La Presse Anarchiste

À quoi sert une armée

Par
ces temps de dif­fi­cul­tés finan­cières, cer­tains vont
disant que l’ar­mée est un lourd far­deau pour l’État,
que son entre­tien coûte cher, qu’en­fin les affaires iraient
mieux sans ce luxe inutile.

Ceux
qui disent cela sont des naïfs. L’ar­mée est au contraire
indis­pen­sable à l’É­tat comme aux Affaires. D’abord,
direz-vous, elle doit sous cou­vert de défense nationale
pou­voir atta­quer les autres, de pré­fé­rence les plus
faibles (impé­ria­lisme colo­nial) pour leur prendre leurs
terres, leurs res­sources, leurs biens et leurs hommes. Oui certes
cela est impor­tant, mais quand même pour la plu­part des États,
l’ar­mée ne peut qu’ex­cep­tion­nel­le­ment accom­plir cette fonction
à laquelle elle est théo­ri­que­ment des­ti­née. Ce
rôle exté­rieur de l’ar­mée n’est au fond que
secon­daire et acces­soire com­pa­ré à son rôle
inté­rieur qui, lui, est pri­mor­dial. Sans rem­plir au préalable
cette mis­sion interne l’ar­mée ne pour­rait même son­ger à
l’autre.

La
néces­si­té d’une armée est aisée à
démon­trer sur un triple plan : psy­cho­lo­gique, politico-social,
économique.

Nécessité psychologique

Le
mythe de la guerre tou­jours mena­çante est indis­pen­sable pour
créer et main­te­nir ce com­plexe sans lequel aucun État,
aucune nation ne serait conce­vable. Le sen­ti­ment de la patrie en
dan­ger, de la ville assié­gée, du pays encerclé,
de l’en­ne­mi héré­di­taire est le seul qui puisse susciter
une soli­da­ri­té col­lec­tive entre exploi­tés et exploiteur
oppri­més et oppres­seurs d’un même ter­ri­toire. L’armée
doit donc sym­bo­li­ser cette union entre diri­geants et dirigés.
Le pre­mier soin de pro­pa­ger cette vision est confié à
l’ins­ti­tu­teur. L’ins­ti­tu­teur mar­quant l’es­prit des jeunes enfants de
son « tu seras sol­dat » pré­pare la vois au sous-off
qui lui dira « tu es sol­dat ». Ins­truc­tion Publique et
Ser­vice Mili­taire ont une tâche indis­so­lu­ble­ment liée :
faire des sol­dats avant des citoyens. Mal­gré les
posi­tions « de gauche » de la plu­part d’entre eux, les
ins­ti­tu­teurs laïques fran­çais inculquent comme les
autres le patrio­tisme et l’im­pé­ria­lisme. Sans cela les jeunes
n’ac­cep­te­raient pas aus­si faci­le­ment d’al­ler com­battre en Afrique du
Nord et l’o­pi­nion met­trait cer­tai­ne­ment moins d’an­nées avant
de com­prendre que l’Al­gé­rie n’est pas la France. Seule­ment les
braves ins­ti­tu­teurs sont les pre­miers piliers du culte patrio­tard et
les meilleurs pro­pa­ga­teurs du cli­ché colo­nia­lisme égal
de la phi­lan­thro­pie. L’ins­ti­tu­tion du Ser­vice Mili­taire Obligatoire
per­met de prendre bien en main le peuple. Sous le pré­texte de
ser­vir son pays, on peut impri­mer à la popu­la­tion, dès
son enfance, des réflexes condi­tion­nés, qui, au nom du
pays, lui feront com­mettre ou admettre les acttes les plus insensés,
les plus cri­mi­nels. Sans aucun contrôle ni contre­par­tie, chacun
accep­te­ra le sort qui lui est fait ; les mâles celui d’assassin
régle­men­taire et les femmes celui de complice.

La
conscience d’a­voir été mêlé à des
actions mora­le­ment inex­cu­sables ou énor­mé­ment absurdes
est soi­gneu­se­ment entre­te­nue sus­ci­tant cette culpabilité
col­lec­tive vis-à-vis des guerres pas­sées ou présentes,
qui est le meilleur agglu­ti­nant trou­vé par l’É­tat. (et
peut-être le seul?)

