La Presse Anarchiste

Le secrétariat international contre l’internationalisme

Dans son Congrès
de Toron­to, la Fédé­ra­tion amé­ri­caine du Travail,
l’A­me­ri­can Fede­ra­tion of Labor, vient de déci­der son
adhé­sion au Secré­ta­riat international.

C’est là un fait
d’une grande impor­tance. Pour s’en rendre compte, il est nécessaire
de se repor­ter à la der­nière Conférence
inter­na­tio­nale [[VIe Conférence
des Secré­taires des Centres natio­naux des Syn­di­cats, tenue à
Paris, du 30 août au 1er sep­tembre 1909.]]
et de voir com­bien les dis­cus­sions et la réso­lu­tion principale
y furent pro­fon­dé­ment influen­cées par la possibilité
d’adhé­sion de l’Amérique.

La grosse ques­tion, on
s’en sou­vient, c’é­tait la sub­sti­tu­tion de Congrès
inter­na­tio­naux aux Confé­rences des secrétaires
natio­naux ; c’é­tait, décou­lant évidemment
du même esprit, l’é­lar­gis­se­ment du Secré­ta­riat et
sa trans­for­ma­tion en une Confé­dé­ra­tion internationale
du Tra­vail ; en un mot l’é­ta­blis­se­ment de contacts réels
et fré­quents entre les orga­ni­sa­tions ouvrières de tous
les pays.

Deux organisations
seule­ment récla­mèrent ces modi­fi­ca­tions, deux
orga­ni­sa­tions qui sous le rap­port des concep­tions de la lutte
ouvrière se trouvent net­te­ment oppo­sées ; l’une
repré­sen­tant le syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire, l’autre
le cor­po­ra­tisme paix sociale : la C.G.T. et l’Ame­ri­can
Fede­ra­tion
, la pre­mière adhé­rente au Secrétariat,
l’autre non adhé­rente encore.

Sans l’Ame­ri­can
Fede­ra­tion
, dont le Secré­ta­riat dési­rait l’adhésion
à tout prix, la Confé­rence se serait terminée
sur une réso­lu­tion dif­fé­rente. Il n’est pas dou­teux que
la maçon­ne­rie sociale-démo­crate qui tient sous sa
tutelle le mou­ve­ment syn­di­cal euro­péen aurait envoyé
pro­me­ner la C.G.T. et sa pro­po­si­tion de Congrès
internationaux.

Mais, les Américains
étaient là ; ils avaient sou­mis une proposition
ana­logue. Or si l’on ne tenait guère au main­tien de l’adhésion
de la France, si l’on n’y tenait même pas du tout, il en allait
autre­ment pour l’adhé­sion américaine.

De là un refus
momen­ta­né, ne fer­mant pas défi­ni­ti­ve­ment la porte aux
Congrès internationaux.

Ne nous illu­sion­nons pas.
La France aura beau faire ; ses efforts seront impuis­sants à
ouvrir cette porte. Seule, l’A­mé­rique pour­ra y arri­ver…, si
jamais elle y arrive.

Dix ans d’efforts impuissants

Voi­là dix ans que
la France réclame l’or­ga­ni­sa­tion de Congrès
inter­na­tio­naux. Que dis-je, dix ans ? Trente ans et plus.

En 1877, elle prenait
l’i­ni­tia­tive d’or­ga­ni­ser un pre­mier Congrès international ;
le Congrès de Lyon, le IIe Congrès des
Syn­di­cats fran­çais, en don­nait le man­dat aux syndicats
parisiens.

Dès ce moment,
une concur­rence se dres­sa : les socia­listes de l’Égali­té,
J. Guesde, Mas­sard, G. Deville, etc., son­gèrent à
oppo­ser un Congrès inter­na­tio­nal socia­liste au Congrès
inter­na­tio­nal syndical.

Le Congrès ne se
tint pas ou plu­tôt il se tint sur les bancs de la 10e
chambre cor­rec­tion­nelle où se trou­vèrent rassemblés
Isi­dore Finance, Jules Guesde, Aimé Lavy, etc.

En 1886, une Conférence
inter­na­tio­nale se tint dans l’im­meuble qui sert actuel­le­ment d’annexe
à la Bourse du Tra­vail de Paris. Mais délégués
de syn­di­cats et délé­gués d’organisations
socia­listes se trou­vèrent réunis.

Pen­dant dix ans,
jus­qu’au Congrès de Londres, il en allait être ainsi.
Pen­dant dix ans, les syn­di­cats allaient mar­cher à la remorque
des par­tis socia­listes, subis­sant leurs riva­li­tés et leurs
scis­sions, leur ser­vant de recru­teurs électoraux.

Vous reconnaîtrez
l’ef­fi­ca­ci­té de l’ac­tion poli­tique, leur ordon­na le Congrès
de Zurich (1894).

Nous vous chas­se­rons si
vous ne la recon­nais­sez pas, leur signi­fia le Congrès de
Londres (1906) pré­fé­rant accueillir Jaurès,
Mil­le­rand, Gérault-Richard et Vivia­ni, non mandatés,
plu­tôt que les anar­chistes régu­liè­re­ment délégués
de syndicats.

