La Presse Anarchiste

Défense collective non-violente

Nous
avons vu que les paci­fistes inté­graux déclar­ent que le
désarme­ment uni­latéral est le moyen le plus sûr
pour n’être pas envahi. Mais, même désarmé,
un pays n’est pas pour cela non vio­lent, et se pose alors le
prob­lème d’une défense col­lec­tive non vio­lente. Peu
nom­breuses et peu con­nues sont les expéri­ences qui pourraient
inspir­er ce genre de défense. Nous ten­tons ici une première
approche de cette ques­tion avec l’expérience norvégienne
de résis­tance non vio­lente con­tre les nazis et les Norvégiens
pro-nazis.

En
1935, vu les événe­ments en Alle­magne, des mesures
furent pris­es pour ren­forcer l’armée norvégienne,
mais d’une façon assez timide qui pro­duisit très peu
d’effets réels. Un Norvégien pro-nazi, Quisling,
essayait depuis 1933 d’introduire les idées nazies, mais son
par­ti, le Nasjon­al Sam­ling (le rassem­ble­ment nation­al) ne réussit
jamais à être représen­té au parlement.
L’opinion publique, en général, man­i­fes­tait une assez
forte répro­ba­tion à utilis­er la vio­lence comme moyen de
résoudre les con­flits, il n’en reste pas moins que les
organ­i­sa­tions paci­fistes avaient très peu de membres.
Peut-être la très longue péri­ode de paix leur
per­me­t­tait-elle de croire qu’il y aurait désor­mais d’autres
moyens, moins détesta­bles, pour lut­ter et qu’il était
donc inutile de s’organiser en vue d’une résistance
qu’elle soit vio­lente ou non violente.

C’est
dans ce con­texte qu’a lieu l’invasion le 9 avril 1940. Les
Norvégiens lui opposent d’abord une résis­tance armée
qui prend fin début juin quand le roi et le gouvernement
s’envolent pour Lon­dres. L’occupation com­mence. Les nazis avaient
cru que les Norvégiens, qui étaient de race aryenne,
adopteraient la doc­trine nazie facile­ment et con­tribueraient à
la dévelop­per. Ils espéraient ne pas avoir beau­coup à
lut­ter. En cas de résis­tance, ils pen­saient l’écraser
rapi­de­ment. Ils insistèrent plutôt sur le fait qu’ils
venaient en amis délivr­er la Norvège des démons
de la démoc­ra­tie et mon­tr­er aux Norvégiens les
avan­tages du nou­veau sys­tème. La lutte con­tre les Norvégiens
devait donc essen­tielle­ment se situer sur un plan idéologique
par le rem­place­ment pro­gres­sif de la démoc­ra­tie par le
nation­al-social­isme, des habi­tudes de responsabilité
indi­vidu­elle par le dirigisme, du roi par un führer. Les
Alle­mands met­tent d’abord tout en œuvre pour bous­culer le moins
pos­si­ble les habi­tudes du pays. C’est ain­si, par exem­ple, qu’ils
acceptent qu’un con­seil d’administration norvégien
con­tin­ue de s’occuper des affaires intérieures du pays (il
res­ta en place pen­dant six mois). D’un autre côté, les
syn­di­cats norvégiens per­me­t­tent aux Alle­mands de remplacer
leurs respon­s­ables, élus au suf­frage uni­versel, par des
per­son­nes nom­mées par les nazis, craig­nant, sinon, qu’une
oppo­si­tion amène la destruc­tion com­plète des
organ­i­sa­tions ouvrières qu’ils avaient mis tant d’années
à bâtir. Ces con­ces­sions de part et d’autre
main­ti­en­nent le cli­mat de con­fu­sion qui régna après
l’effondrement de la résis­tance mil­i­taire ; et durant l’été
1940 aucune nou­velle forme de résis­tance ne se fit sentir.

C’est
en automne 1940, lorsque le gou­verne­ment de Quis­ling exige que tous
les fonc­tion­naires sig­nent une déc­la­ra­tion de loyauté
envers le nou­veau régime, que la résis­tance apparaît.
Un grand nom­bre refuse. Les Alle­mands sont alors con­va­in­cus que les
Norvégiens n’adopteront pas les idées nazies de leur
plein gré et ils cherchent les moyens pour les impos­er, mais à
ce stade encore avec peu de bru­tal­ité. Ils com­men­cent par
dis­soudre le gou­verne­ment et les par­tis poli­tiques (sep­tem­bre 1940).
Ils essayent d’introduire la doc­trine nazie dans les universités
et les écoles. Ils organ­isent des expo­si­tions sur la jeunesse
alle­mande que les écol­iers norvégiens vis­i­tent au pas
de course et les yeux bais­sés. Ils organ­isent des réunions
et des con­férences de pro­pa­gande que les Norvégiens
boy­cottent ou sabo­tent en les chahutant.