La
guerre pour ceux qui en reviennent prend un aspect d’a­ven­ture, de
voyage, de vacances. Ceux qui sont morts n’ap­portent pas la
contra­dic­tion et guère plus les muti­lés. Avec ou sans
guerre le ser­vice mili­taire revêt aux yeux de beaucoup
l’im­por­tance des rites d’i­ni­tia­tion par les­quels, dans les société
antiques ou pri­mi­tives, l’a­do­les­cent devient homme. Le pinard, le
tabac, les cartes, la vérole, la bagarre, assaisonnés
d’ar­ro­gance ou de gros­siè­re­té, voi­là qui rend
« viril ». Pour de nom­breux ouvriers ou pay­sans la
trans­plan­ta­tion dans une ville loin­taine sera parée,
enlu­mi­née, plus tard dans la mono­to­nie de leur vie, d’une
nos­tal­gie du « bon temps ». Les filles, les copains,
l’oi­si­ve­té de la vie de gar­ni­son, effa­ce­ront les mauvais
sou­ve­nirs du juteux, de la fatigue haras­sante et de la sou­mis­sion de
tous les instants.

Pen­dant
des siècles, le sol­dat demeu­ra un être méprisé,
reje­té par la socié­té. Dans de nombreuses
langues depuis le chi­nois jus­qu’au fran­çais, les termes soldat
et bri­gand furent syno­nymes. La gent mili­taire était composée
de la noblesse para­site plus une masse de dévoyés,
condam­nés, gens sans aloi ramas­sés un peu partout,
inca­pables de tra­vailler et vivant de la solde, à laquelle
pou­vait occa­sion­nel­le­ment s’a­jou­ter le butin, fruit du pillage. Les
armées étaient una­ni­me­ment haïes et comme des
fléaux.

Depuis
la Révo­lu­tion Fran­çaise tous les jeunes doivent en cas
de guerre prendre leur part de meurtres, tor­tures, viols, vols et
pillages, et, en cas de paix, mener la vie oisive et avi­lis­sante des
casernes. Toute femme doit accep­ter de vivre avec d’ex-soudards
hon­teux ou plastronnants.

« L’Ar­mée
c’est l’é­cole du crime » disait Ana­tole France. En fait,
l’exis­tence de l’ar­mée entraîne dans une grande partie
de la popu­la­tion l’ac­cou­tu­mance à l’or­dure, à
l’o­béis­sance, à la ser­vi­li­té, à la
paresse phy­sique et men­tale, à la crainte de l’autorité,
à l’ac­cep­ta­tion du régime éta­bli. Enfin l’armée
per­met à tout ce que les tem­pé­ra­ments recèlent
de sadisme latent, de cruau­té et de des­po­tisme de se révéler
et de s’é­pa­nouir plei­ne­ment. La libé­ra­tion des
ins­tincts qui som­meillent chez chaque « civilisé »
comme chez les autres est à mettre à l’ac­tif du système
mili­taire, four­nis­sant les occa­sions de défou­le­ment les plus
multiples.

Le
régime hit­lé­rien, qui fut le plus par­fait des
mili­ta­rismes, a mon­tré com­ment pou­vaient éclore, en
grand nombre, les voca­tions de tor­tion­naires les plus bes­tiaux ou les
plus « savants ». Un nombre incroyable de braves gens, de
bons pères de famille, de jeunes hommes bien élevés,
se révèlent rapi­de­ment de beso­gneux pra­ti­ciens de
toutes les tor­tures morales ou phy­sique. L’É­tat pour raffermir
son assise tend à rendre la plus grande masse com­plice de ses
crimes.

Nécessité polico-sociale

Le
Ser­vice Mili­taire Obli­ga­toire a pour pre­mier effet de sous­traire à
la vie civile, donc à l’a­gi­ta­tion sociale, poli­tique et
révo­lu­tion­naire, les jeunes à l’âge où,
pré­ci­sé­ment ils peuvent être les plus
dis­po­nibles, les plus com­ba­tifs, les plus forts. Non seule­ment le
Ser­vice Mili­taire les retire du cir­cuit pré­ci­sé­ment au
moment où ils seraient les plus dan­ge­reux, mais vise ensuite à
anni­hi­ler défi­ni­ti­ve­ment leur poten­tiel révolutionnaire.
Avec tous les pro­cé­dés employés pour bri­ser la
per­son­na­li­té et sup­pri­mer toute volon­té de liberté
l’Ar­mée est une entre­prise rela­ti­ve­ment. effi­cace de
des­truc­tion. psy­cho­lo­gique durable, et le conscrit en sort amoindri
pour long­temps. Autant de per­du, le temps de récupérer,
de retour­ner à la lutte de classe. Ce n’est pas tant le
bara­tin patrio­tard qui puisse l’en­ta­mer que l’abrutissement
métho­dique par la rou­tine du service.

