La Presse Anarchiste

Sur la démocratie

[(Cette
plate-forme a été pré­sen­tée au Congrès
de Bourg la Reine en 1927.

Le
texte que nous avons n’est qu’une par­tie de la dite plate-forme, nous
pen­sons néan­moins qu’il est utile de la repré­sen­ter à
l’en­semble des camarades.)]


Néga­tion
de la démocratie

La
démo­cra­tie est une des formes de la Société
Capi­ta­liste et bour­geoise. La base de la démo­cra­tie est le
main­tien de deux classes anta­go­nistes de la Société
Moderne : celle du Tra­vail et celle du Capi­tal et leur collaboration,
sur la base de la Pro­prié­té pri­vée Capitaliste.

L’ex­pres­sion
de cette col­la­bo­ra­tion est le Par­le­ment et le Gou­ver­ne­ment national
repré­sen­ta­tif. For­mel­le­ment la démo­cra­tie pro­clame la
Liber­té de la Parole et de la Presse, la liberté
d’as­so­cia­tion ain­si que l’É­ga­lite de tous les citoyens devant
la Loi. En réa­li­té toutes ces liber­tés ont un
carac­tère assez relatif.

Elles
sont tolé­rées jus­qu’à ce, et pour autant,
qu’elles ne viennent pas contre­car­rer les inté­rêts de la
classe domi­nante, c’est-à-dire de la bourgeoisie.

La
démo­cra­tie main­tient intact le prin­cipe de la propriété
capi­ta­liste pri­vée. En même temps elle laisse à
la bour­geoi­sie le droit de tenir entre ses mains toute l’économie
du pays, toute la presse, l’ins­truc­tion, la science, l’art, tout ce
qui en fait rend la bour­geoi­sie maître abso­lu des pays. Ayant
le mono­pole dans le domaine de la vie éco­no­mique, la
bour­geoi­sie peut éga­le­ment éta­blir son pou­voir illimité
dans le domaine poli­tique. En effet le par­le­ment et le gouvernement
repré­sen­ta­tif ne sont en régime démo­cra­tique que
les organes exé­cu­tifs de la bour­geoi­sie. En conséquence,
la démo­cra­tie n’est qu’un aspect de la dic­ta­ture bourgeoise
mas­qué par les fausses for­mules de liber­té poli­tique et
par là, la futile garan­tie démocratique.


La
néga­tion de l’É­tat et du pouvoir

Les
idéo­logues de la bour­geoi­sie défi­nissent l’État
comme organe régu­la­teur des rap­ports compliqués
poli­tiques sociaux entre les hommes, au sein de la société
moderne et comme le tuteur de l’Ordre et des lois dans celle-ci. Les
anar­chistes sont par­fai­te­ment d’ac­cord avec cette définition
mais ils la com­plètent en affirment qu’à la base de cet
ordre et de ces lois se trouve l’as­su­jet­tis­se­ment d’une large
majo­ri­té du peuple par une mino­ri­té infime et que
l’É­tat sert pré­ci­sé­ment à main­te­nir cet
escla­vage. L’É­tat est en même temps la violence
orga­ni­sée par la bour­geoi­sie contre les tra­vailleurs et le
sys­tème de ses organes exécutifs.

Les
socia­listes de gauche, et en par­ti­cu­lier les bolcheviques,
consi­dèrent eux aus­si le pou­voir et l’É­tat bourgeois
comme les ser­vi­teurs du Capi­tal. Mais ils pensent que le pou­voir et
l’É­tat peuvent deve­nir, une fois entre les mains des
socia­listes, un moyen puis­sant dans la lutte pour l’émancipation
du Pro­lé­ta­riat. Pour cette rai­son ces par­tis sou­tiennent un
pou­voir socia­liste et un État ouvrier. Les uns veulent la
conquête du pou­voir par les moyens paci­fiques, parlementaires
(les sociaux-démo­crates); les autres par les moyens
révo­lu­tion­naires (bol­che­viques et les socialistes
révo­lu­tion­naires de gauche).

L’A­nar­chisme
consi­dère les deux thèses comme profondément
erro­née et pro­fon­dé­ment néfastes pour l’œuvre
d’é­man­ci­pa­tion du travail.

Le
Pou­voir est tou­jours des­ti­né à la spo­lia­tion et à
l’as­su­jet­tis­se­ment des masses popu­laires. Il sur­git de cette
spo­lia­tion et il est créé pour la per­mettre. Le Pouvoir
sans la vio­lence et sans l’ex­ploi­ta­tion perd toute rai­son d’être.

L’É­tat
et le Pou­voir enlèvent l’i­ni­tia­tive aux masses, tuent l’esprit
d’ac­tion auto­nome, l’es­prit d’ac­ti­vi­té, cultivent dans les
masses la psy­cho­lo­gie ser­vile de sou­mis­sion, d’at­ten­tisme, d’espoir
dans les auto­ri­tés. Hors, l’é­man­ci­pa­tion des
tra­vailleurs n’est pos­sible autre­ment qu’au cours d’une lutte
révo­lu­tion­naire directe de larges masses tra­vailleuses et de
leurs orga­ni­sa­tions de classe contre le sys­tème capitaliste.

La
conquête du pou­voir par les par­tis sociaux-démocrates,
par les moyens par­le­men­taires dans le cadre de l’ordre actuel, ne
fera pas avan­cer d’un seul pas l’œuvre d’é­man­ci­pa­tion, pour
la simple rai­son que la puis­sance réelle, et de ce fait le
pou­voir réel, res­te­ront dans la poigne de la bour­geoi­sie qui
détient tous les levier de l’é­co­no­mie et de la
poli­tique du pays. Le rôle du pou­voir socia­liste se réduit,
dans ce cas, aux réformes, à l’a­mé­lio­ra­tion
du régime bour­geois même
. (par exemple Mac Donald,
les par­tis sociaux démo­crates d’Al­le­magne, de Suède, de
Bel­gique, par­ve­nus au pou­voir à l’in­té­rieur de la
Socié­té Capitaliste).

La
conquête du pou­voir par un bou­le­ver­se­ment social et
l’é­ta­blis­se­ment d’un soi-disant « état ouvrier »
ne peut pas plus ser­vir la cause de la véri­table émancipation
du tra­vail. L’É­tat construit à l’o­ri­gine pour la
pré­ten­due défense de la Révo­lu­tion, finit
imman­qua­ble­ment par se lais­ser débor­der par des nécessités
spé­ci­fique et congé­ni­tales, devient lui-même un
but, un pro­duit de peuples par­ti­cu­liers pri­vi­lé­giés sur
les­quels il s’ap­puie, subor­donne par la force, les masses à
ses besoins et à ceux des groupes privilégiés,
et res­taure en consé­quence le fon­de­ment du pou­voir et de
l’é­tat capi­ta­liste : l’as­ser­vis­se­ment par la force,
l’ex­ploi­ta­tion sys­té­ma­tique des masses. (exemple : l’État
« ouvrier et pay­san des bolcheviques.)

P.
Archinov

Pour le groupe des anar­chistes Russes en exil

Le 20 juin 1926

(« Plate-forme d’Organisation »)

[(P.S.
Nous publie­rons dans un pro­chain numé­ro la réponse du
groupe anar­chiste russe dont Voline était secrétaire.)]

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