La Presse Anarchiste

Non-violence et pacifisme intégral

[(

Le
Con­grès, qui avait lieu les 18 et 19 févri­er 1961, a
sus­cité, en divers milieux, des débats théoriques
intéressants.

Cer­tains
se sont demandés si nous, paci­fistes inté­graux, avions
quelque rai­son de nous dif­férenci­er des non-vio­lents ; s’il
n’y aurait pas avan­tage à nous réu­nir en une même
association.

Recon­nais­sons
immé­di­ate­ment l’étroit rap­port de nos points de vue,
et leur orig­ine ana­logue. L’amour des autres hommes est la tendance
pro­fonde des non-vio­lents, et elle est la nôtre aussi.

Cepen­dant
de cette même source pour­raient découler des conceptions
un peu différentes.

Que
faut-il enten­dre par non-vio­lence ? Deman­dons-le au maître qui
en a fait l’un des points cap­i­taux de sa doc­trine, notre cher
Mahat­ma Gandhi.

Il
avait vécu, en son enfance, dans un milieu influencé
par une hérésie du brah­man­isme, le djaïnisme, pour
qui l’idée morale était celle de l’ahimsâ,
non-vio­lence ou plus exacte­ment non-nui­sance. II retrou­va ensuite
l’idée dans les Ecri­t­ures saintes de l’hindouisme, dans la
Bible, dans le Koran. Il en fit alors une de ses thèses
fondamentales.

L’idée
a une portée néga­tive : ne causer de mal à aucun
être vivant ; s’interdire toute pen­sée mau­vaise et tout
men­songe. Mais elle a aus­si un con­tenu posi­tif : bienveillance,
bien­fai­sance envers tous.

Gand­hi,
cepen­dant, n’en fait pas un absolu, il la lim­ite par d’autres
oblig­a­tions morales. Nous ne pou­vons entretenir notre corps sans
détru­ire d’autres exis­tences. Nous pou­vons être
con­traints de tuer pour pro­téger ceux dont nous avons à
pren­dre soin. Il ne faut pas que la non-vio­lence serve de
jus­ti­fi­ca­tion à la lâcheté. S’il fal­lait — ce
qui ne peut arriv­er qu’exceptionnellement — choisir entre violence
et lâcheté, il faudrait préfér­er la
vio­lence. Gand­hi n’aurait pas toléré qu’au moment
d’un atten­tat con­tre lui, son fils, sous pré­texte de
non-vio­lence, se sauve ou reste inac­t­if. Il admet aus­si l’euthanasie,
la destruc­tion d’êtres subis­sant d’atroces souf­frances, si
celles-ci sont impos­si­bles à guérir.

Bien
enten­du, la non-vio­lence doit entraîn­er une poli­tique de paix.
Mais Gand­hi, tout occupé à sauve­g­arder d’excellents
rap­ports entre les indi­vidus, ne nous paraît pas avoir été
assez anti­mil­i­tariste. II n’a pas été assez
scrupuleux à l’égard de cer­taines institutions
dimin­u­ant les souf­frances, mais pou­vant aider indi­recte­ment à
la guerre.

Nous
le voyons, en 1899, pen­dant la guerre con­tre les Boers, organ­is­er une
Croix-Rouge indi­enne ; en 1906, pen­dant la révolte des Zoulous,
un groupe de bran­car­diers ; même, pen­dant la guerre mon­di­ale, un
corps d’ambulanciers indiens.

Sans
renon­cer aux déli­cats devoirs qu’impose la non-violence
gand­hi­enne, nous con­sid­érons que nous devons, avant tout,
lut­ter con­tre la pire vio­lence, qui est celle de la guerre, et contre
son indis­pens­able instru­ment qu’est l’armée.

Nous
nous refu­sons à plac­er la guerre sur le même plan que
les autres maux dont nous devri­ons délivr­er l’humanité.
Nous procla­m­ons que la guerre est le mal essen­tiel. Une non-violence
générale et vague ne nous suf­fit pas. Nous sommes
d’accord pour lut­ter, avant tout, con­tre la guerre ; pour condamner
toute guerre, quel que soit son pré­texte, quelle que soit sa
cause ; d’accord pour repouss­er tout pré­paratif de guerre,
tout arme­ment col­lec­tif, toute organ­i­sa­tion mil­i­taire, tout traité,
tout pacte visant à grouper cer­tains pays en vue d’une
guerre possible.

La
guerre a tou­jours été l’assassinat et le vol
général­isés. Elle a tou­jours abouti à la
destruc­tion de trop nom­breuses exis­tences, à des ruines
matérielles innom­brables, à d’immenses souffrances.
Elle anéan­tit tout ce qu’elle pré­tend sauver.

La
guerre a tou­jours été le crime des crimes et la folie
des folies. Si tel a été le car­ac­tère de toutes
les guer­res du passé, le pro­grès de la sci­ence et de la
tech­nique destruc­tive qu’elle rend pos­si­ble aggrave à
l’infini le mal pour l’avenir. Indépen­dam­ment des autres
procédés physiques, chim­iques et biologiques, il suffit
de rap­pel­er l’immensité des destruc­tions que peu­vent causer
les armes atom­iques. Elles détru­iraient, sinon l’humanité
tout entière, du moins ses groupes les plus évolués.

