La Presse Anarchiste

Être et faire

Plon­gés
dans une socié­té où la vio­lence bru­tale ou
sour­noise est quo­ti­dienne, où la guerre est sans cesse
pré­pa­rée ou menée, il n’est pos­sible ni d’être
non violent ni d’être paci­fiste. À moins de rompre
défi­ni­ti­ve­ment avec le monde et de vivre en ermite (atti­tude
que je ne me per­mets pas de juger, mais qui, je pense, est sans
grande influence), il faut bien accep­ter une foule de com­pro­mis.
Vivre à chaque ins­tant selon tous ses prin­cipes se révélant
impos­sible, nous pou­vons adop­ter une atti­tude plus réaliste
fon­dée sur des actions qui les expriment et les réalisent
par­tiel­le­ment. Révo­lu­tion­naires, nous ne pou­vons témoigner
que d’un futur, et nos actes n’ont pour but que de démontrer
que ce futur est pos­sible…

Faire
l’avenir

Sur
l’utopie, nous sommes tous d’accord : on ne se bat­tra plus, on
s’aimera, on fera l’amour, pas la guerre… Dans la cité
idéale, nous serons libres, égaux et fra­ter­nels, comme
c’est écrit sur les pièces de cent sous. Mais il n’y
aura plus de pièces de cent sous : seule­ment l’abondance…
Arrê­tons le mas­sacre, je ne suis pas poète. Pas savant
non plus. Et mon pro­pos devrait s’arrêter là, car
seuls poètes et savants voient l’avenir… Est-ce bien sûr ? Avec une intui­tion vul­gaire et une logique de cer­ti­fi­cat d’études,
je dis­cerne que mes « valeurs », mes « principes »
se réfèrent, non, au pas­sé mais au monde qui
n’existe pas encore.
Pire ! Les mots pour le décrire
n’ont encore aucun sens. « Paix », qui définira
la paix ? On ne peut le faire que néga­ti­ve­ment, rela­ti­ve­ment à
la guerre ! Puisque les mots manquent, res­tent les moyens
d’expression plus directs : les actes. Nous voi­ci rame­nés à
l’action, donc à des pro­blèmes actuels (le
rap­pro­che­ment éty­mo­lo­gique n’est pas for­tuit!), ce qui nous
conduit à des dif­fé­rences stra­té­giques et
tac­tiques. C’est là que divergent non-vio­lents et
paci­fistes, bien plus que sur le « fond ».

Le
point de vue stratégique

Pour
des rai­sons bio­lo­giques ou autres, nous sommes vio­lents. Pour des
rai­sons éco­no­miques ou autres, nous entrons en conflit. Pour
des rai­sons his­to­riques ou autres, nous avons inven­té les
armées. Cela nous amène, quand éclate un conflit
trop violent, à le « résoudre » par la
guerre. Mais la guerre engendre de nou­velles causes de conflit, de
nou­veaux mobiles de vio­lence, des rai­sons de ren­for­cer les armées.
Le sys­tème est « bou­clé », auto-entretenu,
et la cyber­né­tique la plus élé­men­taire nous
indique qu’il dure­ra aus­si long­temps qu’on ne rom­pra pas le
cercle infer­nal. Quelle stra­té­gie suivre ? Réglons
rapi­de­ment le sort des paci­fistes « uto­piques » ou
« huma­nistes » qui pré­tendent sup­pri­mer les
conflits. Non seule­ment les conflits sont inévi­tables, mais
ils sont néces­saires. Non point parce que, selon
l’adage, « de la dis­cus­sion jaillit la lumière »,
mais parce que, soyons moins abso­lus, de la dis­cus­sion naît le
désir de mar­cher ensemble. Étant enten­du qu’on
ne peut rompre le cercle en sup­pri­mant les conflits, faut-il agir sur
la vio­lence ou sur les armées ? Puisque cercle il y a, cette
ques­tion semble inutile : il faut choi­sir un point d’action quelque
part sur le cir­cuit, et le seul cri­tère reste l’efficacité,
ce qui nous ramène à la tactique.

Le
point de vue tactique

Paci­fistes
ou non-vio­lents, nous sommes mino­ri­taires. II nous faut
adop­ter des tac­tiques cor­res­pon­dant à cet état de fait.
Pour notre modeste part, nous, groupe « Anar­chisme et
non-vio­lence », comp­tons sur le rayon­ne­ment d’une minorité
agis­sante. Nous recher­che­rons plu­tôt l’enga­ge­ment. Il
est clair que des mou­ve­ments plus tra­di­tion­nels recher­che­ront les
adhé­sions. Qui dit enga­ge­ment dit illégalisme.
Pas sys­té­ma­ti­que­ment, certes, mais si l’on s’engage on
doit envi­sa­ger d’être ame­né d’une façon
cer­taine
à des actes illé­gaux : et au-delà
de l’engagement indi­vi­duel appa­raît un enga­ge­ment de groupe.
Nous ne pou­vons deman­der aux orga­ni­sa­tions paci­fistes de nous imiter :
nous ne pré­ten­dons pas déte­nir la Vérité,
mais nous pou­vons peut-être leur sug­gé­rer un « modèle » pour les plus dyna­miques de leur membres :
l’organisation de combat.

Orga­ni­sa­tion
de combat

Sous-titre
agres­sif ! Violent ? Mais non, il nous reste le choix des armes. Nous
avons, à tra­vers les numé­ros de cette revue, décrit
maintes « armes non vio­lente ». Elles consti­tuent presque
tou­jours une plate-forme d’action où peuvent se retrouver
paci­fistes et non-vio­lents à une condi­tion : reconnaître
la réa­li­té de luttes actuelles qu’il est banal
d’énumérer… lutte de classes, lutte contre la faim,
lutte anti­ra­ciste, etc. Nous ne pou­vons, sans nous renier, être
absents de ces luttes, qui sont celles de la majo­ri­té des
hommes. Nous ne pou­vons, non plus, nous détour­ner du sou­ci des
hommes de se défendre contre l’arbitraire. Alors
orga­ni­sons-nous pour com­battre sans meurtre et collectivement.
Fai­sons œuvre d’imagination. Créer : Voilà
l’homme.

Jean-Pierre
Machy

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