Depuis ce jour, les
Congrès inter­na­tio­naux socia­listes ont eu beau se dire
ouvriers, ils n’ont été que les Congrès du
socia­lisme parlementaire.

Les pre­miers, les
syn­di­cats fran­çais avaient res­sen­ti le besoin de Congrès
inter­na­tio­naux et en avaient convo­qué un ; la
social-démo­cra­tie, en vingt ans, fai­sait sa chose des Congrès
inter­na­tio­naux et en chas­sait les initiateurs.

Quelque chose d’analogue
s’est pas­sé pour le Secré­ta­riat inter­na­tio­nal. En 1900,
la C.G.T. réunis­sait un Congrès international
cor­po­ra­tif, à Paris. À
l’ordre du jour était por­tée : La créa­tion
d’un Secré­ta­riat inter­na­tio­nal
.

Ce Congrès fit un
fias­co com­plet. Il vint cinq à six délégués
étran­gers : Rigo­la, pour l’I­ta­lie ; Lambillotte,
pour les ver­riers belges ; Calame, pour l’U­nion ouvrière
de Zurich ; quelques délé­gués des
trans­ports qui avaient un Congrès inter­na­tio­nal de leur
cor­po­ra­tion. Un point c’est tout. C’é­tait peu. Le Congrès
inter­na­tio­nal avait été habi­le­ment boycotté.

L’i­dée d’un
Secré­ta­riat inter­na­tio­nal ne cor­res­pon­dait-elle pas à
un besoin res­sen­ti ? N’é­tait-elle pas encore mûre ?

Le besoin existait ;
l’i­dée était arri­vée à maturité.
Mais il ne fal­lait pas qu’elle se réa­li­sât sous
l’i­ni­tia­tive de la France ; la social-démo­cra­tie, seule,
avait le droit de mettre cet enfant au monde et de le conduire par la
vie.

Aus­si, l’année
d’a­près, en 1901, la Com­mis­sion géné­rale des
syn­di­cats alle­mands réunis­sait-elle à Copen­hague un
cer­tain nombre de secré­taires de centres natio­naux. On créait
en famille sociale-démo­crate le Secrétariat
international.

Les pro­fanes pouvaient
venir désor­mais. On les invi­tait à la IIe
Confé­rence qui se tenait en 1902 à Stutt­gart. La France
s’y fai­sait repré­sen­ter et deman­dait, sans pou­voir l’obtenir
natu­rel­le­ment, que le Secré­ta­riat ne bor­nât pas sa tâche
à un échange de sta­tis­tiques et que les Conférences
de secré­taires soient trans­for­mées en Congrès.

Vient la IIIe
Confé­rence. Elle se tient en 1903, à Dublin, la semaine
de la course Gor­don-Ben­nett. Grif­fuelhes et Yve­tot y sont délégués.
Pauvres délé­gués qui cour­ront plu­sieurs jours à
la recherche de leurs codé­lé­gués, sans les
trou­ver. Fina­le­ment en trois heures — dis­cours d’ou­ver­ture et temps
pour la tra­duc­tion com­prise — la Confé­rence est expédiée.
Les délé­gués fran­çais, qui se proposaient
de dis­tri­buer un rap­port sur l’an­ti­mi­li­ta­risme et la grève
géné­rale et de deman­der l’ins­crip­tion de ces deux
ques­tions à l’ordre du jour de la Confé­rence suivante,
ne purent le faire. Ne sup­po­sant pas que le tra­vail serait bâclé
en une après-midi, ils avaient lais­sé leur paquet de
rap­ports à l’hôtel.

Quel est le pre­mier rôle
d’une orga­ni­sa­tion ouvrière inter­na­tio­nale ? Quel est le
pro­blème qui se pose à elle, impé­rieu­se­ment et
avant tout autre ? Peut-il y avoir embryon de conscience
inter­na­tio­nale s’il n’y a pas volon­té d’empêcher la
guerre, d’empêcher que les classes ouvrières unies
inter­na­tio­na­le­ment se fusillent entre elles sur l’ordre de leurs
exploiteurs ?

La C.G.T. croyait que la
guerre à la guerre était la pre­mière tâche
d’un Secré­ta­riat international.

On est en 1904, la
guerre rus­so-japo­naise éclate ; il est ques­tion d’une
inter­ven­tion armée du gou­ver­ne­ment fran­çais en faveur
de son allié ; une guerre euro­péenne peut
s’allumer.

Va-t-on attendre les
bras bal­lants que cette tra­gé­die com­mence ? Le
Secré­ta­riat inter­na­tio­nal ne bouge pas. Le Comité
confé­dé­ral, les deux sec­tions réunies, décide,
à l’u­na­ni­mi­té, de pro­po­ser la réunion d’une
Confé­rence inter­na­tio­nale, afin de connaître l’attitude
de la classe ouvrière de chaque nation au cas d’une guerre
européenne.

La réponse est
nette. L’Al­le­magne s’op­pose à la tenue d’une telle Conférence.
« Elle ne pren­dra part qu’à la délibération
de ques­tions pra­tiques ou de telles ques­tions théo­riques qui
regardent les syn­di­cats tout direc­te­ment, comme celle des secours aux
sans-travail. »

L’o­pi­nion alle­mande est
trans­mise aux nations en même temps que la proposition
fran­çaise. La majo­ri­té décide qu’il n’y aura pas
de Confé­rence. L’es­couade obéit au com­man­de­ment… de
ne rien faire.

