La Presse Anarchiste

Anarchisme et non-violence adhère à l’internationale des Résistants à la guerre

Nous
nous sommes consa­crés à l’étude de la
non-vio­lence et à son déve­lop­pe­ment comme levier
révo­lu­tion­naire capable d’aboutir à une société
libertaire.

Pour
cela nous nous com­por­tons en « éco­liers » et
cher­chons à répondre à cer­taines ques­tions en
étu­diant des faits qui nous amènent généralement
d’autres ques­tions que nous nous posons à nous-mêmes
d’abord, puis à ceux qui nous entourent.

C’est
grâce à cette dyna­mique du dia­logue que nous espérons
éclair­cir cer­taines notions en les pas­sant au crible du plus
grand nombre d’opinions pos­sible sou­mises cha­cune à la
cri­tique la plus atten­tive, pour abou­tir à des actions qui
seront elles aus­si sou­mises à critique.

Nous
pra­ti­quons ce dia­logue entre nous. Nous l’avons pratiqué
avec des indi­vi­dua­li­tés. Nous cher­chons main­te­nant le dialogue
avec d’autres groupes ou publi­ca­tions tra­vaillant dans un sens
proche du nôtre.

C’est
dans cet esprit que nous consa­crons ce numé­ro au pacifisme,
c’est dans cet esprit que nous avons adhé­ré à
l’IRG qui pra­tique aus­si (du moins ses élé­ments les
plus actifs et son secré­ta­riat) cette concep­tion du dialogue,
de la recherche et de l’action ten­dant à com­bler le hiatus
entre paci­fisme, révo­lu­tion et non-violence.

Dans
ce qui suit, nous avons fait un mon­tage de textes, pris dans les
publi­ca­tions de l’IRG de ces cinq der­nières années,
qui, s’ils ne défi­nissent pas la ligne offi­cielle de l’IRG,
témoignent d’un cou­rant de pen­sée de plus en plus
fort au sein de cette orga­ni­sa­tion et qui regroupe les éléments
les plus enga­gés. C’est jus­te­ment cet accent mis sur
l’engagement indi­vi­duel qui nous paraît très
intéressant.

IRG,
non-vio­lence, révolution

Tout
d’abord, il faut rap­pe­ler que l’Internationale des résistants
à la guerre, née en 1923, regroupe tous ceux qui d’une
façon ou d’une autre refusent la guerre tota­le­ment, en
refu­sant de por­ter les armes et de coopé­rer à tout ce
qui y par­ti­cipe ; ce qui est résu­mé par la déclaration
que doit sous­crire chaque nou­veau membre : « La guerre est un
crime contre l’humanité. Pour cette rai­son, je suis résolu
à n’aider à aucune espèce de
guerre et à lut­ter pour l’abolition de toutes ses causes ».

Par­mi
ces causes, l’IRG consi­dère comme les plus importantes :


le colo­nia­lisme et l’impérialisme économique ;


l’intolérance ;


l’injustice économique ;


les pré­pa­ra­tifs militaires ;


le nationalisme ;


l’État.

Pour
lut­ter contre ces causes, l’Internationale se refuse à
sous­crire à telle ou telle doc­trine poli­tique ou reli­gieuse et
elle est ain­si à même de pré­sen­ter
le mes­sage paci­fiste libre­ment et effi­ca­ce­ment dans toutes sortes de
situations.

Cri­tique
du paci­fisme traditionnel

Les
paci­fistes répondent sou­vent à l’image que veulent
s’en faire leurs adver­saires : « Bons cœurs, mais cerveaux
ramol­lis. » Face aux mul­tiples théo­ries de la violence,
de ses stra­té­gies et de ses tac­tiques, le mou­ve­ment pacifiste
a peu fait pour se doter d’une base socioé­co­no­mique et pour
déve­lop­per des appli­ca­tions pra­tiques de la non-vio­lence. Le
« non à la guerre » est bien insuf­fi­sant, il faut
déve­lop­per paral­lè­le­ment aux struc­tures vio­lentes qui
abou­tissent à la guerre des struc­tures non vio­lentes qui
rendent toute guerre impos­sible. La vio­lence s’exerce dans tous les
domaines, elle est quo­ti­dienne et c’est dans tous ces domaines
qu’il faut trou­ver des solu­tions non violentes.