Opposés
à toute guerre, nous sommes, cepen­dant, opposés à
subir l’oppression ; nous sommes réso­lus à y résister
par tout procédé vio­lent ou non vio­lent, autre que la
guerre entre peuples.

En
1939, au moment où la France déclara la guerre à
l’Allemagne, un de nos cama­rades, paci­fiste intè­gre, dont le
fils venait de par­tir, se promit à lui-même, si ce fils
était tué, d’abattre l’un des respon­s­ables du grand
crime. Il n’eut pas l’occasion d’accomplir cet acte de courage.
Il avait, jusqu’alors, mené la douce exis­tence d’un
non-vio­lent. S’il avait eu à réalis­er sa décision,
il eût pu encore être con­sid­éré comme un
non-vio­lent, mais excep­té con­tre la guerre. […]

Féli­cien
Challaye

La
Voie de la Paix
, n° 105, 1961

)]

*  * 
*  *

Thèmes
principaux

1)
La guerre est le mal essen­tiel : « C’est le crime des
crimes et la folie des folies. »

2)
Résis­tance à la guerre : « par tout
procédé vio­lent ou non vio­lent autre que la guerre
entre les peuples ».

3)
Méth­ode de tra­vail : ce texte ne nous per­met pas d’en
dégager, mais nous ver­rons plus loin ce que pro­posent les
autres pacifistes.

4)
Com­préhen­sion de la non-vio­lence unique­ment en fonction
de la per­son­nal­ité religieuse de Gand­hi. En insis­tant sur
l’aspect col­lab­o­ra­tionniste de Gand­hi, qui lui est bien
par­ti­c­uli­er, Féli­cien Chal­laye provoque une sorte de blocage
dans la com­préhen­sion réelle de l’action non
vio­lente. Ain­si cer­tains aspects religieux du vocab­u­laire non violent
ser­vent de pré­texte à un rejet total de l’idée
alors qu’il con­viendrait de l’adapter, de le refon­dre. De même,
extrap­o­la­tion trop rapi­de de l’expression de Gand­hi : « Plutôt vio­lent que lâche » pour jus­ti­fi­er la
vio­lence indi­vidu­elle. Une phrase curieuse, juste­ment, quant à
la com­préhen­sion de la non-vio­lence, « il avait
jusqu’alors mené la douce exis­tence du non-violent »,
qui tend à sug­gér­er que la non-vio­lence se situe dans
une calme inac­tion. On note un sen­ti­men­tal­isme excessif.

5)
Rap­ports avec les non-vio­lents : puisque « l’amour des
autres hommes est la ten­dance pro­fonde des non-vio­lents et des
paci­fistes », cette orig­ine com­mune devrait faciliter le
dia­logue. « ous devons unir notre action à celle de
tous les non-vio­lents sincères. » C’est nous qui
soulignons.

*  * 
*  *

[(

(Extrait
de « Lib­erté », n° 109 du 1er novem­bre 1964)

La
vie dans toute son âpreté n’a pas un témoin
plus vig­i­lant que moi. Et elle est bien trop laide, à l’égard
du plus grand nom­bre, cette exis­tence, pour que je m’assagisse et
me mue en mou­ton bêlant.

Au
con­traire, dans cer­tains cas, si cela était en mon pou­voir, je
décimerais volon­tiers tous les généraux en vue
d’épargner tous les sol­dats ; je n’hésiterais pas à
faire per­dre le goût de vivre à tous les fau­teurs de
guerre pour que des cen­taines de mil­lions d’êtres humains ne
dis­parais­sent point bru­tale­ment, ignominieusement.

Car
ma non-vio­lence, dans la société de fauves que nous
subis­sons, n’est que théorique ; elle me con­duit à
souhaiter une har­monieuse cité tou­jours en évolution
heureuse dans la douceur des rap­ports entre ses habi­tants, mais elle
ne peut m’empêcher d’employer un peu de vio­lence au besoin
pour en détru­ire beaucoup.

Louis
Lecoin

)]

*  * 
*  *

Il
n’est pas pos­si­ble de com­pren­dre Lecoin à par­tir de ces
quelques lignes qui ne sont là que comme rap­pel ; nous
ren­voyons nos lecteurs à son auto­bi­ogra­phie « le Cours
d’une vie » et à « Liberté ».
Cepen­dant nous dégageons :

1)
La guerre est le mal essentiel.

2)
Résis­tance à la guerre par tous les moyens (en
accord avec l’anarchisme de Lecoin).

3)
Méth­ode de tra­vail : Lecoin est à la source de
toute l’activité qui se fait autour de lui. Lecoin est
d’abord un homme qui a payé de sa per­son­ne, c’est ce qui
le dif­féren­cie du ver­bal­isme paci­fiste général.
Sa lutte anti­mil­i­tariste se sol­de pour lui par une douzaine d’années
en prison et une grève de la faim périlleuse de 22
jours pour obtenir le statut des objecteurs de conscience,
engage­ments qui le font écouter à l’égal d’un
leader et lui don­nent une audi­ence impor­tante. Sa persévérance
per­son­nelle à réalis­er son idéal opposée
à la rel­a­tive non-action de ses proches a abouti à la
con­sti­tu­tion du « mythe Lecoin ». Un fos­sé se
creuse ain­si entre « l’animateur » et ceux qui
l’entourent. Chaque par­tie se com­plaît dans son rôle.
Nous craignons que, par « son isole­ment de chef », lui
dis­paru, son œuvre ne soit pas maintenue.