Quand la C.G.T. eut
connais­sance de la date de la IVe Confé­rence, elle
déci­da de por­ter à l’ordre du jour les deux questions
qui avaient fait l’ob­jet de son rap­port à Dublin, plus la
jour­née de huit heures à pro­pos de laquelle le Congrès
natio­nal de Bourges venait de déci­der une campagne
d’a­gi­ta­tion. Elle fai­sait de l’ins­crip­tion de ces ques­tions la
condi­tion de sa par­ti­ci­pa­tion à la Conférence
d’Am­ster­dam. C’é­tait assez com­pré­hen­sible après
tout ce qui s’é­tait produit.

Le secrétaire
inter­na­tio­nal, Legien, objecte que ces ques­tions sortent du cadre des
confé­rences et qu’il ne peut les ins­crire. Il consulte les
orga­ni­sa­tions des autres pays, sans oublier de don­ner son avis. Les
pro­po­si­tions fran­çaises sont écartées.

Par une erreur postale,
la C.G.T. n’est pas tou­chée par la lettre où Legien lui
fait part du résul­tat de la consul­ta­tion des nations. N’ayant
pas de réponse, elle n’en­voie pas de délégués
et la Confé­rence d’Am­ster­dam décide que :

Sont exclues des
dis­cus­sions toutes les ques­tions théo­riques et toutes celles
qui ont trait aux ten­dances et à la tac­tique du mouvement
syn­di­cal dans les dif­fé­rents pays.

À
nou­veau, éclatent des bruits de guerre entre la France et
l’Al­le­magne. À
pro­pos du Maroc, cette fois. Que faire ? S’abstenir ?
Attendre ? Rumi­ner le refus oppo­sé par l’Allemagne
ouvrière deux ans auparavant ?

Non, ce n’est pas
pos­sible. Et la C.G.T. décide d’en­voyer Grif­fuelhes auprès
de la Com­mis­sion géné­rale des syn­di­cats alle­mands afin
d’or­ga­ni­ser des deux côtés du Rhin une cam­pagne de
pro­tes­ta­tion contre la guerre menaçante.

 — La loi ne nous
per­met pas de faire une telle cam­pagne, en tant que syndicats,
répond-on à Grif­fuelhes pour l’é­con­duire. Puis
devant son insis­tance, on ajoute : Adres­sez-vous au parti
socialiste.

 — Si vous estimez
devoir faire faire votre besogne par le par­ti socia­liste, réplique
Grif­fuelhes, nous n’a­vons rien à y voir ; cela vous
regarde seuls, et j’ac­cepte d’ac­com­pa­gner votre délégation,
mais en reven­di­quant pour les orga­ni­sa­tions ouvrières
fran­çaises la même auto­no­mie que nous vous
reconnaissons. 

La délégation
se rend au Reichs­tag trou­ver divers grands députés
sociaux-démo­crates. — La guerre à pro­pos du Maroc,
disent ces notables avec un sou­riant mépris, mais c’est de la
fan­tai­sie diplo­ma­tique. Voyez-vous la France et l’Al­le­magne se battre
pour les pla­teaux incultes du Maroc ? — Du tout, répond
Grif­fuelhes, il y a là-bas de riches gise­ments et vos barons
de la métal­lur­gie et les nôtres se les dis­putent. — Des mines, au Maroc, mais non ! mais non ! Ce n’est pas
sérieux.

Évidem­ment,
il n’é­tait pas écrit dans la Bible mar­xiste qu’il
existe des mines au Maroc et qu’un jour Schnei­der et Krupp se les
dis­pu­tant déchaî­ne­raient peut-être la guerre entre
leurs deux pays. Par consé­quent les théologiens
alle­mands devaient l’i­gno­rer. Aujourd’­hui, c’est là pourtant
un fait indis­cu­table. Les hur­lu­ber­lus avaient rai­son contre les puits
de science.

Schnei­der et Krupp se
sont mis d’ac­cord pour détrous­ser en com­mun le Maroc. S’ils ne
s’é­taient pas enten­dus, que serait-il adve­nu ? S’ils se
rebrouillaient demain à pro­pos du par­tage, qu’adviendrait-il ?

Ce qu’il adviendrait ?
Une bonne guerre qui sai­gne­rait à blanc les deux prolétariats,
pen­dant que les doctes pon­tifes de la social-démocratie
égrè­ne­raient le cha­pe­let marxiste.

Grif­fuelhes revint de
Ber­lin confus et navré. Les syn­di­ca­listes purent se deman­der à
quoi rimait la fameuse phrase : « Tra­vailleurs de
tous les pays, unissez-vous ! »

Fal­lait-il conti­nuer à
par­ti­ci­per au petit jeu du Secré­ta­riat inter­na­tio­nal dont la
seule rai­son d’être sem­blait consis­ter uni­que­ment à
décon­si­dé­rer l’in­ter­na­tio­na­lisme, à en tarir la
foi, à en bri­ser la vigueur au lieu de les décupler ?
Le Congrès confé­dé­ral d’A­miens (1906) se posa la
question.