L’IRG
et la non-violence 

La
non-vio­lence répond au double but : résoudre les
conflits, construire un ordre social nou­veau, sans qu’il y ait
contra­dic­tion, puisque la même action sert simultanément
ces deux buts. C’est pour­quoi elle devrait être la voie
pri­vi­lé­giée du paci­fisme comme de tout mouvement
d’émancipation.

Cepen­dant,
l’accent est mis sur la néces­si­té d’un entraînement
à la non-vio­lence, d’une édu­ca­tion, d’un
appren­tis­sage de la non-vio­lence afin d’éviter qu’elle ne
soit consi­dé­rée comme une foi ou un dogme.
L’entraînement non violent doit com­prendre toute la gamme des
fac­teurs qui se situent entre la com­mu­ni­ca­tion avec autrui, la
com­préhension d’un autre point de vue d’une part et
la libé­ra­tion de toute crainte, la répression
construc­tive des sen­ti­ments d’agressivité d’autre part, en
pas­sant par l’entraînement à l’endurance (faim,
froid, violence).

La
vio­lence est enra­ci­née pro­fon­dé­ment dans la société
contempo­raine ; il existe par­tout des indi­ca­tions visibles de la
ten­sion crois­sante et de l’isolement des indi­vi­dus et des
groupes. Il faut créer de nou­velles ins­ti­tu­tions sociales et
poli­tiques basées sur des prin­cipes paci­fiques et sains. Il
faut cher­cher des solu­tions non vio­lentes aux problèmes
aux­quels l’humanité est confron­tée à tous ses
niveaux.

Pro­gramme
de recherche

1)
Non-vio­lence et sociologie

Rela­tions
entre les races. Rela­tions éco­no­miques. Conflits entre les
classes, syn­di­cats ouvriers, coopé­ra­tives. Relations
pro­prié­taires-loca­­taires. Conflits de reli­gion, de
langue. Les mino­ri­tés. Cri­mi­no­lo­gie et sys­tème pénal.
Trai­te­ment des débiles mentaux.

2)
Non-vio­lence et éducation

Défi­ni­tion
de l’éducation. Des méthodes anciennes aux modernes.
La famille et l’éducation avant l’école.
L’éducation à l’école et à
l’université : pro­grammes, pers­pec­tives inter­na­tio­nales, vie
com­mune en école. Edu­ca­tion com­plé­men­taire, éducation
et obéis­sance (natio­nale, reli­gieuse, politique).
Recherches sur l’éducation et les méthodes.

3)
Non-vio­lence et planification

Vio­lence
attri­buée au manque de pla­ni­fi­ca­tion. Désa­van­tages de
la pla­ni­fi­ca­tion basée sur la vio­lence. Besoin d’une
métho­do­lo­gie de pla­ni­fi­ca­tion en tenant compte de la
socio­lo­gie, de l’éducation, des rela­tions nécessaires
entre indi­vi­dus, groupes, fédé­ra­tions et autorité
centrale.

4)
Non-vio­lence et politique

Non-vio­lence
dans le pas­sé (cf. expé­di­tions eth­no­lo­giques modernes).
Non-vio­lence et ins­ti­tu­tions poli­tiques natio­nales et
inter­na­tio­nales. Non-vio­lence et déco­lo­ni­sa­tion. Non-violence
et conflits internatio­naux. Stra­té­gie de défense
non violente.

atti­tude
révo­lu­tion­naire de l’IRG

Si
nous vou­lons réel­le­ment la paix nous devons aller au-delà
de la résis­tance indi­vi­duelle et affir­mer notre intention
d’opérer des chan­ge­ments tout à fait fondamentaux
dans l’ordre social et la condi­tion humaine. Une organisation
paci­fiste, dans la seconde moi­tié du 20e siècle
doit faire par­tie d’un mou­ve­ment non violent et révolutionnaire
conti­nu si elle veut avoir une quel­conque valeur. Et cette révolution
doit com­men­cer dans cha­cun de nous parce que celui qui n’a
pas reje­té la vio­lence pour lui-même ne peut espérer
la ban­nir de la socié­té. Il aura au contraire une
chance d’être écou­té s’il pré­sente son
paci­fisme, sa non-vio­lence comme une par­tie essen­tielle de la vie, du
bon­heur social, maté­riel et spirituel.