La
résis­tance ne s’organise pas seule­ment dans le milieu de
l’enseignement mais chez les médecins, les acteurs, le
clergé. Les Alle­mands ne réus­sis­sent pas davan­tage à
impos­er leur doc­trine ; les organ­i­sa­tions de jeunesse sont désertées
au fur et à mesure que les nazis norvégiens s’en
empar­ent. De plus en plus, les gens cherchent les moyens de s’opposer
au régime, mais il sem­ble, encore à cette époque
(automne 1940), qu’ils aient été davan­tage poussés
à agir par une sorte d’instinct, né du dégoût
que leur inspi­rait le com­porte­ment des Alle­mands, que par une idée
théorique de la non-vio­lence. Certes, on com­mençait à
se deman­der com­ment organ­is­er la vie si l’occupation devait durer
pen­dant des années, mais ce n’est que lorsque la répression
devint plus dure que la résis­tance se développa.

Durant
l’hiver 1941, plusieurs actions de résis­tance sont menées
avec suc­cès. Un décret oblig­eait les pas­teurs à
don­ner à la Gestapo des ren­seigne­ments placés sous le
secret pro­fes­sion­nel, le refus d’obéissance con­duisant à
l’emprisonnement. Une protes­ta­tion est organ­isée par les
pas­teurs et les évêques sous forme d’une lettre
pas­torale lue dans toutes les églis­es et distribuée
comme tract. Divers décrets con­cer­nant l’enseignement
(révi­sion de l’Histoire suiv­ant le pro­gramme nazi,
rem­place­ment de l’anglais par l’allemand, etc.) provo­quent une
grève générale des enseignants soutenus par les
par­ents d’élèves et l’Église. Le
gou­verne­ment de Quis­ling sem­ble avoir capit­ulé car aucune
répres­sion n’eut lieu. Il ne réag­it pas non plus
quand une déc­la­ra­tion fut signée par les représentants
de vingt-deux organ­i­sa­tions pour pro­test­er con­tre le décret
qui posait l’appartenance au Nasjon­al Sam­ling comme con­di­tion sine
qua non pour occu­per des postes impor­tants. Une nou­velle déclaration
est envoyée au mois de mai, signée cette fois par une
quar­an­taine d’organisations dont beau­coup de syn­di­cats. Ceux-ci
qui, au début, par souci de con­ser­va­tion, avaient accepté
de col­la­bor­er avec les nazis, se sont alors ren­du compte du danger
qu’ils couraient à accepter les méth­odes de
l’occupant. Le gou­verne­ment sévit en empris­on­nant tous les
lead­ers, puis il fait sem­blant de céder en les libérant
peu après, mais il provoque de nou­veau les tra­vailleurs, en
refu­sant une aug­men­ta­tion de salaire pour com­penser la hausse des
prix et l’annulation de la dis­tri­b­u­tion de lait dans les usines :
ils se met­tent en grève le 8 sep­tem­bre. L’état
d’urgence est déclaré. Deux grévistes sont
fusil­lés pour l’exemple, beau­coup d’autres emprisonnés.
La Gestapo et l’armée font régn­er la ter­reur. Partout
les respon­s­ables norvégiens des con­seils régionaux sont
relevés de leurs fonc­tions et rem­placés par des
pro-nazis. Toute col­lab­o­ra­tion est main­tenant arrêtée.
L’occupant ne prend plus de gants, mais utilise la vio­lence partout
où il ren­con­tre de la résis­tance. Celle-ci, qui,
jusqu’à présent, avait plutôt un caractère
spon­tané et très peu organ­isé est ren­due plus
effi­cace. Les respon­s­ables empris­on­nés sont remplacés
par des per­son­nes moins con­nues. Une organ­i­sa­tion d’espionnage est
mise sur pied ; ain­si la plu­part des plans et décrets sont
con­nus de tous longtemps avant d’être appliqués.
Mal­gré la con­fis­ca­tion des appareils de radio, la résistance
peut rester en con­tact avec Lon­dres (grâce aux postes de radio,
amenés en con­tre­bande de Suède) et reçoit des
infor­ma­tions qu’elle dif­fuse ensuite dans des jour­naux clandestins.
La stratégie est coor­don­née et un réseau créé
pour faire pass­er à l’étranger les résistants
trop con­nus et recher­chés par le gou­verne­ment. Ceux qui n’ont
plus de revenus (pas­teurs, enseignants, etc.) sont soutenus par des
caiss­es de sol­i­dar­ité. À l’automne 1941, beau­coup de signes
lais­sent prévoir que les Alle­mands se pré­par­ent à
réor­gan­is­er la société norvégi­en­ne sur le
mod­èle de la société hitléri­enne. On
pou­vait compter sur un embri­gade­ment de toutes les pro­fes­sions dans
une « loi de tra­vail » oblig­a­toire. Il fal­lait se préparer.
Il était d’autant plus impor­tant d’être bien préparé
que l’on ne savait pas exacte­ment où allait frapper
l’ennemi.