Il n’y répondit
pas net­te­ment et c’est natu­rel. On hésite à jeter au
diable un ins­tru­ment qui a don­né des décep­tions, mais
qui pour­rait, qui devrait don­ner d’im­menses résul­tats. On
tem­po­rise ; on espère mal­gré tout ; on compte
sur la grande vague qui balaie­ra les hos­ti­li­tés de tactique.
Il n’est pas pos­sible, au fond, que l’ou­vrier syndiqué
alle­mand accepte de cas­ser la figure à un ouvrier français
ou de se faire cas­ser la sienne pour les beaux yeux du roi de Prusse
ou de M. Krupp !

Aus­si, le Congrès
d’A­miens adop­ta-t-il la réso­lu­tion suivante :

Le Congrès,
après avoir enten­du cri­tiques et réponses sur le
pas­sage du rap­port rela­tif aux « rapports
inter­na­tio­naux », approuve l’at­ti­tude du Comité
confé­dé­ral d’a­voir momen­ta­né­ment sus­pen­du les
rela­tions avec le Secré­ta­riat, inter­na­tio­nal qui a refusé
d’ins­crire, à l’ordre du jour des Conférences
inter­na­tio­nales, les ques­tions de la grève générale,
la jour­née de huit heures et l’antimilitarisme.

Il invite le Comité
confé­dé­ral à reprendre à nou­veau les
rela­tions avec le Secré­ta­riat inter­na­tio­nal en deman­dant à
nou­veau l’ins­crip­tion à l’ordre du jour des questions
pré­cé­dem­ment refusées.

Complétée
par cette addition :

Au cas où le
Secré­ta­riat inter­na­tio­nal s’y refu­se­rait, s’a­bri­tant derrière
la motion adop­tée à Amster­dam, dont il ne vou­drait pas
deman­der l’an­nu­la­tion à la pro­chaine Confé­rence, le
Comi­té confé­dé­ral est invi­té à
entrer en rap­ports directs avec les autres centres nationaux
affi­liés, en pas­sant par des­sus le Secrétariat
international.

La Conférence
inter­na­tio­nale de Chris­tia­nia devait y faire une singulière
réponse qui ne jette pas une demi-lumière sur le rôle
auquel on veut relé­guer les rela­tions internationales
syndicales :

… La Conférence
repro­duit sa réso­lu­tion, adop­tée à Amsterdam,
d’a­près laquelle les Confé­rences inter­na­tio­nales ont
pour mission :

« De
dis­cu­ter le rap­pro­che­ment de plus en plus étroit des
asso­cia­tions pro­fes­sion­nelles de tous les pays, la rédaction
des sta­tis­tiques syn­di­cales uni­formes, le sou­tien mutuel des luttes
éco­no­miques, ain­si que toutes les ques­tions qui se trouvent en
rela­tions immé­diates avec l’or­ga­ni­sa­tion syn­di­cale de la
classe ouvrière ;

« Mais
elle exclut du débat toutes les ques­tions théoriques,
ain­si que celles qui concernent les ten­dances et la tac­tique du
mou­ve­ment syn­di­cal dans les divers pays. »

La Conférence
consi­dère les ques­tions de l’an­ti­mi­li­ta­risme et de la grève
géné­rale comme des objets qui ne relèvent pas de
la com­pé­tence des fonc­tion­naires syn­di­caux, mais dont la
solu­tion incombe exclu­si­ve­ment à la représentation
inté­grale du pro­lé­ta­riat inter­na­tio­nal, aux Congrès
socia­listes inter­na­tio­naux convo­qués périodiquement

 — d’au­tant plus que les deux ques­tions ont été
réso­lues, à Amster­dam et à Stuttgart,
confor­mé­ment aux circonstances ;

La Conférence
regrette que la Confé­dé­ra­tion n’ait pas voulu
com­prendre que l’at­ti­tude de la Confé­rence inter­na­tio­nale des
repré­sen­tants des cen­trales natio­nales a été
par­fai­te­ment cor­recte ; qu’elle ait pré­tex­té de
cette atti­tude pour res­ter étran­gère à notre
orga­ni­sa­tion internationale ;

La Confé­rence
prie ins­tan­ta­né­ment la classe ouvrière de France
d’exa­mi­ner ces ques­tions sus­dites de concert avec l’organisation
poli­tique et ouvrière de son propre pays, et, par une adhésion
aux Congrès socia­listes inter­na­tio­naux, de col­la­bo­rer à
la solu­tion de ces ques­tions, et, dans la suite, de s’af­fi­lier à
l’or­ga­ni­sa­tion syn­di­cale inter­na­tio­nale, dans le but de résoudre
les pro­blèmes syn­di­caux
.

Certes, il n’est pas
dans la pen­sée des syn­di­ca­listes fran­çais de prétendre
que les ques­tions de la grève géné­rale et de
l’an­ti­mi­li­ta­risme relèvent de la com­pé­tence des
fonc­tion­naires syn­di­caux, aus­si le Congrès confédéral
de Mar­seille prit-il le soin de deman­der l’or­ga­ni­sa­tion de Congrès
inter­na­tio­naux où ces ques­tions seraient uti­le­ment discutées.