Action
actuelle : cam­pagne pour le désarme­ment uni­latéral de
la France. II s’agit de con­va­in­cre le plus pos­si­ble de Français
par une pro­pa­gande mas­sive (une brochure à grand tirage); la
notoriété de Lecoin doit per­me­t­tre d’organiser des
meet­ings con­sacrés à cette cause précise
patron­née par un comité de per­son­nal­ités. But :
amen­er le plus grand nom­bre d’adhésions pos­si­ble afin
d’exercer une pres­sion sur le gouvernement.

4)
Com­préhen­sion de la non-vio­lence : se déclare
pour une non-vio­lence théorique mais dit être prêt
à employ­er la vio­lence sous cer­taines con­di­tions. Nous lui
opposons ses actes de non-vio­lence pra­tique. Ain­si il ne tombe pas
dans le piège dual­iste des deux abso­lus : « violence »
con­traire de « non-vio­lence ». Nous revien­drons dans un
prochain numéro sur cet aspect qui con­tribue à figer
les élé­ments du dia­logue général et en
par­ti­c­uli­er de la non-vio­lence face au pacifisme.

5)
Rap­ports avec les non-vio­lents : dans ce cas, le dialogue
paci­fisme-non-vio­lence se com­plique de par la per­son­nal­ité de
Lecoin et sa manière de travailler.

*  * 
*  *

Paci­fistes
inté­graux et non-vio­lents doivent-ils se différencier ?
Dis­ons que la ligne de démar­ca­tion n’est pas tou­jours très
nette : il y a chevauche­ment de deux tra­di­tions culturelles
différentes :


Le
paci­fisme occi­den­tal mar­qué par l’antimilitarisme
anarcho-syndicaliste,


La
non-vio­lence « ori­en­tale » imprégnée de
divers­es reli­gions et cristallisée par l’action de Gandhi.

Ne
sommes-nous pas à la veille d’une syn­thèse ? En
France, c’est pen­dant la guerre d’Algérie que la
non-vio­lence a acquis sa notoriété par le canal de
l’Action civique non vio­lente ; son dynamisme a eu pour effet de
met­tre en évi­dence et de déval­oris­er le ver­bal­isme et
le sen­ti­men­tal­isme pacifistes.

Rares
furent les paci­fistes qui s’engagèrent. Il eût fallu
met­tre en cause une immo­bil­ité qui a sa source dans l’absence
de choix entre la vio­lence et la non-vio­lence, il eût fallu
dépass­er une fidél­ité sans doute trop rigide aux
« principes ». Cepen­dant, des efforts furent tentés.
Témoin le texte suivant.

*  * 
*  *

[(

L’une
des ques­tions les plus con­tro­ver­sées au con­grès de
févri­er (1961) fut celle de la non-vio­lence. Pour notre part,
il est clair que la résis­tance vio­lente donne tou­jours bonne
con­science à l’agresseur et lui offre l’occasion de
jus­ti­fi­er sa pro­pre vio­lence ; il est égale­ment clair que la
paix ne peut devenir réal­ité que dans la mesure où
des femmes et des hommes auront renon­cé totale­ment à la
force bru­tale et à la haine comme moyens de pro­tec­tion ou
d’évolution sociale.

Cepen­dant,
nous nous efforçons de com­pren­dre cer­tains cama­rades qui,
ayant une con­cep­tion de l’homme dif­férente, peu­vent mettre
leur con­fi­ance dans les moyens vio­lents indi­vidu­els tout en étant
opposés à toutes les guer­res. On pour­rait, certes,
dis­cuter à perte de vue sur ce prob­lème… mais une
ques­tion con­crète et immé­di­ate se pose à nous :
celle de nos rela­tions avec l’Action civique non vio­lente qui a
entre­pris depuis deux ans, avec un courage que nul ne songe à
con­tester, de sec­ouer la con­science des Français aux prises
avec cette guerre d’Algérie qui n’est pas une abstraction
mais l’atroce réal­ité quotidienne.

Les
non-vio­lents savent bien que la grande masse de nos conci­toyens ne
peut pas se con­ver­tir au paci­fisme inté­gral du jour au
lende­main, par mir­a­cle, et comme ils ne pren­nent pas leurs espoirs
pour la réal­ité, ils se con­tentent d’ouvrir un chemin
vers le paci­fisme en pro­posant une action lim­itée à la
seule guerre d’Algérie et qui soit à la portée
de la con­science du plus grand nom­bre. Cer­tains cama­rades pacifistes
inté­graux esti­ment cette posi­tion exces­sive­ment dan­gereuse et
reprochent aux non-vio­lents de n’avoir pas de principes bien
défi­nis. De leur côté les respon­s­ables de
l’Action civique non vio­lente pren­nent les paci­fistes intégraux
que nous sommes pour des gens tout juste capa­bles de noir­cir du
papi­er ou de faire des dis­cours sans effi­cac­ité réelle.

Nous
trou­vons cela fâcheux… L’Union paci­fiste d’Eure-et-Loir,
sans aucune pré­ten­tion et par­faite­ment con­sciente de sa
médi­ocrité, voudrait mon­tr­er qu’il est pos­si­ble de
col­la­bor­er avec les non-violents.