Décem­bre
1941, jan­vi­er 1942, fut une péri­ode de fébrile
pré­pa­ra­tion. Grâce au mépris que les nazis
avaient pour les femmes et leurs capac­ités, elles circulent
facile­ment sous de faux pré­textes pour nouer des contacts
utiles. À cause des fêtes de fin d’année, on ose aussi
se réu­nir en groupes plus impor­tants. Cepen­dant, en février
1942, le pou­voir de Quis­ling se con­solide. Son but étant de
créer un État calqué sur le modèle
alle­mand, il com­mence par organ­is­er la jeunesse selon les Jeunesses
hitléri­ennes et puis il instau­re un sys­tème corporatif.
Fal­lait-il pass­er à l’action ou atten­dre encore un peu ? Une
carte postale cod­i­fiée est envoyée par les
organ­i­sa­tions de résis­tance pour son­der l’opinion publique.
Des cir­cu­laires sont ensuite dif­fusées le 14 février
inci­tant les gens à pro­test­er par let­tre à envoy­er le
20. Le gou­verne­ment est ain­si inondé de cour­ri­er car environ
10000 enseignants écrivent : « Je ne peux éduquer
la jeunesse suiv­ant les direc­tives don­nées. Puisque l’adhésion
au syn­di­cat des enseignants implique l’exécution d’ordres
qui sont en con­tra­dic­tion avec ma con­science je vous informe que je
ne me con­sid­ère plus comme mem­bre du syndicat. »

Le
min­istère de l’Éducation annonce que les écoles
seront fer­mées « par manque de com­bustible ». Il
espère ain­si affaib­lir la sol­i­dar­ité des enseignants.
En cela il com­met une erreur car un tel argu­ment ne peut pas être
pris au sérieux dans un pays ayant tant de forêts.
Cepen­dant, jouant le jeu, les Norvégiens envoient du bois pour
chauf­fer les écoles tout en s’interrogeant sur les vraies
raisons de cette fer­me­ture. Les enseignants prof­i­tent de cette
sit­u­a­tion pour informer l’opinion publique.

