Presse Anarchiste

Les objecteurs et le pacifisme

Un
cer­tain nombre de paci­fistes ont sou­te­nu les objec­teurs avant
l’obtention du sta­tut ; mais si tous s’y sont montrés
favo­rables, il n’y a pas eu d’engagement géné­ral de
leur part dans cette action. Et, actuel­le­ment, aucune rela­tion, aucun
contact n’existe entre les paci­fistes et les groupes d’objecteurs,
sauf les quelques infor­ma­tions que l’on peut trou­ver dans les
publi­ca­tions. Com­ment peut-on com­prendre ce peu d’intérêt
pour un engage­ment anti­mi­li­ta­riste et contre la guerre, et même,
pour une majo­ri­té d’objecteurs, contre toute guerre (y
com­pris la guer­re révolutionnaire) ?

Les
dif­fé­rentes situa­tions et cir­cons­tances ont modi­fié ce
qu’on pou­vait appe­ler : objec­tion de conscience. Ce qui fait
peut-être, que les objec­teurs n’appa­raissent plus comme
menant une action « paci­fiste ». En schématisant,
on peut distinguer :


dans
une période s’étendant jusqu’au début de
la guerre d’Algérie, une objec­tion essentiellement
contre la guerre.


au
moment de la guerre d’Al­gérie (et peut-être aussi
pen­dant celle d’Indochine), tou­jours sans sta­tut, se pose le
pro­blème de l’objection à la guerre face à
une révo­lu­tion sociale.


après
l’obtention du sta­tut, une objec­tion « légale »
dans un « ser­vice civil ». Contes­tant les structures
mili­taires, l’expérien­ce et le contexte
(Pro­tec­tion civile) amènent les objec­teurs à
contes­ter éga­le­ment les struc­tures « civiles ». À
la suite de cette action, vivant dans des milieux sociaux
défa­vo­ri­sés : bidon­ville, région sous-développée,
les objec­teurs sont alors conduits à contes­ter les structures
sociales et éco­no­miques de notre société.

À
la suite de cette évo­lu­tion, l’objection main­te­nant se situe
sur dif­fé­rents plans : le mili­ta­risme et la guerre, les
struc­tures sociales et les struc­tures économiques.

Les
rela­tions des objec­teurs et de Louis Lecoin sont assez singulières
et méritent d’être dis­tin­guées. Le nom de
Lecoin est étroi­te­ment lié au sta­tut et à la
recon­nais­sance de l’objection de conscience en France (qui n’est
en fait que la recon­nais­sance du refus de por­ter les armes), mais son
action fut pra­ti­que­ment menée sans la par­ti­ci­pa­tion des
objec­teurs. Et depuis la mise en place du sta­tut, les rela­tions sont
res­tées sans véri­table dia­logue : Lecoin ayant sa
vision de ce qui est bien pour les objec­teurs dans le contexte
actuel, et ce n’est que par la prise de posi­tions concrètes
que les objec­teurs peuvent lui « for­cer la main », si
l’on peut dire.

Paral­lè­le­ment,
l’Action civique non vio­lente mena son action avec la participation
des objec­teurs, et la basa sur leur enga­ge­ment, même si un
cer­tain nombre étaient des objec­teurs cir­cons­tan­ciels à
la guerre d’Algérie. Ce qui montre éga­le­ment la
pos­si­bi­li­té d’une action com­mune dans des circonstances
don­nées de gens ayant des posi­tions théoriques
différentes.

Suite
à cette action, les objec­teurs sont res­tés en liaison
étroite avec les anciens membres de l’Action civique non
vio­lente, la com­mu­nau­té de l’Arche, et ont des relations
d’échange et de dia­logue avec d’autres mouvements
pré­oc­cu­pés de l’action non vio­lente (tels que le
Mou­ve­ment inter­na­tio­nal de la Récon­ci­lia­tion), et même
peuvent tra­vailler dans des actions pré­cises avec des
mou­ve­ments qui ne sont aucu­ne­ment à ten­dance non violente,
comme le MCAA. Mais ils n’ont pas tra­vaillé en liaison
étroite avec les paci­fistes, car leur action est par trop
dif­fé­rente, je pense.

D’une
part, les objec­teurs influen­cés par l’Action civique non
vio­lente ont lais­sé de côté l’antimilitarisme
de sur­face : l’uniforme, l’abrutissement, les armes, la
bou­che­rie, pour essayer d’avoir une action plus en pro­fon­deur et à
la base, une action directe tou­chant les causes pro­fondes du
phé­no­mène guerre : injus­tice sociale, misère,
sous-déve­lop­pe­ment, pro­fit, men­ta­li­té indi­vi­duelle et
col­lec­tive. Cette action mène à une transformation
radi­cale des struc­tures de notre socié­té, c’est tout
le sens des expé­riences actuelles ten­tées par les
objecteurs.

D’antre
part, on a l’impression que les paci­fistes en res­tent à une
contes­ta­tion sen­ti­men­tale de la guerre et se contentent, comme forme
d’action, de l’adhésion à un mou­ve­ment sans
enga­ge­ment concret. Ils veulent par une cer­taine forme de
par­le­men­ta­risme : pres­sion de l’opinion sur le gouvernement,
trans­for­mer les lois, sans essayer de mettre en pra­tique un
chan­ge­ment dans les faits.

On
pour­rait dire que leur action est une oppo­si­tion léga­liste à
la guerre et au mili­ta­risme. Les non-vio­lents, de même que les
anar­chistes, qui demandent eux aus­si un bou­le­ver­se­ment des lois, ont
une action extra-légale de déso­béis­sance en
essayant d’apporter un chan­ge­ment dans les faits sans attendre la
trans­for­ma­tion légale.

Si
la théo­rie de la guerre juste n’a aucun sens, ce qu’ont
bien mon­tré les paci­fistes inté­graux, il ne faudrait
pas se can­ton­ner en quelque sorte dans celle du « bon peuple »
tra­hi par ses « chefs », les faits sont là pour nous
le rap­pe­ler : l’écho enthou­siaste qu’ont trouvé
les « fau­teurs » de guerre dans la majorité
de la popu­la­tion en 1914 et en 1939. L’action paci­fiste doit porter
aus­si bien sur les res­pon­sables de notre sys­tème hiérarchique
que sur ceux qui « mar­chent » et qui « suivent ».

Le
phé­no­mène guerre étant lié aux structures
capi­ta­listes, au­toritaires et hié­rar­chi­sées, ainsi
qu’aux struc­tures men­tales, sa dis­pa­ri­tion ne pour­ra devenir
effec­tive sans une révo­lu­tion éco­no­mique, sociale et
culturelle.

C’est
pour­quoi, chaque com­bat doit être resi­tué dans son
en­semble, il n’y a pas de lutte uni­que­ment contre la guerre,
c’est un aspect de la lutte géné­rale pour la
révo­lu­tion intégrale.

Jacky
Turquin

La Presse Anarchiste