Plus uti­le­ment, sans
conteste, que dans les Congrès de propriétaires,
d’a­vo­cats, de méde­cins, de pro­fes­sion­nels de la poli­tique que
sont les Congrès inter­na­tio­naux socia­listes, où les
pré­oc­cu­pa­tions par­le­men­taires dominent tout, écrasent
tout, enterrent tout.

Peut-on regar­der sans
tris­tesse le che­min fait par les idées de résis­tance à
la guerre depuis 1891, depuis le Congrès international
socia­liste de Bruxelles où Dome­la Nieu­wen­huis défendait
cette résolution :

Le Congrès
déclare que les socia­listes de tous les pays répondront
à la décla­ra­tion d’une guerre par un appel au peuple,
pour pro­cla­mer la grève générale.

Reve­nue au Congrès
sui­vant de Zurich (1893), cette idée, bien sou­te­nue par
Dejeante, au nom de la délé­ga­tion fran­çaise, fut
assom­mée par toutes les crosses sociales-démocrates,
depuis Ple­ka­noff jus­qu’à Liebk­necht, et enter­rée pour
de belles années. Il a fal­lu Her­vé, quinze ans plus
tard, pour la res­sus­ci­ter dans les assises socia­listes, mais sans
plus de suc­cès que Dome­la Nieu­wen­huis. Qu’a-t-on fait dans ces
quinze années ? On a dormi.

Et c’est dans ce dortoir
ou ce cime­tière qu’on veut envoyer les syn­di­cats ? Merci.

Mais que pen­ser de ce
fameux res­pect des ten­dances et des tac­tiques de chaque pays proclamé
par la réso­lu­tion d’Am­ster­dam ? N’est-ce pas mettre les
deux pieds en pleine ques­tion de tac­tique et de ten­dance que
d’exa­mi­ner et de tran­cher pour la France la ques­tion des rap­ports des
syn­di­cats et du par­ti socia­liste et de nous envoyer aux Congrès
inter­na­tio­naux socialistes ?

Ces ques­tions de la
grève géné­rale et de l’an­ti­mi­li­ta­risme, le
Secré­ta­riat inter­na­tio­nal n’i­gnore pas que de grands Congrès
inter­na­tio­naux de cor­po­ra­tions, comme ceux des mineurs et de la
métal­lur­gie, les ont abor­dées, discutées,
solu­tion­nées. Elles sont donc bien du domaine syndical.
Pour­quoi leur refu­ser alors l’ac­cès dans des Congrès
inter­na­tio­naux de toutes les corporations ?

Tout sim­ple­ment parce
qu’il faut empê­cher une entente inter­na­tio­nale de la classe
ouvrière sur le ter­rain éco­no­mique, au risque d’être
sans cohé­sion, d’être impuis­sants devant les crimes des
maîtres et des tyrans.

La Conférence internationale de Paris

Arrivons‑y. Le Congrès
confé­dé­ral de Mar­seille déci­da de par­ti­ci­per à
nou­veau et acti­ve­ment aux tra­vaux du Secré­ta­riat international
et aux Confé­rences internationales :

… Le Congrès
affirme son ardent désir de rendre plus étroites et
plus effi­caces les rela­tions inter­na­tio­nales. Il rap­pelle la
réso­lu­tion d’A­miens qu’il com­plète en don­nant man­dat au
Comi­té confé­dé­ral de répondre aux
convo­ca­tions du Bureau inter­na­tio­nal, en lui deman­dant de mettre à
l’ordre du jour de la pre­mière Confé­rence la question
des Congrès inter­na­tio­naux du Tra­vail où seraient
exa­mi­nées les ques­tions dont la dis­cus­sion fut jusqu’ici
sys­té­ma­ti­que­ment refusée.

Cette ques­tion des
Congrès inter­na­tio­naux fut ins­crite à l’ordre du jour
de la Confé­rence. Le siège de celle-ci fut même
chan­gé et fixé à Paris.

Faut-il attri­buer ces
mesures à une détente dans les rap­ports avec le
syn­di­ca­lisme fran­çais ? À
pre­mière vue, on peut les inter­pré­ter de cette façon.
À regar­der de plus
près, on s’a­per­çoit qu’il n’en est abso­lu­ment rien.

Lorsque fut prise la
déci­sion de trans­fé­rer le siège de la Conférence
à Paris, un fait impor­tant venait de se pro­duire : les
syn­di­ca­listes révo­lu­tion­naires venaient de perdre le
secré­ta­riat de la C.G.T. On crut le moment venu de ral­lier une
France ouvrière abju­rant ses fautes pas­sées. Puis, quel
coup d’é­paule pour le réfor­misme que de le voir appuyé
par toute l’Eu­rope syn­di­cale et… sociale-démocrate .

Mais, la tempête
de la grève des postes avait empor­té Niel ; les
révo­lu­tion­naires avaient repris le secré­ta­riat de la
C.G.T.

La situa­tion était
tout autre qu’on ne l’es­pé­rait. Aus­si n’é­tait-on pas
peu inquiet au Secré­ta­riat inter­na­tio­nal ! Si peu
inquiet, qu’on pré­voyait des impos­si­bi­li­tés à
tenir la Confé­rence à Paris et qu’en prévision
on avait rete­nu une salle à Bruxelles où tout le monde
social-démo­crate aurait filé. Tout le monde res­ta à
Paris.