Le
gou­verne­ment essaye alors l’intimidation. Il proclame que dans tel
ou tel dis­trict 100 % des enseignants sont devenus mem­bres de la
cor­po­ra­tion. Per­son­ne cepen­dant n’est dupe, sachant qu’il s’agit
d’exemples pris dans des régions peu peuplées.
Pen­dant ces « vacances », les enseignants don­nent leurs
cours à domi­cile. Le gou­verne­ment est de nou­veau inondé
de let­tres : ce sont les par­ents d’élèves qui
protes­tent con­tre la fer­me­ture des écoles. La date lim­ite pour
les enseignants d’adhérer à la cor­po­ra­tion est fixée
au 15 mars. Dans les jours qui suiv­ent un mil­li­er d’enseignants
env­i­ron sont arrêtés et enfer­més dans un camp de
con­cen­tra­tion. Ils subis­sent un « traite­ment » gradu­el et
pro­longé des­tiné à créer un cli­mat de
ner­vosité et un sen­ti­ment d’insécurité pour
ain­si user leurs capac­ités de résis­tance. Pen­dant ce
temps, les écoles rou­vrent (le 8 avril). Tous ceux qui
repren­nent le tra­vail sig­nent une déc­la­ra­tion expliquant
qu’ils font cela dans l’intérêt des enfants, mais
qu’ils refusent tou­jours de faire par­tie de la cor­po­ra­tion. Au
camp, on promet à tous ceux qui veu­lent sign­er de passer
l’éponge. 37 sur 687 capit­u­lent. Les enseignants qui
n’avaient pas été arrêtés tra­versent des
moments dif­fi­ciles. Le gou­verne­ment fait pres­sion sur eux : ceux qui
sont empris­on­nés seront fusil­lés s’ils n’adhèrent
pas au syn­di­cat. Un grave prob­lème de con­science se pose
donc… ils déci­dent cepen­dant de courir le risque et ne
fléchissent pas. Per­son­ne n’est fusil­lé, mais
quelques jours après 500 enseignants sont entassés dans
des wag­ons à bes­ti­aux en direc­tion de Trond­heim. Là, on
les fait embar­quer sur un bateau con­stru­it pour 100 per­son­nes. Les
pas­sagers igno­raient tout du sort qui leur était réservé.
Plusieurs pen­saient que le bateau serait con­duit en pleine mer et
coulé ; on en rendrait respon­s­able les sous-marins ou les
bom­bardiers alliés. Après ce voy­age périlleux,
ils sont instal­lés dans un camp où ils ne subis­sent pas
de « traite­ment » mais où ils doivent travailler.
Ils déchar­gent des navires. Comme les caiss­es contiennent
aus­si des armes, ils se deman­dent s’il ne faut pas refuser ce
tra­vail. Après dis­cus­sions, on adopte la méth­ode « go
slow » qui con­siste à faire le tra­vail le plus lentement
possible.

Le
temps s’écoule lente­ment pour les pris­on­niers. Vivant dans
des con­di­tions dif­fi­ciles leur prin­ci­pale préoc­cu­pa­tion est de
sur­vivre. Ils ne se soucient guère de l’effet que cette
dépor­ta­tion pro­duit sur la pop­u­la­tion. Ils ne se sen­tent pas
spé­ciale­ment héroïques et cer­tains d’entre eux
auraient peut-être retiré leur protes­ta­tion si les
Alle­mands leur en avaient don­né alors la possibilité.
Mais le peu­ple norvégien ne les oublie pas et quand enfin ils
sont ramenés en Norvège, au mois de novem­bre, ils sont
accueil­lis comme des héros nationaux.

Quis­ling
n’ose pas pren­dre des mesures glus sévères et doit
recon­naître sa défaite. Lors d’une réunion
publique, il s’écria : « Vous, les enseignants, vous
avez fait échouer mes pro­jets ! » Peu après,
Hitler lui-même ordonne à Quis­ling d’abandonner la
créa­tion d’un État corporatif.

  *  *

Quels
sont les enseigne­ments que nous pou­vons tir­er de cette expérience ?

Ceux
qui, aujourd’hui, pensent que cette résis­tance non violente
n’était qu’un pau­vre sub­sti­tut employé seulement
après l’échec mil­i­taire ont chronologique­ment raison.
L’exemple norvégien, en ce sens, ren­force l’idée
que beau­coup de gens ont de la non-vio­lence : ils la voient comme une
forme de lutte des seuls « désespérés ».
Même si, dans ce cas spé­ci­fique, cela sem­ble être
vrai, on ne peut, à notre avis, porter un juge­ment trop rapide
sur une telle résis­tance. Le fait que cette méth­ode ait
réus­si là où la vio­lence avait échoué
devrait au con­traire faire réfléchir. On ne peut, bien
sûr, présen­ter cette expéri­ence comme une
solu­tion clé, comme une garantie de réus­site pour
l’avenir, mais l’analyse du con­texte général dans
lequel elle eut lieu doit per­me­t­tre de dégager cer­taines « lignes de con­duite » sur lesquelles nous pour­rons nous appuyer
dans les actions à venir.

Rechercher
le suc­cès de cette résis­tance unique­ment dans les
fac­teurs his­toriques me sem­ble heureuse­ment insuff­isant car cela
restreindrait sin­gulière­ment les con­di­tions d’emploi de ces
méth­odes. Il est vrai que les Norvégiens n’avaient
pas con­nu la guerre depuis longtemps et d’une façon générale
cela leur a per­mis de se con­sacr­er entière­ment à la
con­struc­tion de leur société. Mais ils n’avaient
nulle­ment prof­ité de cette péri­ode de paix pour
s’organiser en vue d’une occu­pa­tion, bien au con­traire. Les
organ­i­sa­tions paci­fistes végé­taient et de l’autre
côté l’armée était de faible puissance.