Dès
sa créa­tion, elle admit dans son sein des non-vio­lents comme
d’authentiques paci­fistes (ô funeste hérésie!)
pen­sant qu’il y a incom­pat­i­bil­ité absolue entre la
non-vio­lence et la guerre ; depuis elle dif­fuse toutes les
pub­li­ca­tions de l’ACNV à tous ses mem­bres qui sont ain­si en
mesure de suiv­re l’action, d’apprécier l’esprit et les
méth­odes ; lorsque de nou­veaux non-vio­lents appa­rais­sent en
Eure-et-Loir, ils sont immé­di­ate­ment sig­nalés par Marie
Faugeron. Nous leur pro­posons d’adhérer à l’Union
paci­fiste mais, adhérents ou non, ils sont fraternellement
invités à nos réu­nions et y par­ticipent à
la sat­is­fac­tion de tous.

Jusqu’à
présent, per­son­ne à l’Union paci­fiste n’aurait
l’idée de cat­a­loguer le voisin de « paci­fiste intégral
 » ou de « non-vio­lent » avec une pointe de méfiance.
Au lieu de per­dre du temps dans des dis­cus­sions qui n’apporteraient
rien de posi­tif, nous nous met­tons d’accord sur de petites actions
à la mesure de nos forces. Nous savons que pour coller des
affich­es il vaut mieux être six que trois, même si le
pinceau est tenu par un inté­gral et le pot de colle par un
non-vio­lent ; et lorsque fin décem­bre nous répartissons
entre nous les adress­es des objecteurs de con­science en prison pour
envoy­er mes­sages ou man­dats, per­son­ne ne demande à tri­er ses
objecteurs !

Aus­si
nous nous per­me­t­tons de lancer à nou­veau un appel à
toutes les Unions paci­fistes pour que se réalise un
rap­proche­ment et une col­lab­o­ra­tion avec l’ACNV qui ne peut qu’être
béné­fique pour les uns et pour les autres. Cela ne doit
pas se faire en étouf­fant pénible­ment nos suspicions,
mais dans l’enthousiasme de notre idéal commun.

A.
Baudet, Y. Chataigné, J. Delisle, R. Pan­téra, A. Ratz,
R. Soulard,de
l’Union paci­fiste d’Eure-et-Loir.

_______________________________________

Réponse
de Jean Gauchon

L’Union
paci­fiste d’Eure-et-Loir, dont fait par­tie notre ami Ratz, membre
du Con­seil d’administration de l’Union paci­fiste de France,
pub­lie dans ce jour­nal une déc­la­ra­tion ayant trait aux
rap­ports souhaita­bles entre notre organ­i­sa­tion et l’Action civique
non vio­lente. Ce texte appelle quelques commentaires.

Ce
qui doit être affir­mé en pre­mier lieu (et nous sommes
tous, en défini­tive, tombés d’accord sur ce point
lors de notre dernier con­grès nation­al, c’est qu’il y a
place, dans notre mou­ve­ment, à la fois pour les non-violents
abso­lus et pour ceux qui, en dehors de tout con­flit entre peuples,
admet­tent une résis­tance indi­vidu­elle violente.

C’est
ce qui résulte de notre Charte dont je détache le
pas­sage suiv­ant : « Cha­cun pour­ra lut­ter effi­cace­ment contre
l’oppression, étant enten­du que la non-vio­lence constitue
aux ter­mes de cette Charte un des meilleurs moyens pour résister
à la guerre, mais qu’elle ne peut être imposée
à tous les adhérents. »

Insis­tons
par­ti­c­ulière­ment sur ce fait que nous sommes tous, sans
excep­tion, des non-vio­lents en ce qui con­cerne la guerre elle-même.

Ou, plus pré­cisé­ment, que nous n’acceptons en aucun
cas la vio­lence col­lec­tive. Mais, par con­tre, beau­coup d’entre nous
pensent (et je suis de ceux-là) que, sur le plan
stricte­ment indi­vidu­el, la défense par la force physique peut
être par­fois admissible.

Non
que nous réprou­vions ceux qui refusent systématiquement
la riposte autre que spir­ituelle. Bien au con­traire, nous les
admirons et nous salu­ons leur courage héroïque. Pour ma
part, je vais plus loin : je crois que la non-vio­lence, même
indi­vidu­elle, est la forme supérieure de la morale, la règle
de vie la plus noble et la plus val­able, celle qui exige les plus
hautes qual­ités et la plus intense maîtrise de soi-même,
celle qui mène au tri­om­phe absolu de la pureté sur la
bes­tial­ité. En bref, elle touche à la per­fec­tion. Et je
respecte ceux qui sont capa­bles d’un tel comportement.