Mais la Conférence
ne fut pas sans saveur ; la grosse ques­tion, le « clou »,
c’é­tait, on le pense bien, les Congrès internationaux.

La Conférence
devait durer deux jours : le lun­di 31 août et le mar­di 1er
sep­tembre. Le mar­di après-midi, donc à la dernière
séance pré­vue, le tour de dis­cus­sion des Congrès
inter­na­tio­naux arrive. Pape­lard, le citoyen Camille Huys­mans, délégué
de la Com­mis­sion syn­di­cale belge, mais aus­si secré­taire du
Bureau socia­liste inter­na­tio­nal, se lève pour deman­der s’il ne
serait pas pré­fé­rable de pas­ser aupa­ra­vant aux menues
ques­tions qui com­plètent l’ordre du jour. — Elles ne
deman­de­ront pas grande dis­cus­sion, affirme-t-il, et nous pour­rons à
loi­sir dis­cu­ter l’im­por­tante ques­tion sou­mise par la France.

C’est un vieux tour. La
malice est cou­sue d’un trop gros fil blanc. On est à la
der­nière séance ; les ques­tions que l’on veut
faire pas­ser avant celle des Congrès, pren­dront toute
l’a­près-midi et l’on se sépa­re­ra en disant :
Bon­soir, mes­sieurs les syndicalistes !

Jou­haux ne laisse pas
faire. La ques­tion des Congrès gar­de­ra son tour. — Qu’à
cela ne tienne, réplique Huys­mans. Je n’y atta­chais pas
d’importance.

Quelle autre malice a
donc dans son sac le secré­taire du Bureau socialiste
inter­na­tio­nal ? On ne va pas tar­der à le savoir.

Loya­le­ment, nettement,
Jou­haux expose les rai­sons qui ont ame­né la France à
deman­der l’or­ga­ni­sa­tion de Congrès inter­na­tio­naux. Ce n’est
pas une nou­velle ques­tion qui se pose ; la France essaya d’en
réa­li­ser l’ob­jet en 1900 ; en 1902, son délégué
à Stutt­gart en fit la pro­po­si­tion. Il rap­pelle le refus de
dis­cu­ter la grève géné­rale et l’antimilitarisme.
Il évoque la seule objec­tion qui puisse être faite :
les syn­di­cats peuvent aller aux Congrès socialistes
inter­na­tio­naux et il répond : les Congrès
poli­tiques ne peuvent envi­sa­ger les ques­tions ouvrières. C’est
aux orga­ni­sa­tions ouvrières elles-mêmes à le
faire.

Il est bref. Huysmans,
cepen­dant, a eu le temps de faire le tour des deux longues tables
autour des­quelles sont ins­tal­lés les délégués,
fai­sant cir­cu­ler une feuille de papier que cha­cun signe avec
empressement.

Que contient cette
feuille ? Dès que Jou­haux s’as­sied, Hue­ber, de Vienne,
nous en donne lec­ture sur un ton solen­nel. Hue­ber, vous le connaissez
peu. C’é­tait le géné­ral social-démocrate
à la Confé­rence. Autre­fois le généralissime,
dans les Congrès poli­tiques comme dans les Congrès
syn­di­caux, appar­te­nait de droit aux Alle­mands. Depuis deux ans, les
Autri­chiens leur ont damé le pion ; ils ont envoyé
plus de 80 dépu­tés socia­listes au Parlement.
L’Al­le­magne en pos­sé­dant moins a dû abdi­quer la
direc­tion de la social-démo­cra­tie. Et il fal­lait voir comment
Hue­ber menait son escouade et tan­çait les indisciplinés
ou cognait sur les adver­saires. Legien lui-même n’échappa
point à sa férule. Quant à Gom­pers, il peut se
tenir pour aver­ti qu’il n’en remon­tre­ra pas à un vieux lapin
comme Hueber.

Le généralissime
se lève donc et lit :

Au nom des délégués
d’An­gle­terre, Bel­gique, Nor­vège, Autriche, Dane­mark, Hollande
Suisse, Espagne, Ita­lie, Croa­tie, Bos­nie, Hon­grie, j’ai une
décla­ra­tion à faire. Il a sem­blé aux délégués
de toutes ces nations, que la tenue de Congrès ouvriers
inter­na­tio­naux était impos­sible et inop­por­tune. Ils craignent
que les Congrès ne soient une Babel où aucun tra­vail ne
sera fait.

Sur­tout, ils estiment
que l’ac­tion poli­tique et l’ac­tion syn­di­cale sont les deux bras mis
en mou­ve­ment par la volon­té unique du prolétariat.

Il faut agir avec les
deux bras. Il faut unir les deux mou­ve­ments. Ce serait un crime
contre le pro­lé­ta­riat que de ne pas lut­ter sur les deux
terrains.

Il se ras­sied, sans
plus. Vous pou­vez, délé­gués de la C.G.T., dire
tout ce que vous vou­lez, vous connais­sez d’a­vance le sort de votre
pro­po­si­tion. Elle a contre elle toutes les nations. Vous avez donc
inté­rêt à ren­trer vos discours.