Par
con­tre, une cer­taine struc­ture de la société a
peut-être per­mis de met­tre ce sys­tème de défense
en place rapi­de­ment. L’autogestion locale, par exem­ple, était
assez dévelop­pée, et nom­breux étaient ceux qui
fai­saient par­tie d’une organ­i­sa­tion quel­conque (poli­tique,
cul­turelle, sportive, religieuse, etc.) où ils avaient acquis
l’habitude des respon­s­abil­ités. Cette apti­tude aux
ini­tia­tives devant des sit­u­a­tions cri­tiques fut sans doute un facteur
impor­tant et explique en grande par­tie un fait assez remar­quable dans
l’organisation de cette résis­tance : l’absence d’un
chef. On ne savait jamais de qui venaient les con­signes mais elles
étaient tou­jours suiv­ies parce qu’elles étaient
trans­mis­es par des hommes qui s’étaient eux-mêmes
estimés respon­s­ables. Or, pour que cha­cun se sente
respon­s­able, il faut d’abord qu’il soit con­cerné, ce qui
implique qu’il soit « en sit­u­a­tion » : ainsi
pour­rait-on croire qu’en péri­ode d’occupation la
majorité des habi­tants du pays étant, théoriquement
« en sit­u­a­tion de résis­tance » la prise de
con­science des indi­vidus serait plus rapi­de et plus généralisée.
Mais l’exemple norvégien mon­tre bien qu’il ne suf­fit pas
seule­ment d’«être en sit­u­a­tion d’occupé »
pour se sen­tir con­cerné par l’occu­pation car il existe
toutes sortes de « freins » (posi­tion familiale,
pro­fes­sion­nelle, etc.). C’est ain­si qu’il n’y eut qu’une
minorité qui prit une part active à la résistance
non vio­lente, env­i­ron 2% de la pop­u­la­tion. Il y avait aus­si ceux qui
après leur prise de con­science adop­taient les méthodes
vio­lentes en rejoignant des groupes de car­ac­tère maquisard.

Alors,
com­ment faire, d’une part pour lim­iter les « freins »
qui empêchent cer­tains de s’engager et, d’autre part, pour
« canalis­er » cet engage­ment vers la non-violence ?

Si
par­mi les résis­tants cer­tains con­nais­saient déjà
les actions de Gand­hi, aucun n’avait une for­ma­tion théorique
de la non-vio­lence. Ils com­prirent cepen­dant assez vite qu’il
fal­lait s’organiser pour assur­er un sou­tien économique aux
familles et ain­si libér­er des volon­taires pour des actions
plus poussées. Pour canalis­er l’action dans la direction
souhaitée, on mit en évi­dence les côtés
exal­tants et héroïques des actions non vio­lentes. Chacun
pou­vait être un héros et cepen­dant com­bat­tre sans
vio­lence. Celui qui était arrêté pour des
activ­ités illé­gales deve­nait lui aus­si héroïque
car même la plus petite action deve­nait impor­tante par le fait
qu’elle était violem­ment per­sé­cutée par
les nazis. Sous l’occupation, il n’y avait aucune com­mune mesure
entre l’importance de la peine infligée et la gravité
du « crime » commis.

Ain­si
on a pu voir qu’un pays qua­si­ment désar­mé, et que
l’on ne pou­vait guère accuser d’agressivité à
l’égard de l’Allemagne, n’était pas pour autant
non vio­lent. Ce pays cepen­dant a mon­tré qu’il était
capa­ble d’une cer­taine résis­tance qui présen­tait des
aspects non vio­lents. C’est cette expéri­ence réelle
qui nous fait met­tre en doute l’affirmation trop rapi­de des
paci­fistes inté­graux qu’un pays qui désarme ne risque
plus d’être envahi. C’est à par­tir de cette
expé­rience con­crète que nous voulons pos­er le
prob­lème d’une défense col­lec­tive non violente.