Tra­vaux
en cours

Il
s’agit d’études dans la triple optique paci­fiste, non
vio­lente et révo­lu­tion­naire ani­mées par l’IRG et
concré­ti­sées au cours de confé­rences annuelles
ou de chan­tiers inter­na­tio­naux. Nous nous sommes limi­tés aux
thèmes étu­diés ces trois der­nières années
et citons sans nous y attar­der la confé­rence de 1965 à
Pérouse consa­crée à l’entraînement à
la non-vio­lence car nous serons appe­lés à y reve­nir au
sujet de l’action non vio­lente ; les deux thèmes essentiels
étu­diés sont : l’éducation pour un monde sans
guerre (Confé­rence de Var­so­vie, 1966), la non-vio­lence et la
poli­tique. (Une confé­rence sur ce thème en 1966, une
autre cette année 1968 à Dar es-Salam en Tan­za­nie sur
les pro­blèmes africains).

Édu­ca­tion
pour un monde sans guerre

« La
paix ne pour­ra régner sur le globe aus­si long­temps que la
liber­té de l’individu sera abo­lie, dans l’intérêt
d’une classe, d’une race, d’une croyance ou encore dans
l’intérêt de la paix elle-même. » Herbert
Read.

« Pour
construire la per­son­na­li­té de l’individu, nous devrions
atta­cher de l’importance à sa capa­ci­té de suivre la
voix de sa conscience plu­tôt que d’obéir à des
ordres venant d’en haut. Chaque indi­vi­du devrait pen­ser par
lui-même et être res­pon­sable de ses propres actions et
dans une grande mesure aus­si de celles de ses sem­blables. Nous
pen­sons qu’avec de tels citoyens, nous pour­rions vivre dans monde
sûr et sain. » Devi Pra­sad (secr. de l’IRG) Cette
confé­rence est un excellent exemple de dia­logue positif
puisqu’elle a été menée conjoin­te­ment par
l’IRG et le Conseil mon­dial de la paix qui regroupe les
orga­ni­sa­tions paci­fistes de l’Est. Les expo­sés et
confé­rences étaient répar­tis en trois grands
chapitres :


Pre­mières années.


Années scolaires.


Édu­ca­tion des éducateurs.

Des
idées se dégagent des expo­sés et discussions :


Dan­ger de l’obéissance : la tâche de préparer
l’individu à faire face à des situa­tions où
l’obéissance pour­rait être extrêmement
désas­treuse et immorale.


Néces­si­té d’encourager l’initiative motivée
plu­tôt que de la réprimer.


Uti­li­té des voyages à l’étranger et mieux des
camps de tra­vail inter­na­tio­naux pour la for­ma­tion des enseignants.


Uti­li­té de la dis­cus­sion : les dis­cus­sions modi­fient les
atti­tudes plus sou­vent que les cours ou les conférences.


Dif­fi­cul­té de conduite d’une dis­cus­sion : savoir écouter
et se taire.

Cepen­dant
l’étude de Her­bert Read, les condi­tions de la paix,
mérite d’être appro­fon­die pour ses implications
psy­cho­lo­giques et socio­lo­giques et pour le plan d’action qu’il
préconise.

Les
condi­tions de la paix

« La
guerre est une fonc­tion de l’État, par consé­quent la
paix dépend de la décen­tra­li­sa­tion du pouvoir ».
Il y a aus­si le pro­blème des foules, l’instinct grégaire,
le goût pour l’irrationnel, mais, Read cite Trotter : «
 La dif­fi­cul­té ne réside pas dans l’irrationalisme,
dans une nette pré­fé­rence pour l’irrationnel, mais
dans la sug­ges­ti­bi­li­té, c’est-à-dire dans l’aptitude
à accep­ter aus­si bien la rai­son que la dérai­son, pour
peu que l’une ou l’autre vienne du bon côté ».
Dès lors Read consi­dère qu’il faut s’attaquer au
pro­blème de la liber­té indi­vi­duelle pour dimi­nuer cette
sug­ges­ti­bi­li­té mais pour ce faire nous devons « exorciser
les démons de l’agression qui nous habitent sinon nous
n’aurons rien fait et nous ne pour­rons rien faire pour résoudre
les pro­blèmes de la guerre ».