Pas mal, n’est-ce pas,
le deuxième tour mani­gan­cé par Huysmans ?

Toutes les nations
cepen­dant n’ont pas signé. Il manque la signa­ture de
l’Al­le­magne. Qu’est-ce à dire ? Legien rue­rait-il dans
les bran­cards sociaux-démo­crates ? Il paraît que le
désir ne lui en manque pas. Le joug lui pèse. La
social-démo­cra­tie est encore trop avan­cée pour lui.

Dans un discours
savam­ment dosé, il rosse d’im­por­tance le syndicalisme
fran­çais, pré­ten­dant qu’il arrive bon der­nier dans
l’In­ter­na­tio­nale syn­di­cale tant au point de vue de l’or­ga­ni­sa­tion, de
la cohé­sion que de l’es­prit de sacri­fice. Mais il faut faire
risette à Gom­pers qui a presque subor­don­né l’adhésion
de l’Ame­ri­can Fede­ra­tion of Labor à la transformation
du Secré­ta­riat en Confé­dé­ra­tion internationale
et à l’or­ga­ni­sa­tion de Congrès internationaux.

Les Congrès
inter­na­tio­naux sont impos­sibles momen­ta­né­ment. Mais dans un
ave­nir plus ou moins rap­pro­ché, à mesure que le
mou­ve­ment croî­tra en cohé­sion et en force, ils peuvent
être réalisables.

Si la C.G.T. n’a pas de
grosse caisse, l’argent des coti­sa­tions allant non aux caisses
fédé­rales ou confé­dé­rale mais en grande
par­tie aux mil­liers de caisses syn­di­cales, il n’en est pas de même
pour l’Ame­ri­can Fede­ra­tion et seules, on le sait, les caisses
comptent à cer­tains yeux comme une force.

Hue­ber se redresse. La
pro­po­si­tion fran­çaise doit être repoussée
aujourd’­hui et pour tou­jours. Il ne faut plus qu’il en soit question.
Quant à Legien, il ne peut accep­ter le prin­cipe des Congrès,
ce serait en contra­dic­tion avec ses prin­cipes mêmes.

Il a beau faire ;
Legien a brouillé l’es­couade ; Rigo­la, au nom de
l’I­ta­lie, déclare qu’en signant la décla­ra­tion il n’a
pas plus vou­lu fer­mer la porte à de futurs Congrès que
la leur ouvrir ; Hug­gler en dit autant pour la Suisse ;
Berg­mans, pour la Belgique.

S’il n’y avait eu que la
France en jeu, il est bien cer­tain que l’u­na­ni­mi­té de
Chris­tia­nia se serait retrou­vée. Mais il y avait l’Ame­ri­can
Fede­ra­tion
.

Yve­tot et Jouhaux,
cepen­dant, ont fon­cé dur et droit toute l’après-midi
mon­trant et remon­trant le point où pèse le bât :
Vous crai­gnez que ces Congrès inter­na­tio­naux nuisent aux
Congrès Socialistes.

Ils l’ont fait avec
ardeur, téna­ci­té, habi­le­té. Ils n’ont convaincu
per­sonne, c’est cer­tain. Mais, à tout le moins, ils ont dit
les véri­tés qu’il fal­lait faire entendre et prouvé
qu’on n“était pas dupes : il n’y aura pas
d’in­ter­na­tio­nale syn­di­cale parce qu’il existe une internationale
socia­liste. Cette der­nière ne fait rien, mais cela n’a pas
d’im­por­tance. Qu’im­porte le besoin ? L’or­gane ne leur est pas
adap­té. Qu’il vive quand même et que crève
l’or­gane qui cor­res­pon­drait au besoin.

Jou­haux et Yve­tot n’ont
convain­cu per­sonne. Ils ont tout de même fait un sérieux
plai­sir à Gom­pers. — Toutes mes congra­tu­la­tions pour ce beau
com­bat, leur crie-t-il, en leur ser­rant les mains.

Et maintenant ?

L’Ame­ri­can Federation
of Labor
est adhé­rente aujourd’­hui au Secrétariat
inter­na­tio­nal. Elle pour­ra cette fois dépo­ser et défendre
des pro­po­si­tions. Repren­dra-t-elle à la Confé­rence de
Buda-Pest ses pro­po­si­tions de cette année ? C’est
pos­sible. Mais ce n’est pas cer­tain. C’est si loin l’Amérique
et les sen­ti­ments inter­na­tio­na­listes de l’Ame­ri­can Federation
paraissent si peu vigoureux !

C’est d’elle, cependant,
que dépend la créa­tion véri­table de
l’In­ter­na­tio­nale syn­di­cale. Elle seule pour­rait flé­chir le
Secré­ta­riat inter­na­tio­nal et déci­der les syndicaux
alle­mands à consti­tuer à côté de
l’In­ter­na­tio­nale par­le­men­taire une Inter­na­tio­nale ouvrière.
Dans l’es­prit de Gom­pers comme dans celui de Legien, il est certain
que cette Inter­na­tio­nale devrait être ani­mée d’un esprit
terre-à-terre.

