Après avoir rappelé cette définition de William Godwin que « le véritable objet de l’éducation est d’engendrer le bonheur », l’auteur de l’article, Tom Earley, expose le thème central du livre en question, c’est que l’éducation a fait faillite parce qu’elle s’est intéressée aux têtes (aux cerveaux) et non aux cœurs. Nos écoles ont concentré leur activité sur la pensée et non sur le sentiment, avec comme résultat la répression de nos vies émotionnelles. Les émotions ainsi refoulées, contrariées, se sont avérées dangereuses, socialement hostiles, finissant par s’extérioriser dans l’autoritarisme et la guerre.
Neill, toujours d’après l’auteur de l’article, étant incapable de s’en tenir à un thème unique, car il écrit comme il parle — et c’est probablement pourquoi ses ouvrages sont si lisibles et contrastent avec la majorité des livres traitant du problème de l’éducation, si lourds et si ennuyeux — Neill donc se livre sans cesse à des digressions, qui tout en étant profitables, intéressantes, le portent à se contredire, à se répéter, etc.
L’éducation dispensée en URSS l’a déçu. L’abolition de la co-éducation, la création de prytanées pour jeunes officiers, la re-imposition d’une stricte discipline et le barbare système des punitions ne visent qu’à obtenir des élèves docilité et soumission. Il écrit à ce sujet : « Un si grand nombre d’entre nous avaient tourné leurs yeux vers la Russie et s’attendaient à la voir mener le jeu en politique comme en éducation, et voilà que nous ne pouvons que soupirer et il ne nous reste plus qu’à creuser nos sillons solitaires. Nous avons bien des choses à apprendre de l’Union Soviétique, mais concernant l’éducation et une nouvelle orientation vers une vie créatrice et spirituelle, elle n’a rien à nous enseigner ».
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Personne n’a fait davantage que A. S. Neill pour dissiper les préjugés et l’ignorance qui caractérisent l’attitude des adultes à l’égard de la sexualité chez l’enfant. Ses ouvrages précédents ont mis en relief l’incroyable sottise qu’il y a, selon lui, à moraliser le fait sexuel et la stupidité dangereuse du tabou onaniste. Cependant, comme l’écrivait un ancien élève de l’école de Summerhill « la masturbation n’est que le pâle reflet de l’acte sexuel ». Dans son nouveau livre, Neill examine le problème à fond et ses idées jusqu’à leur conclusion logique.
Tout en reconnaissant ce qu’il doit à Freud, il le dépasse de loin. Il est clair que les ouvrages de Wilhelm Reich l’ont considérablement influencé : « Reich est le seul ― écrit-il — qui ait apporté au prolétariat un nouveau message concernant le fait sexuel. Il importe de le suivre. L’avenir est aux masses, non aux classes. Le progrès ne peut. s’accomplir que par elles, mais la route sera longue et dure et les classes lutteront pour maintenir le refoulement sexuel, lequel châtre les travailleurs et les dispose à l’esclavage ».
Reich s’adresse aux éducateurs. Son ouvrage Fonction de l’Orgasme montre clairement qu’il considère le refoulement de la vie sexuelle de l’enfant et de l’adolescent, à l’école et à la maison, comme la cause directe de la soumission du peuple à une règle politique autoritaire : l’unique solution du problème réside, selon lui, dans la liberté de la vie sexuelle pour la jeunesse.
Les arguments présentés par Neill en faveur de la liberté sexuelle de la jeunesse semblent, à l’auteur de l’article dont s’agit, incontestables et irréfutables ; les difficultés que peuvent rencontrer ceux qui désireraient mettre les dites théories en pratique n’enlèvent rien à leur valeur. Neill n’ignore pas ces difficultés, il ne se dérobe pas, il les examine franchement, et constate avec une extrême répugnance que prolonger ses idées jusqu’à leur extrême conséquence n’est pas une méthode praticable actuellement : « Lors, que la société aura une attitude affectueuse à l’égard du fait sexuel au lieu de le craindre ou de le haïr, la co-éducation scolaire fournira les facilités voulues pour que les enfants vivent sexuellement leur vie dès lorsqu’ils y sont biologiquement aptes, mais de nombreuses guerres, révolutions, rééducations sociales auront lieu avant d’en arriver là »… « La liberté sexuelle des jeunes viendra, mais c’est pour après-demain, à moins que la jeunesse elle-même revendique ses droits ». Ajoutons, pour notre part, que jeunes parents et éducateurs gagneraient à étudier les écrits de Reich.
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Les éducateurs actuels se préoccupent surtout d’émettre des plans. Le « planisme » étant la grande mode du jour. Les planistes se préoccupent surtout de choses superficielles, comme le reclassement des écoles ou des examens, négligeant ce qui est fondamental. L’idée générale est de dispenser toujours plus d’éducation à toujours plus d’êtres humains sans s’occuper de la nature de l’éducation considérée en elle-même. Neill écrit à ce sujet : « L’éducation a une portée beaucoup plus large que les sujets scolaires. Nos plans doivent être basés sur le fait que l’émotion a une plus grande importance que l’intellect que l’inconscient chez l’enfant est infiniment plus grand que le conscient. Nos plans devraient donc oublier tout ce qui a trait aux sujets et aux programmes scolaires, ne considérer que cette grande question : Comment nous y prendre pour rendre les êtres plus heureux, plus efficients dans leur activité, plus équilibrés personnellement, plus satisfaits quant à leur vie émotionnelle ».
Hearts, not Heads in the Schools fournit, dans une grande mesure, une réponse à cette question, et, pour cette raison, cet ouvrage a une valeur bien plus grande que les plans proposés ou les projets adoptés dans les assemblées légiférantes. Neill écrit : « je ne me fais aucune illusion. Dans cinquante ans, je serai un inconnu », Tom Earley pense au contraire que lorsque les noms des ministres et ministresses de l’Éducation seront tombés dans l’oubli qu’ils méritent, les éducateurs de l’avenir se souviendront de celui de A. S. Neill.
E. Armand