Plus
un pays est armé plus grands sont les risques qu’il soit
attaqué dis­ent les paci­fistes inté­graux. Il préconisent
donc le désarme­ment total uni­latéral comme étant
la pro­tec­tion la plus effi­cace con­tre le risque de guerre. Les
risques d’être envahi sont sans doute moin­dres, mais ils ne
sem­blent pas tout à fait exclus. Nous ne citons pas le cas de
la Norvège ici, car nous voyons très bien la différence
qui existe entre un pays « paci­fique » et un pays ayant
totale­ment renon­cé à l’armement. Il reste néanmoins
que pour jus­ti­fi­er sa volon­té de puis­sance un gouvernement
trou­ve tou­jours des argu­ments pour con­va­in­cre son peu­ple d’envahir
un autre pays. Ces argu­ments ne sont pas tou­jours basés sur la
notion de légitime défense et là, on peut citer
le cas de la Norvège.

Out­re
qu’un désarme­ment uni­latéral ne sem­ble donc pas être
une garantie absolue con­tre toute inva­sion, il appa­raît pour
l’opinion publique en général très utopique.
Que faire, d’une part pour que la cam­pagne de désarmement
uni­latéral paraisse moins utopique et, d’autre part, pour
faire com­pren­dre que bien qu’ayant renon­cé aux armes nous ne
nous lais­serons pas pour autant domin­er ? Nous pou­vons y pal­li­er en
tra­vail­lant à la mise en place d’une défense
col­lec­tive non vio­lente. Il ne suf­fit pas de déclar­er que nous
avons renon­cé aux armes, que nous con­sacrons désormais
cet argent et ces éner­gies à com­bat­tre les misères
dans le monde. Il faut aus­si de façon con­crète montrer
que nous sommes décidés à résis­ter par
des méth­odes non vio­lentes. Il est vrai qu’une telle défense
paraît pour beau­coup aus­si utopique qu’un désarmement
uni­latéral. Car même la Norvège qui a pourtant
employé la résis­tance non vio­lente avec succès
fait de nou­veau con­fi­ance à la force mil­i­taire. N’y
aurait-il pas là un défi lancé à ceux qui
par­lent d’une défense col­lec­tive non violente ?

Rap­pelons
que les méth­odes de résis­tance active n’étaient
employées que par une minorité qui n’avait qu’une
idée con­fuse de la non-vio­lence. De plus, très peu
d’efforts sérieux ont été faits pour conserver
et dévelop­per l’idée d’une résis­tance non
vio­lente. Il est donc nor­mal que la plu­part des Norvégiens
d’aujourd’hui croient que l’invasion n’aurait pas eu lieu
s’ils avaient été mieux armés en 1940. Mais
tout en accep­tant les quartiers généraux et les
aéro­dromes de l’OTAN, la Norvège se refuse à
l’installation de troupes étrangères impor­tantes sur
son ter­ri­toire ain­si qu’au dépôt de bombes atomiques,
et cela par peur d’être attaquée. Cette politique
boi­teuse fait que la Norvège actuelle­ment se trou­ve encore
plus « exposée » qu’en 1940 et pas davantage
pré­parée à subir une nou­velle occupation.

Le
suc­cès de cette résis­tance est dû à des
con­di­tions par­ti­c­ulières que l’on ne retrou­ve pas
oblig­a­toire­ment ailleurs. Cela nous per­me­t­trait d’affirmer que si
l’on pré­conise une défense col­lec­tive non vio­lente il
faut la pré­par­er sérieuse­ment : elle ne s’improvise
pas.

En
exam­i­nant les fac­teurs de réus­site de la résistance
norvégi­en­ne, nous nous apercevons qu’ils sont étroitement
liés à une cer­taine forme d’esprit (respon­s­abil­ité,
ini­tia­tive, etc.) qui ani­me ceux qui s’engagent. Il conviendrait
donc de créer le cadre où pour­ront se développer
ces qual­ités. Or, en tant qu’anarchistes, nous contestons
juste­ment les struc­tures autori­taires de la société,
fac­teur d’irres­ponsabilité et de pas­siv­ité. Mais
cette con­tes­ta­tion ne serait que ver­bale et assez néga­tive si
elle n’était pas accom­pa­g­née d’un effort de
réal­i­sa­tion immé­di­ate. Les méth­odes non
vio­lentes nous permet­tent une con­tes­ta­tion con­struc­tive et
four­nissent une forme de com­bat immé­di­ate con­tre les
injus­tices sociales, qui pré­pare les indi­vidus par la
par­tic­i­pa­tion directe, tout en s’inscrivant parfaite­ment dans
une per­spec­tive de défense non violente.

Ani­ta
Bernard


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