Qu’elle se consti­tue et
nous ver­rons bien si les néces­si­tés de la défense
ouvrière ne relè­ve­ront pas son idéal et son
tem­pé­ra­ment. Pour ma part, je ne suis pas pes­si­miste. Qu’on
mette en face les uns des autres de véri­tables ouvriers de
tous pays et que les faits sur­gissent devant eux ; il n’est pas
pos­sible qu’ils ne se haussent à la hau­teur des événements.

Mais le rôle des
syn­di­ca­listes fran­çais est maigre dans cette voie. Ils ont
sur­tout à attendre. Leurs efforts au sein du Secrétariat
inter­na­tio­nal comp­te­ront peu. C’est à une autre tâche
qu’ils doivent se consa­crer : aider à faire pénétrer
les idées syn­di­ca­listes dans les pays sociaux-démocrates.
Il n’est pas de pays où ne s’af­firme une minorité
révo­lu­tion­naire, faible ou puis­sant, sou­vent en dehors de
l’or­ga­ni­sa­tion cen­trale natio­nale. Il faut, tout en res­tant au
Secré­ta­riat inter­na­tio­nal et en par­ti­ci­pant à ses
Confé­rences, ne pas perdre de vue ces mino­ri­tés animées
de concep­tions sem­blables aux nôtres. Il faut que nous suivions
leur mou­ve­ment et leur déve­lop­pe­ment comme elles sui­vront les
nôtres.

Certes, la situa­tion est
dif­fi­cile et l’on com­prend les efforts de cer­taines de ces
orga­ni­sa­tions amies pour en sor­tir. De Arbeid (Le Travail),
l’or­gane du secré­ta­riat natio­nal ouvrier de Hol­lande disait
notam­ment dans son numé­ro du 27 novembre :

En Hol­lande, le
Secré­ta­riat natio­nal du Tra­vail se trouve pla­cé en
dehors de l’In­ter­na­tio­nale ; en Alle­magne, l’U­nion libre des
syn­di­cats ; en Amé­rique, les Tra­vailleurs indus­triels du
monde ; en Espagne, la
Soli­da­ri­dad
Obre­ra
 ; en Ita­lie, en Suisse, en Autriche, de larges
masses de syn­di­qués se trouvent éga­le­ment en dehors des
rela­tions inter­na­tio­nales, tan­dis que, dans les pays scandinaves,
après les évé­ne­ments de Suède, on peut
s’at­tendre à des changements. 

Est-ce que le moment
n’est pas venu pour recher­cher sérieu­se­ment si cette situation
peut conti­nuer plus long­temps encore ? On attend l’i­ni­tia­tive de
la France, nous le savons, mais elle pour­rait tar­der, de sorte que de
grands inté­rêts sont négli­gés entre temps.

Pour nous, il n’y a
rien à gagner par l’af­fi­lia­tion à l’Internationale
syn­di­cale des élé­ments ouvriers américains
sui­vant la tac­tique de la petite bour­geoi­sie, et, pour la C.G.T.
fran­çaise, pas davantage.

Il nous semble donc
néces­saire qu’on se pose sérieu­se­ment, dans tous les
pays, la ques­tion de savoir si l’i­so­le­ment des organisations
syn­di­cales révo­lu­tion­naires doit continuer.

Cet iso­le­ment des
orga­ni­sa­tions syn­di­cales d’es­prit révo­lu­tion­naire n’est que
trop réel. Mais faut-il y remé­dier en consti­tuant un
deuxième secré­ta­riat inter­na­tio­nal, Une deuxième
Inter­na­tio­nale ? C’est l’o­pi­nion de nos amis hol­lan­dais. Je ne
la par­tage pas. Il est trop facile de pré­voir que si le
pre­mier organe est volon­tai­re­ment impuis­sant, le deuxième ne
le serait pas moins mal­gré toute notre volonté.

La pre­mière tâche
à faire c’est de nous res­ser­rer mora­le­ment, de nous connaître
mieux, de nous infor­mer mutuel­le­ment. L’in­ter­na­tio­na­lisme, comme tous
les sen­ti­ments, car il est cela d’a­bord, a besoin d’être
ali­men­té et il ne peut l’être qu’à une condition,
c’est que nous sui­vions les grandes luttes sou­te­nues par les uns et
par les autres, que nous vibrions aux suc­cès comme aux revers
de nos amis loin­tains, que nous enfon­cions pro­fon­dé­ment cette
véri­té trop simple pour être long­temps méconnue :
que par­tout les tra­vailleurs sentent leur exploi­ta­tion et que
par­tout, par sur­sauts ou par efforts tenaces ils font effort pour
redres­ser leur échine et leur front.

Ain­si se formera
l’at­mo­sphère où pour­ra pous­ser vigou­reu­se­ment, en dépit
de toutes les résis­tances, l’In­ter­na­tio­nale syn­di­cale, la
véri­table Inter­na­tio­nale ouvrière, tra­vaillant à
pro­pa­ger l’in­ter­na­tio­na­lisme, un inter­na­tio­na­lisme qui ne se limite
pas à évi­ter sim­ple­ment la guerre — ce n’est là
que sa besogne défen­sive, néga­tive. pour­rait-on dire —
mais à orga­ni­ser sans sou­ci des fron­tières l’attaque
contre le capitalisme.

Pierre Monatte

La Presse Anarchiste