J’ai
tou­jours été ému, d’ailleurs, par la lecture
de cer­tains admirables pas­sages des livres sacrés. « Aimez vos enne­mis, faites du bien à ceux qui vous haïssent,
bénis­sez ceux qui vous maud­is­sent, priez pour ceux qui vous
mal­trait­ent. Si quelqu’un te frappe sur une joue, présente-lui
aus­si l’autre » — « Je vous dis de ne pas résister
aux méchants. »

Gand­hi
retrou­vait les mêmes accents sub­limes, lorsqu’il dis­ait : « Je ne lèverais pas la main sur vous, même si j’en
avais la puis­sance. Je veux vous vain­cre unique­ment par ma souffrance
— Nul être humain n’est assez par­fait pour avoir le droit
de tuer celui qu’il con­sid­ère à tort comme
entière­ment mauvais. »

Par
tem­péra­ment et par rai­son, j’ai tou­jours été
porté vers la non-vio­lence. J’ai la sat­is­fac­tion de n’avoir
aucune goutte du sang d’autrui sur les mains. Mais enfin, je ne
suis ni Jésus ni Gand­hi, et n’ai pas la prétention
d’égaler d’inégalables êtres.

[…]
Ami et admi­ra­teur des non-vio­lents, certes. Toute­fois, si j’étais
injuste­ment attaqué par un mal­fai­teur, si un être cher
était en péril du fait d’une brute, galonnée
ou non, je ne puis admet­tre que je lais­serais faire sans ten­ter une
réac­tion, même violente.

Et
j’approuve sans restric­tion la dis­tinc­tion établie par notre
ami Féli­cien Chal­laye : « La légitime défense
indi­vidu­elle ou famil­iale a pour but, et sou­vent pour résultat,
le salut de quelques exis­tences pré­cieuses ; la soi-disant
défense nationale a tou­jours pour con­séquence la
destruc­tion d’innombrables exis­tences pré­cieuses. Différence
rad­i­cale, essen­tielle, entre ces deux faits désignés, à
tort, par le même terme.

En
résumé, l’Union paci­fiste d’Eure-et-Loir doit être
sans crainte. Paci­fisme inté­gral et non-vio­lence peuvent
par­faite­ment coex­is­ter, sans la moin­dre gêne, tant ces deux
notions sont com­plé­men­taires l’une de l’autre. On a pu
con­stam­ment observ­er cette har­monieuse cohab­i­ta­tion dans les
groupe­ments de paci­fistes inté­graux, qu’il s’agisse des
Amis de la Patrie humaine, avant 1939, de notre CNRGO, qui vient de
faire place à l’UPF, ou des Forces libres de la paix.

Ce
pre­mier point, d’ordre général, étant acquis,
venons-en au prob­lème par­ti­c­uli­er soulevé par nos
cama­rades d’Eure-et-Loir. L’Action civique non vio­lente peut-elle
être admise par­mi nous ? En l’état actuel des choses,
cer­taine­ment pas, car ces non-vio­lents sont en réalité
des vio­lents. Et il est assez curieux de con­stater que ce sont les
paci­fistes inté­graux « vio­lents » qui sont obligés
de faire des réserves sur cette organ­i­sa­tion, non parce
qu’elle est non vio­lente, mais parce que, bien au con­traire, elle
ne l’est pas assez. Cette tâche devrait incomber cependant,
au pre­mier chef, aux non-vio­lents abso­lus, dont on déna­ture la
doctrine.

Je
m’explique : l’un des ani­ma­teurs de l’ACNV, Jo Pyron­net, dans
son jour­nal de novem­bre 1960 (n° 8), écrit textuellement
ceci : « L’action présente, comme la précédente,
s’appuie sur des motifs de con­science, mais elle ne com­porte pas
néces­saire­ment pour tous les par­tic­i­pants le refus de
toute guerre. Des jeunes, qui deman­dent main­tenant à faire un
ser­vice civ­il en Algérie et préfèrent la prison
au ser­vice mil­i­taire, pour­ront peut-être, la guerre d’Algérie
ter­minée, accepter le ser­vice mil­i­taire et même une
guerre défen­sive menée dans des con­di­tions différentes.
L’action con­siste, non à refuser l’armée, mais à
refuser l’usage qui en est fait actuelle­ment en Algérie. »

Et
voilà l’énormité pronon­cée : les
non-vio­lents pour­ront admet­tre, jus­ti­fi­er même, une « guerre
de légitime défense ! »

Cette
affir­ma­tion, offi­cial­isant au sein de cette asso­ci­a­tion la juste
cause d’une telle guerre et pré­con­isant implicitement
l’union sacrée devant l’agresseur, est la négation
même de l’esprit de notre mou­ve­ment. Elle ne fait d’ailleurs
que repren­dre les pro­pos de plusieurs mem­bres de l’ACNV, publiés
dans cer­tains jour­naux (« l’Express », notamment).

Je
demande à nos amis d’Eure-et-Loir si, honnêtement,
nous pou­vons accepter à nos côtés, au titre de
paci­fistes inté­graux, des per­son­nes éta­lant de tels
principes. Et si ces derniers sont com­pat­i­bles avec les ter­mes de
notre charte : « Le paci­fiste authen­tique, intégral,
con­damne toute guerre, quel qu’en soit le pré­texte… il
n’admet aucune excep­tion à cette règle. » Et
encore : « Si les caus­es de la guerre sont mul­ti­ples, celle-ci,
dans tous les cas, ne peut éclater sans une préparation
psy­chologique poussée ten­dant à faire admet­tre aux
peu­ples un principe reposant sur une mon­strueuse impos­ture : celui de
la légitime défense. »

Ou
alors, en toute logique, si cer­tains admet­tent que les mem­bres de
l’ACNV souscrivant aux paroles de Pyron­net peu­vent s’inscrire à
l’UPF, ils doivent deman­der à notre prochain congrès
nation­al la mod­i­fi­ca­tion de notre charte et la sup­pres­sion des
pas­sages que je viens de citer (ain­si que ceux con­damnant les armes
et les arme­ments, indis­pens­ables pour men­er à bien une guerre
de légitime défense!). Dès lors, notre
mou­ve­ment, décapité, désar­tic­ulé, n’ayant
plus aucune idée direc­trice val­able et orig­i­nale, deviendrait
une quel­conque asso­ci­a­tion d’anciens com­bat­tants. C’est
pro­pre­ment inconcevable.