Pour
les « exor­ci­ser », il faut d’abord les connaître et
l’on peut s’appuyer sur les conclu­sions des psy­cha­na­lystes pour
dire que ces réac­tions spon­ta­nées d’agression
pro­viennent d’un refou­le­ment des ins­tincts sexuels. « Toute
la struc­ture de la socié­té (famille, groupe, tribu,
nation) est fon­dée sur le détour­ne­ment des instincts
égoïstes. Lorsque ce détour­ne­ment est réussi,
on dit que l’instinct a été subli­mé, quand il
échoue (agres­sion per­son­nelle, guerre) on parle de
frustration.

« Il
n’y a jamais eu d’expérience diri­gée mon­trant ce
que devien­drait une socié­té prise dans sa totalité,
si de sem­blables contraintes étaient levées. En règle
géné­rale, les peuples pri­mi­tifs sont moins agressifs
que les peuples civi­li­sés ». Read cite Geof­frey Gorer
qui écrit dans « Le 20 Siècle » paru en 1960
 : « Dans l’histoire de l’humanité, la guerre est une
inven­tion récente, presque cer­tai­ne­ment pos­té­rieure à
la révo­lu­tion agricole ».

Toutes
les décou­vertes de la psy­cha­na­lyse montrent que c’est dans
la période de la pre­mière enfance et plus
par­ti­cu­liè­re­ment dans la phase de l’allaitement que
l’agressivité appa­raît chez l’individu. La seule
méthode qui réus­si­ra à long terme à
vaincre la vio­lence et la guerre passe donc, comme le préconisait
Jung, par des recherches psy­cho­lo­giques fon­da­men­tales au niveau
inter­na­tio­nal, et il est aber­rant de consta­ter qu’à côté
d’instances inter­na­tio­nales sur les sujets les plus futiles rien ne
soit fait ni même esquis­sé dans ce domaine.

Actions
immé­diates pré­co­ni­sées par H. Read

1)
Soins à l’enfance sur le plan inter­na­tio­nal, avec des
spé­cia­listes éprou­vés, éducation
pré­na­tale et post­na­tale des­ti­née à éviter
les for­ma­tions d’anxiété et à per­mettre des
rela­tions déten­dues et heu­reuses entre la mère et
l’enfant. Cela pré­sup­pose la satis­fac­tion des besoins
maté­riels, la faim est un des ins­tincts pri­maires qui devient
cause de frus­tra­tion et d’agression si elle n’est pas apaisée ;

2)
Réorien­ta­tion de l’éducation vers le concret, vers la
nature ;

3)
Réorien­ta­tion de l’éducation vers des fins créatrices
et constructives.

« L’œuvre
d’art n’est pas un orne­ment : c’est l’expression d’un des
plus pro­fonds ins­tincts de l’homme, l’instinct qui le pousse à
étendre le domaine de sa per­cep­tion sen­sible. Cet instinct
pré­side au déve­loppement des sens au cours de
l’enfance et, s’il se pro­longe dans l’âge adulte, incite
habi­tuel­le­ment les hommes à pré­fé­rer les
acti­vi­tés construc­tives aux acti­vi­tés destructives. »

Cepen­dant
Read pro­pose dès à pré­sent des méthodes
indi­rectes d’empêcher la guerre en ten­tant « de
détour­ner cette éner­gie per­verse vers des sen­ti­ments de
com­mu­nau­té, d’identification », mais il ne se dissimule
pas que ces méthodes ne peuvent don­ner de résul­tats à
brève échéance et que la seule méthode
qui pour­rait stop­per immé­dia­te­ment la guerre serait la
résis­tance non vio­lente uni­ver­selle de tous les peuples à
leurs gou­ver­ne­ments fau­teurs de guerre en exer­cice ou en puissance.