Enfin
le méca­nisme mili­taire len­te­ment mis au point n’a pas pour
effet, seule­ment, par une expé­rience séculaire
d’af­fai­blir le camp de la Révo­lu­tion mais de ren­for­cer celui
de la répres­sion, car ce qui est sous­trait au peuple est
uti­li­sé par le pou­voir. C’est ce qu’ex­pri­mait TALLEYRAND avec
son par­fait cynisme : « Faire gar­der les pauvres en bour­ge­ron par
les pauvres en uni­forme, voi­là le secret de la tyran­nie et le
pro­blème du gou­ver­ne­ment ». L’ar­mée permanente
consti­tue plus qu’un outil de poli­tique étrangère,
avant tout une réserve de Police. C’est pour cela que, après
chaque guerre, les vain­cus ne sont jamais complètement
démi­li­ta­ri­sés. Témoin : les « Alliés »
dic­tèrent à l’Al­le­magne le Trai­té de Versailles
en 1919, qui lui don­na la Reichs­wehr, armée ouvertement
recon­nue comme inuti­li­sable à l’ex­té­rieur, mais
des­ti­née à pro­té­ger la classe diri­geante contre
le peuple alle­mand. Cet exemple fla­grant se répète
après chaque armis­tice. Et dans ce cas pré­cis, Foch
armant le bras du « socia­liste » Noske ne fai­sait que
rendre à la bour­geoi­sie alle­mande le ser­vice prêté
par Bis­mark à Thiers en res­ti­tuant en toute hâte les
pri­son­niers fran­çais pour consti­tuer l’armée
ver­saillaise contre la Com­mune de Paris.

La
rai­son don­née pour le réar­me­ment actuel de l’Allemagne,
de ne pas lais­ser au cœur de l’Eu­rope un « vide militaire »
doit s’en­tendre de plu­sieurs façons ; il y a peut-être le
sou­ci de créer quelques divi­sions de plus contre les Russes,
quoi que ce genre d’obs­tacle soit un peu péri­mé, mais
il y a aus­si, sans aucun doute, la volon­té de faire ces­ser un
scandale.

Le
scan­dale d’un grand pays moderne sans armée, où, plus
le sou­ve­nir de l’ar­mée était deve­nu un objet de
déri­sion pour le peuple, où la jeu­nesse était
gagnée par un anti­mi­li­ta­risme radi­cal que ne pou­vait limiter
aucune borne légale. Un peuple et une jeu­nesse qui ne
pou­vaient être enca­drés, cir­con­ve­nus, intimidés,
d’au­cune façon. Il fal­lait que ce foyer d’in­fec­tion. soit
sup­pri­mé. Il le fut d’a­bord à l’Est puis à
l’Ouest.

De
temps immé­mo­riaux, Police et Armée furent
inter­chan­geables. De gens d’arme (Armée) à gendarme
(Police) il n’y a pas de dis­tance. Dès que la Police régulière
est débor­dée, le pou­voir dis­pose de l’Armée.
À‑t-on besoin d’é­ta­blir un cor­don pour cer­ner une
pri­son révol­tée ? de jaunes pour rem­pla­cer des
che­mi­nots, des boueurs en grève ? – L’Ar­mée est là
– l’Ar­mée, rem­part de la classe diri­geante contre le peuple,
sert aus­si par les héca­tombes des guerres modernes, à
détruire phy­si­que­ment (et non plus, seule­ment, mora­le­ment) un
grand nombre de tra­vailleurs dont l’É­tat et le Capi­tal serait
bien embar­ras­sé. Mais la menace de l’ar­mée ne s’étend
pas qu’aux hommes sous l’u­ni­forme, retran­chés de la vie
sociale et éco­no­mique, dans un pays démo­cra­tique, elle
per­met, à volon­té, de sous­traire de la démocratie
les autres caté­go­ries de citoyens.