Mais,
si je suis absolu sur les principes (et que l’on me traite de
sec­taire si l’on veut, mais je ne démordrai pas de cette
idée toute sim­ple que ceux qui admet­tent cer­taines guerres
n’ont pas leur place par­mi nous), j’apporte immédiatement
les cor­rec­tifs que l’on trou­ve tout naturelle­ment dans nos statuts.
Car, pour con­cis qu’ils soient, ils n’en sont pas moins fort bien
pen­sés et prévoient à peu près toutes les
solu­tions à apporter aux dif­férentes situations.

A
— Sur le plan individuel.

1)
Si, par­mi les mem­bres de l’ACNV, cer­tains réprou­vent toute
guerre (et pas seule­ment celle d’Algérie), nous serons
heureux de les accueil­lir au nom­bre de nos adhérents.

2)
Si d’autres, n’en étant pas arrivés à ce
stade, s’alignent sur la posi­tion définie par Pyronnet,
pourquoi ne viendraient-ils pas à nous en qual­ité de
sym­pa­thisants (arti­cle 2 des statuts) ?

B
— Sur le plan collectif.

L’ACNV
étant mar­quée, dans son ensem­ble, par la pro­fes­sion de
foi de Pyron­net, ne saurait, en l’état actuel, adhérer
au Car­tel des Forces libres de la paix, où l’UPF a sa place.
Mais notre organ­i­sa­tion peut fort bien — et profitablement –
tra­vailler en col­lab­o­ra­tion étroite avec elle en ver­tu de
l’article 4 de nos statuts : « Dans cer­taines circonstances,
et en gar­dant son autonomie, l’Union paci­fiste de France peut
s’unir à d’autres asso­ci­a­tions en vue d’une action
paci­fiste d’ensemble, sur un point pré­cis, nationale­ment et
internationalement. »

Et
grâce à nos textes, voilà de quoi met­tre tout le
monde d’accord tout en sauve­g­ar­dant nos principes fondamentaux,
nous mar­chons, la main dans la main, avec ceux qui, sur un problème
par­ti­c­uli­er (la guerre d’Algérie), sont d’accord avec
nous.

Cette
solu­tion me paraît être celle de la sagesse et de
l’honnêteté. Toute équiv­oque étant ainsi
écartée, c’est avec le max­i­mum d’efficacité
que pour­ront œuvr­er pour la paix les mem­bres asso­ciés de
l’UPF et de l’ACNV.

Jean
Gauchon

(« La Voie de la paix », n° 107, 1961).

)]


*  *  *

D’abord
essayons d’éclaircir ce qui nous paraît être une
polémique stérile et de met­tre en évi­dence une
ques­tion inutile : les non-vio­lents peu­vent-ils être admis
par­mi les paci­fistes ? Deux con­cep­tions quant à la manière
de lut­ter se dessinent :

1.
La manière paci­fiste, très caractéristique
chez Lecoin, qui con­siste à rassem­bler le plus grand nombre
pos­si­ble de noms, d’adhésions, de façon à
créer un groupe de pres­sion morale capa­ble d’influencer le
gou­verne­ment et, en cas de besoin, à un cer­tain moment, tenter
de faire pencher la bal­ance par une action directe violente
(man­i­fes­ta­tions, etc.) ou non vio­lente (jeûne, etc.).

2.
La manière non vio­lente con­siste avant tout en un
engage­ment physique per­son­nel, indi­vidu­el ou col­lec­tif, et doit
com­porter des risques. II ne s’agit donc pas d’adhésion à
une organ­i­sa­tion, mais d’actes con­crets, avec un degré plus
ou moins fort de non-vio­lence, dans une réalité
quo­ti­di­enne pré­cise. Il faut recon­naître que ceux qui
posent un acte non vio­lent ne s’inscrivent pas oblig­a­toire­ment dans
une con­cep­tion glob­ale de la non-vio­lence, qu’ils ne déterminent
pas tou­jours, a pri­ori, un absolu auquel ils se con­for­ment comme
peu­vent le faire les paci­fistes inté­graux, mais ce n’est pas
vrai pour tous les « non-vio­lents ». Effec­tive­ment, pour
la plu­part, la non-vio­lence est un mode de vie et s’ils n’ont pas
con­tin­uelle­ment à la bouche des paroles antiguerrières,
c’est que cela est évi­dent. Que pen­dant la guerre d’Algérie
des jeunes réfrac­taires opposés à cette
entre­prise colo­niale aient agi étroite­ment avec les
non-vio­lents accep­tant leurs règles d’action et se soient
réservés, l’action finie, de se com­porter violemment
en d’autres cir­con­stances n’implique pas que les non-vio­lents « jus­ti­fient une guerre de légitime défense ». Cela
illus­tre sim­ple­ment une pos­si­bil­ité d’action com­mune sans
que cha­cun renie sa pro­pre con­cep­tion : il faut crain­dre de se
laiss­er enfer­mer dans les lim­i­ta­tions du lan­gage, du verbe ; l’action
a sa richesse pro­pre, ses dan­gers aus­si. Nous avons déjà
affir­mé qu’il n’était pas pos­si­ble « d’être
non vio­lent » (est-on paci­fiste en payant sa part d’impôt
mil­i­taire?), la vio­lence est trop intime­ment mêlée à
l’humain ; il s’agit de con­naître tous les mécanismes
de la vio­lence et de les canalis­er sinon de les supprimer,
d’apprendre d’autres com­porte­ments indi­vidu­els (par une mentalité
nou­velle, par des actes con­crets) et soci­aux (par l’établissement
de struc­tures et l’exercice de rap­ports humains non vio­lents). D’où
une per­pétuelle insat­is­fac­tion, un effort d’imagination
quotidien.