Contre
la fameuse « civi­li­sa­tion de consom­ma­tion », il cite
Saint-­Exu­pé­ry : « Une civi­li­sa­tion est fondée
sur ce qu’elle exige des hom­mes et non sur ce qu’elle leur
pro­cure », et il y voit une des causes essen­tielles de
frus­tra­tion et par suite d’agressivité.

Non-vio­lence
et politique

Au
cours de cette confé­rence, aucune motion, aucune résolution
finale, mais des points de vue échan­gés et certaines
idées affermies.

Dix-sept
notes demandent une inter­na­tio­nale non vio­lente pour résoudre
les inco­hé­rences politiques.

On
s’intéresse beau­coup à l’expérience
you­go­slave de décen­tra­li­sa­tion qui amène à
recher­cher un sys­tème poli­tique sans par­ti auquel
par­ti­ci­pe­raient toutes les orga­ni­sa­tions syn­di­cales ou autres. Le
fac­teur com­mun est qu’il n’y a pas d’avenir paci­fique sans
change­ment de struc­tures poli­tiques. Il faut donc ana­ly­ser les
semences capables de pro­duire ce changement.

Vision
d’une socié­té nouvelle

C’est
sous ce titre, qu’en dis­cours d’ouverture, Arthur Was­kow, de
l’Institut d’études poli­tiques de Washing­ton, essaya de
mettre au jour les germes d’un chan­ge­ment pos­sible exis­tant dès
à présent.

1)
Com­pré­hen­sion (lente) des gou­ver­ne­ments que la guerre n’est
pas inté­res­sante pour eux assor­tie de décou­vertes plus
astu­cieuses pour jus­ti­fier des struc­tures militaires.

2)
Reven­di­ca­tion de ceux qui sont écar­tés de la politique
dans tous les pays pour une par­ti­ci­pa­tion aux déci­sions qui
engagent leur vie et éla­bo­ra­tion d’une « tech­no­lo­gie de
la révo­lu­tion et de la rébel­lion » propre à
impo­ser par la force l’accueil des exclus dans le corps politique.

3)
Nais­sance d’une nou­velle classe « d’intellectuels
pro­lé­ta­ri­sés », ren­due dis­po­nible par l’automation
(par­fois à tra­vers le chô­mage) pour l’engagement
poli­tique vers un chan­ge­ment social et appe­lée à vivre
hors de ses fron­tières au sens propre et au sens figuré.

Dans
tous les cas, pour faire ger­mer ces semences, le paci­fisme doit
déve­lop­per un arse­nal nou­veau d’armes non vio­lentes pour
assu­mer le rôle de fer de lance dans ces chan­ge­ments, seule
garan­tie de la sur­vi­vance humaine et du déve­lop­pe­ment de la
liber­té, car il est à pré­voir que les
gou­ver­ne­ments contraints tac­ti­que­ment d’employer des « forces
sans armes » ten­te­ront de les uti­li­ser à des fins que
nous désapprouvons.

Vio­lence
en Afrique

Sous
ce titre et dans le cadre de la pro­chaine confé­rence de
Dar-es-­Sa­lam sur les pro­blèmes afri­cains, Pierre Martin
fait le point sur le pro­blème de la vio­lence en Afrique. Il
montre que l’histoire afri­caine est des plus paci­fiques (réfé­rence
faite à l’histoire euro­péenne et à ses guerres
inces­santes) : « L’hérédité de la
vio­lence s’inscrit dans la période colo­nia­liste et dans sa
plus ignoble sécré­tion : la traite des esclaves. »

«
 Dans l’inconscient de ceux qui sont res­tés sur la terre
d’Afrique sont encore gra­vés la peur, la ter­reur, l’horreur
des fuites pré­ci­pi­tées et les cris de ven­geance des
familles ampu­tées d’êtres chers. »