Tous
les mobi­li­sables dépendent du bureau de recru­te­ment, même,
lors­qu’ils ne sont pas « sous les dra­peaux », et peuvent
être rap­pe­lés ou mobi­li­sés. Certains
gou­ver­ne­ments (Clé­men­ceau, Briand) essayèrent ain­si de
mobi­li­ser les gré­vistes à leur tra­vail. En outre, tout
le monde, même non mobi­li­sable, est pas­sible des tribunaux
mili­taires, c’est-à-dire, d’une juri­dic­tion d’exception
n’of­frant pas les der­nières garan­ties de la justice
bour­geoise. Il suf­fit pour cela d’être incul­pé de toute
une caté­go­rie de délits « spéciaux » —
(atteinte au moral de l’ar­mée, à l’intégrité,
à la sûre­té du territoire…)

Enfin,
l’ar­mée sert de pré­texte à l’en­trée en
vigueur de légis­la­tion d’ex­cep­tion pou­vant temporairement
frap­per l’en­semble de la popu­la­tion d’une région ou de l’État.
La Jus­tice et le Droit, mal­gré leur carac­tère de
classe, sont alors consi­dé­rés comme trop cléments
et sus­pen­dus. La pro­tec­tion civile cède le pas à
l’ad­mi­nis­tra­tion mili­taire. Ce sont les régimes de la Loi
Mar­tiale, et de l’É­tat de Siège (et de « L’État
d’Ur­gence » actuel en Algérie ).

Admi­nis­tra­tion
et Jus­tice mili­taires, tout en res­tant au second plan en période
nor­male, sont en per­ma­nence l’in­car­na­tion de l’É­tat. Leur étau
se serre ou se des­serre sur toute la popu­la­tion au grès des
gouvernements.

L’Ar­mée
est donc per­pé­tuel­le­ment à pied d’œuvre pour façonner
la socié­té dans un style fas­ciste et c’est là,
le sens le plus pro­fond de son existence.

Dans
de nom­breux États (et pas seule­ment en Amé­rique latine)
l’Ar­mée n’a jamais com­bat­tu à l’ex­té­rieur mais
tou­jours à l’in­té­rieur. Et les seuls « hauts
faits » de l’Ar­mée Espa­gnole ont depuis plus d’un siècle
été illus­trés dans le sang du peuple espagnol.
En Argen­tine, Mexique, Bré­sil, il en fut de même. Depuis
que le Pana­ma, à l’i­mi­ta­tion de Cos­ta Rica, sup­pri­ma l’armée,
le rôle de pre­mier plan dans l’É­tat, revint tout
natu­rel­le­ment au Chef de la Police, mon­trant une fois de plus que
Police et Armée sont deux formes d’une mène
institution.

Comme
toutes les ins­ti­tu­tions et corps sociaux for­te­ment hiérarchisés
et struc­tu­rés (Église, Par­ti, etc.) l’Ar­mée bien
qu’i­ni­tia­le­ment au ser­vice de l’É­tat tend à la
pré­émi­nence. S’emparer de l’É­tat, se
l’i­den­ti­fier ou le sub­ju­guer est le but de toute Armée. La
riva­li­té entre caste mili­taire et caste poli­ti­cienne (ou
sacer­do­tale) est mil­lé­naire. La caste des mili­taires d’origine
aris­to­cra­tique et plé­béienne passe tou­jours par trois
phases suc­ces­sives de conscience politique :


d’a­bord un dévoue­ment à l’É­tat « Servir »,


puis la conscience qu’elle incarne des intérêts
dif­fé­rents de ceux de l’É­tat, « supérieurs »
bien sûr,


Enfin la néces­si­té de domi­ner l’É­tat, pas­sant de
la subor­di­na­tion à l’au­to­no­mie et à la domination.