Pou­vons-nous
résumer en suiv­ant les sché­mas précédents
la posi­tion de l’Union paci­fiste de France ?

1.
La guerre est le mal essentiel.

2.
Résis­tance à la guerre : par la vio­lence (ou la
non-vio­lence) indi­vidu­elle (cf. légitime défense et
assas­si­nat d’un tyran); par la non-vio­lence collective.

3.
Méth­ode de tra­vail (d’après une lettre
per­son­nelle de Jean Gau­chon du 19 juin 1967):

Pro­pa­gande : édi­tion d’un bul­letin, de tracts, de cartes postales
anti­mil­i­taristes, con­férences, séances de cinéma
avec des films paci­fistes, sorties-promenades.

Action : par­tic­i­pa­tion aux march­es et autres protes­ta­tions publiques
organ­isées par d’autres mouvements.

Et,
dernière­ment, sou­tien total à la cam­pagne de
désarme­ment de Lecoin.

4.
Com­préhen­sion de la non-vio­lence. Comme chez Challaye,
on con­state une atti­tude empreinte de sen­ti­men­tal­isme qui se traduit
par l’admiration, l’émotion, le respect. La non-violence
est incar­née par deux hommes : Jésus et Gand­hi, alors
qu’il con­viendrait de con­naître des non-vio­lents plus
com­muns, con­tem­po­rains, qui ne sont pas « d’inégalables
êtres » et surtout de ne pas ignor­er toutes les techniques
actuelles de la non-violence.

(En
pas­sant, dis­ons que la vio­lence aus­si a ses héros, ses êtres
excep­tion­nels). Nous notons un blocage : la légitime défense
indi­vidu­elle et familiale.

5.
Rap­ports avec les non-vio­lents : favor­ables à un
rap­proche­ment, à une col­lab­o­ra­tion, à des relations.
Lesquelles ? Sous forme d’adhésion ou dans l’action ?
« Paci­fisme et non-vio­lence peu­vent par­faite­ment coexister. »


*  *  *

Mais
qu’est-ce que le paci­fisme intégral ?

Le
paci­fisme inté­gral n’admet « jamais la légitimité
de la guerre, quelle qu’elle soit. Car dès qu’on met une
con­di­tion à la paix, on apporte de l’eau au moulin de la
guerre ».

Le
paci­fiste inté­gral trou­ve ses moti­va­tions au niveau moral,
human­i­taire et social : toutes les tra­di­tions laïques ou
religieuses met­tent en avant le car­ac­tère inaliénable
de la vie humaine : « Tu ne tueras point. » La guerre
dégrade l’homme ; elle est con­traire à la dignité
humaine. La guerre est de plus en plus meur­trière. « La
guerre mod­erne tue avant d’éclater. En temps de paix, les
mul­ti­ples essais nucléaires se traduisent en retombées
radio-actives, mortelles à plus ou moins longue échéance. » « En réal­ité, il faut con­venir que la
guerre n’est plus « payante ». Elle ne se con­tente plus
d’être immorale et inhu­maine : « elle est en outre
absurde ». « La notion de vain­queurs et de vain­cus est
dépassée : en cas de nou­velle guerre mon­di­ale, il n’y
aurait plus que des vain­cus ». La guerre aug­mente la misère
et l’injustice sociale. La guerre tue la lib­erté. « L’état de guerre, c’est l’état de dictature ».
« La guerre n’est jamais fatale ». Le paci­fiste intégral
pense qu’il y a évo­lu­tion pos­i­tive de l’histoire…

Com­ment
lutte le paci­fiste intégral ?

Le
com­bat se situe sur deux plans.

a)
con­tre toute guerre quel qu’en soit le motif y com­pris « la
guerre de défense du pro­lé­tari­at con­tre l’impérialisme
qui est la réplique à la guerre de défense de la
lib­erté con­tre le marxisme» ;

b)
con­tre toute pré­pa­ra­tion à la guerre, c’est-à-dire
con­tre l’existence de toute armée et de tout armement
(atom­ique ou non) et aus­si con­tre toute loi oblig­eant un indi­vidu à
faire la guerre ou à la pré­parer. (Les pacifistes
ne croient pas à la for­mule du désarme­ment général,
simul­tané et contrôlé.)