Une
réfé­rence au film afri­cain Niayes (L’Africain
para qui au retour d’Indochine tue le chef de vil­lage par dépit
de n’être pas pris au sérieux) per­met de poser le
pro­blème de l’acculturation, source de vio­lence. « Les
habi­tants des pays à civi­li­sa­tion indus­trielle sont peu
conscients des sources d’agressivité qui naissent de leur
style de vie, c’est seule­ment quand ils sont témoins du
com­por­te­ment violent d’un citoyen qu’ils se posent des
ques­tions. » La rup­ture de rythme de vie est beau­coup plus
sen­sible chez l’Africain qui a connu un autre mode d’organisation
non géné­ra­teur de vio­lence. « La peur,
l’angois­se, fac­teurs émi­nem­ment générateurs
d’un com­por­te­ment anor­mal et sou­vent violent, sont beau­coup moins
les domi­nantes de l’homme de la brousse que de l’habitant des
villes afri­caines. » (Étude faite à l’hôpital
psy­chia­trique de Dakar).

«
 Cette accul­tu­ra­tion par une rup­ture de l’harmonie ances­trale entre
l’homme et le milieu engendre une ten­sion dou­lou­reuse et parfois
une psy­chose destructrice. »

Cer­tains
apports reli­gieux sont géné­ra­teurs de violence :

 — Le
sen­ti­ment de l’honneur de l’islam ame­nant à vouloir «
 sau­ver la face » à tout prix.

 — Le
chris­tia­nisme qui fait appel à la conscience et à
l’humilité mais qui s’est trop confon­du, sur­tout le
catho­li­cisme, avec une reli­gion d’oppresseurs sans conscience et
sans humilité.

Les
armées et les fonc­tion­naires sont aus­si sources de violence.
L’introduction de ces classes bien payées dans un milieu
agri­cole pau­vre engendre la haine en créant une inégalité
incon­nue aupa­ra­vant. Leur action est déri­soire sur un plan
pure­ment stra­té­gique et leur rai­son d’être est
uni­que­ment aujourd’hui la conquête du pou­voir. Mais cette
prise du pou­voir par les mili­taires semble une constante dans les
pays sous-déve­lop­pés et n’est en réalité
qu’une séquelle du pro­blème essen­tiel : le
sous-développement.

D’autre
part l’économie pla­ni­fiée n’est effi­cace que si
elle s’appuie sur une éco­no­mie inté­rieure vivante, et
le rap­port de l’Organisation com­mu­nau­taire de développement
éco­no­mique conclut en des termes qui ont été
étu­diés aupa­ra­vant par Gand­hi et adop­tés par le
Sar­vo­daya : « On ne peut brû­ler l’étape du
déve­lop­pe­ment des vil­lages, ils doivent d’abord assu­rer leur
sub­sis­tance et faire un mini­mum d’artisanat, au lieu d’être
enrô­lés comme de simples pions dans un plan étatique
visant avant tout à déve­lop­per les exportations,
sources de pré­cieuses devises, aus­si­tôt englou­ties dans
les achats de vivres. »

La
non-vio­lence en Afrique

On
ne doit pas oublier que c’est en Afrique que Gand­hi a initié
ses pre­mières théo­ries et ses premières
cam­pagnes non vio­lentes. Mais il y a chez les Afri­cains, de par leur
civi­li­sa­tion propre, une pro­pen­sion à la non-vio­lence plus
forte que chez les Euro­péens. Lors de son jeûne à
Accra pour pro­tes­ter contre les essais nucléaires français
au Saha­ra, Pierre Mar­tin trou­va une cen­taine d’hommes et de femmes
qui se joi­gnirent spon­ta­né­ment à lui et qui se
sen­taient pro­fon­dé­ment enga­gés par leur geste.

Des
sectes reli­gieuses qui se recom­mandent de la non-vio­lence ont une
audience très forte, citons les chré­tiens kibanguistes
au Congo, la secte musul­mane des Mou­rides au Sénégal
fon­dée par Cheick Ama­dou Bam­ba qui résis­ta à la
colo­ni­sa­tion mili­taire fran­çaise par la non-vio­lence et qui
compte envi­ron un mil­lion d’adeptes.

En
conclu­sion de son étude, Pierre Mar­tin se défend de
res­ter sur un plan théo­rique et a en vue des actions concrètes
mais pense « que chaque lec­teur doit d’abord faire l’effort
per­son­nel de recherche d’une forme d’action s’il se sent
concerné. »

Michel
Bouquet

La Presse Anarchiste