La
ten­ta­tion de la dic­ta­ture mili­taire ou césa­risme est
inévi­table en France ; Bona­par­tisme, Bou­lan­gisme, Pétainisme,
Gaul­lisme. Dans le pas­sé encore proche, l’Al­le­magne et le
Japon don­nèrent des exemples de caste militaire
par­ti­cu­liè­re­ment enva­his­sante. Tito ou Nas­ser représentent
aus­si le même phé­no­mène social, Tou­khat­chévs­ky ou Jou­kov étaient peut-être près, eux aussi,
de réus­sir. Aux U.S.A. la dic­ta­ture mili­taire est, de nos
jours, par­fai­te­ment conce­vable : l’é­chec de Mac Arthur est
celle d’un homme non d’un sys­tème, et seule la rivalité
Armée-Marine han­di­cape la course (comme elle l’a stoppée
en Argen­tine et au Brésil).

Les
chances crois­santes d’au­to­no­mie et de main­misme de l’Armée
sont impu­tables notam­ment au carac­tère équi­voque de sa
situa­tion de classe, à mesure que son recru­te­ment devient plus
démo­cra­tique. L’Ar­mée peut tou­jours espé­rer et
recueilla sou­vent l’ap­pui des mou­ve­ments de gauche. La gauche a
tou­jours eu l’illu­sion de pou­voir tour­ner le Capi­tal (sur lequel elle
n’a pas de prise) par l’Ar­mée (où elle s’introduit).

Le
peuple peut se recon­naître beau­coup plus faci­le­ment dans
l’ar­mée car il a le sen­ti­ment d’en­fer­mer la sub­stance alors
qu’il pénètre moins dans la caste poli­ti­cienne et pas
du tout dans la caste capitaliste.

On
voit par là, com­ment l’Ar­mée peut dépasser
l’É­tat bour­geois et même le capi­ta­lisme privé.

Nécessité économique

La
guerre et sa pré­pa­ra­tion per­ma­nente, est le pre­mier phénomène
régu­la­teur de l’é­co­no­mie contem­po­raine. Elle per­met de
reti­rer à volon­té du mar­ché une masse de jeunes
tra­vailleurs dont on pour­rait craindre le chômage.

Elle
offre des débou­chés éten­dus et peu délicats
à TOUS les sec­teurs de pro­duc­tion et en TOUS temps (guerre
active ou préparée).

L’in­dus­trie
lourde ne vit, en plus grande par­tie, que par l’exis­tence de l’Armée
(Arme­ments, construc­tions navales et aéronautiques).

L’in­dus­trie
auto­mo­bile y trouve un appoint notable (tanks…) de même que
l’in­dus­trie des construc­tions méca­niques et de l’appareillage
élec­trique (équi­pe­ment des trans­mis­sions, armes
savantes…)

L’in­dus­trie
chi­mique four­nit les explo­sifs à par­tir des mêmes usines
qui font les engrais.

L’in­dus­trie
tex­tile les uni­formes, parachutes…

L’in­dus­trie
du bâti­ment et des tra­vaux publics construit les bases, les
lignes de défense, les voies stratégiques.

Celle
des trans­ports véhi­cule par air, terre ou mer les troupes et
les fournitures.

Les
indus­tries ali­men­taires four­nissent à l’in­ten­dance des
quan­ti­tés de vivres (conserves…)

Enfin,
il n’est pas jus­qu’à l’A­gri­cul­ture qui ne trouve dans l’armée
l’exu­toire à ses récoltes excédentaires
(hari­cots, vin…)

Quant
à la recherche scien­ti­fique, ses labo­ra­toires sont accaparés
par la guerre et de nom­breux domaines où les recherches sont
les plus coû­teuses (ato­nique, sidé­ral ou trans­port à
réac­tion) sont réser­vés avant tout, à des
fins stériles.

On
voit, com­ment, l’ar­mée, loin d’être un far­deau est une
vache à lait pour le capi­ta­lisme. Le plus clair des crédits
mili­taires équi­vaut en somme à des sub­ven­tions de
l’É­tat au Capi­tal. Sub­ven­tions reçues en échange
de pro­duits qui n’en­com­bre­ront pas le mar­ché, et selon des
contrats de longue durée, sans grand contrôle de qualité
ni concur­rence. Être four­nis­seur de l’Ar­mée est pour de
nom­breux pro­duc­teurs une solide assurance.

Comme
ces pro­duc­teurs se retrouvent dans toutes les branches d’activité
et que les stades infé­rieurs de trans­for­ma­tion en sont
tri­bu­taires, ce sont, par réper­cus­sion, des pans entiers de
l’é­co­no­mie qui reposent sur la guerre.