Toute
la pro­pa­gande du paci­fiste inté­gral doit être axée
sur le désarme­ment uni­latéral. « Le salut d’un
peu­ple ne peut résider désor­mais que dans le
désarme­ment absolu de son pays. Il ne pour­ra ain­si susciter
aucune crainte chez les autres pays. Ceux-ci n’auront plus le
moin­dre pré­texte de lui faire la guerre. Ils ne pour­ront plus
notam­ment invo­quer le suprême argu­ment employé pour
mobilis­er les mass­es trop cré­d­ules : la légitime
défense.

Les
avan­tages du désarmement.

C’est
par souci de sécu­rité que l’on se veut armé :
par crainte de son voisin qu’il soit un indi­vidu ou un État. Et
cha­cun se veut mieux armé que l’autre, d’où
surenchère d’armements, d’où risque, et risque
d’autant plus impor­tant que l’armement sera meilleur. « Préparer
la guerre, c’est aboutir à la guerre ». Il s’agit de
ren­vers­er complè­tement la vapeur, et de désarmer
complètement :

pour
créer chez le voisin un sen­ti­ment de sécu­rité et
un état de non-agressivité,

pour
recon­ver­tir les dépens­es mil­i­taires en dépenses
sociales,


pour,
avec l’argent économisé, faire une énorme
infor­ma­tion inter­na­tionale sur l’état de non-belligérance
du pays désarmé.

Nous
avons vu plus haut que seule une pres­sion de l’opinion publique
sera effi­cace pour obtenir le désarme­ment unilatéral,
que les pro­jets gou­verne­men­taux dans ce sens échouent
régulière­ment. Nous en con­venons, mais souhaiterions
que les paci­fistes fassent peut-être un peu moins jouer la
corde lyrique, quoique néces­saire, et s’inspi­rent mieux
des expéri­ences étrangères ; car nous estimons
que diver­ses leçons peu­vent nous être données
et seule l’ignorance des faits nous lim­ite. (Expéri­ences
anglais­es de ces dernières années, organisation
des non-vio­lents indi­ens devant l’invasion chi­noise, résistance
des Danois et des Norvégiens pen­dant la Sec­onde Guerre
mon­di­ale, etc.) On peut en effet être con­va­in­cu des avantages
mul­ti­ples du désarme­ment, mais le souci de sa sécurité,
le sim­ple réflexe de con­ser­va­tion sont des réactions
nor­males du corps et du cerveau.

Que
se passera-t-il en cas d’invasion ?

« Les envahisseurs pénètrent dans ce pays non violent.
Ils con­sta­tent avec stupé­fac­tion qu’ils ne se heur­tent à
aucune oppo­si­tion. Tous les gens sont civils. Pas un mil­i­taire, pas
une arme ! » « Toutes les con­di­tions sont alors réunies
pour une frater­ni­sa­tion…» Il n’est pas vrai que le pays
sera non vio­lent, et les paci­fistes actuelle­ment ne font rien pour
l’y pré­par­er, car les paci­fistes n’ont pas opté
claire­ment pour les méth­odes non vio­lentes ; ils ne les ont ni
suff­isam­ment étudiées, encore moins pratiquées.
Leur vision de la non-vio­lence a été déformée
par toute une série de blocages ; la majorité des
paci­fistes a per­du le goût du risque, de l’engagement
physique, du com­bat non violent.

En
con­damnant la guerre, ils rejet­tent d’un même mouvement
l’esprit révo­lu­tion­naire : « La révo­lu­tion n’est
plus payante ». Le prob­lème de la lutte des class­es est
escamoté. Les paci­fistes sem­blent s’être privés
de tous les moyens de com­bat vio­lents ou non vio­lents et ils stagnent
dans un réformisme semi-légal­iste. Est-ce caricaturer
que de dire cela ?

Nous
esti­mons que la néces­sité d’une étude et d’une
pra­tique de la lutte non vio­lente s’impose avec les paci­fistes dans
le cadre d’une défense col­lec­tive et avec tous les hommes
soucieux d’apporter une révo­lu­tion à notre société.

Si
nous en sommes à soulign­er à l’envi ce que nous
con­sid­érons comme les « nsuff­i­sances du pacifisme »,
nous ne sommes pas pour autant sat­is­faits de la non-vio­lence telle
qu’elle se présente actuelle­ment sur ses différents
champs d’expérience, mais le paci­fisme nous paraît
figé quand la non-vio­lence offre un filon incomplètement
exploité. La non-vio­lence n’a pas été pensée
et vécue en dehors des tra­di­tions religieuses ; la non-violence
n’a pas encore fait éclater son poten­tiel libertaire.

Ain­si
nous con­sta­tons notre rup­ture avec la pra­tique paci­fiste actuelle
surtout parce que nous situons la lutte con­tre la guerre dans une
lutte plus générale et parce que nous voulons
dévelop­per les moyens d’un com­bat social. Mais nous croyons
qu’il est pos­si­ble de trou­ver une issue à la paralysie
paci­fiste dans ce point impor­tant, non dévelop­pé qu’est
la défense col­lec­tive non vio­lente. Ce lieu de rencontre
serait sans aucun doute le ter­rain favor­able pour un dialogue
fructueux.

André
Bernard


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