Ce
fait n’est pas nou­veau et dans la France Napo­léo­nienne comme
l’Al­le­magne wil­hel­niennne les four­nis­seurs des armées étaient
au cœur de l’ex­pan­sion idus­trielle. Mais la guerre de 14 – 18 a eu
pour consé­quence de géné­ra­li­ser cet état
de fait à toutes les grandes puis­sances et de le rendre
permanent.

L’é­co­no­mie
de de guerre n’a fait que briè­ve­ment place à par­tir de
1919 à l’é­con­mie de recons­truc­tion (consé­quence
de l’ac­ti­vi­té mili­taire). Mais depuis la grande crise de
1929 – 30, les grands pays capi­ta­listes sont tour­nés vers
l’é­co­no­mie de pré­pa­ra­tion de guerre qui por­ta ses
fruits en 1939 ; 6 ans d’é­co­no­mie de guerre exclu­sive. Puis,
encore de recons­truc­tion en Europe et une brève « reconversion »
paci­fique aux U.S.A. fai­sant vite place à la guerre froide
(pacte Atlan­tique) et enfin pour vaincre le réces­sion de 1949,
une éco­no­mie de guerre carac­té­ri­sée (pré­texte
la guerre de Corée 1950 – 53) avec une timide détente à
par­tir de 1953 (mort de Sta­line – Pan Mun Jon) 1954 (confé­rences
de Genève).

Chaque
État offre des variantes à ce sché­ma général
du rythme du déve­lop­pe­ment du capi­ta­lisme mon­dial en
l’ag­gra­vant souvent.

Ain­si
la France vit en éco­no­mie de guerre inin­ter­rom­pue depuis plus
de 20 ans : Pré­pa­ra­tion de guerre dès le Front
Popu­laire, guerre de 39 – 40, mise au ser­vice de l’Al­le­magne de toute
l’in­dus­trie fran­çaise de 1940 à 1944, guerre de
« Libé­ra­tion » et recons­truc­tion, essai de
recon­quête de l’In­do­chine 1946 – 1954, guerre d’Algérie
depuis 1954. Si cette der­nière se ter­mine, ce sera
vrai­sem­bla­ble­ment pour com­men­cer celles du Came­roun, de Mada­gas­car ou
du Sénégal.

Et
le Capi­tal fran­çais ne s’est jamais si bien por­té… Et
si l’É­tat boucle mal son bud­get on aura recours à
l’in­fla­tion dont les salaires seuls font les. Frais.

– O –

La
GUERRE, pou­mon d’a­cier de l’é­co­no­mie capi­ta­liste à un
rôle moteur non négli­geable en économie
bureau­cra­tique de tran­si­tion (hit­lé­risme) ou économie
bureau­cra­tique totale (sta­li­nienne). L’é­qui­pe­ment de l’Armée
est le pré­texte élé­men­taire pour favoriser
l’in­dus­trie lourde et ses énormes inves­tis­se­ments contrôlés
par l’É­tat aux dépens de la pro­duc­tion des biens de
consom­ma­tion. Le dilemme « du beurre et des canons »
inven­té par les nazis est tou­jours repris par Khrouchtchev
pour faire prendre patience au peuple. Il sert à justifier
l’é­norme part de consom­ma­tion pré­le­vée par
l’ap­pa­reil bureau­cra­tique de l’É­tat, du Par­ti, de l’Armée,
de la Police et des Trusts.

L’Ar­mée
est, là-bas aus­si et dans les démo­cra­ties populaires,
un corps pri­vi­lé­gié, une caste nou­velle vouée au
main­tien de l’Ordre dans toute la zone de l’U.R.S.S. et du gla­cis. En
outre, l’Ar­mée y joue le même rôle poli­tique et
psy­cho­lo­gique qu’i­ci : celui de rendre l’É­tat plus parfaitement
tota­li­taire en fai­sant régner :


la peur du supéreur.


l’i­gno­rance de l’étranger


la pré­somp­tion vaine du patrio­tisme hâbleur


le fana­tisme mys­tique et dis­ci­pli­naire et l’a­bru­tis­se­ment collectif
méthodique

Sans
les­quels aucune nation ne pour­rait exister.

J.
Presly

La Presse Anarchiste