La Presse Anarchiste

Gritta Samson

Comme
ne l’ignorait nul de nos amis les plus intimes, Grit­ta Samson,
com­pagne depuis près de trente années de l’éditeur
de « Témoins », ne ces­sa d’apporter à
notre entre­prise, en plus du sou­tien maté­riel le plus
effi­cace, le bien­fait d’une pré­sence d’esprit et d’une
ins­pi­ra­tion com­ba­tive qui jamais ne se firent faute de nous soutenir.
Et nous man­que­rions à toute équi­té, à
toute pié­té si nous négli­gions de publier ici la
ver­sion fran­çaise de l’article que M. Robert Lejeune a, dans
l’«Aufbau » de Zurich, en date du 15 octobre 1959,
consa­cré à l’incomparable amie qu’une crise
car­diaque aus­si sou­daine qu’inattendue ne nous laisse plus que la
trop vaine res­source de pleurer.

Le
2 octobre, Grit­ta Sam­son, femme de notre ami Jean Paul Samson,
suc­com­bait, de la façon la plus cruel­le­ment inopi­née, à
une crise cardiaque.

Grit­ta
Sam­son, de bonne heure pas­sion­née pour l’étude des
langues, et à qui l’on doit de nom­breuses traductions
alle­mandes d’ouvrages fran­çais et ita­liens, fut en outre,
bien qu’aucune rai­son maté­rielle ne l’astreignît à
en assu­mer l’effort, un de nos plus émi­nents pro­fes­seurs de
langue alle­mande char­gés d’enseigner les étudiants
étran­gers dési­reux d’achever leurs études à
l’une ou l’autre des deux uni­ver­si­tés de Zurich. Par­mi les
nom­breux livres qu’elle tra­dui­sit en alle­mand, nous citerons
seule­ment, outre le beau roman de Vic­tor Serge « Nais­sance de
notre force » et les deux magis­traux ouvrages d’Henri
Focil­lon « La vie des formes » et « Eloge de la
main », la capi­tale bio­gra­phie de « Péguy »
par Romain Rol­land, ce témoi­gnage de pre­mier ordre si
infi­ni­ment supé­rieur à trop d’autres ouvrages du même
auteur. Tous tra­vaux de longue haleine qui ne l’empêchèrent
point — pas assez pour sa san­té, vou­drait-on dire — de
mettre, en qua­li­té de pro­fes­seur à l’Institut Minerva
de Zurich, la langue de Goethe à la por­tée d’une
innom­brable jeu­nesse stu­dieuse. — Quant à son être
même, il peut se défi­nir par l’union si rare d’une
haute intel­li­gence et de la plus authen­tique bonté.

Un
long séjour à Ber­lin vers 1930 avait révélé
à celle qui devait deve­nir la femme de notre ami toute la
por­tée de la ques­tion sociale et elle crut alors, sur la foi
de son idéa­lisme, trou­ver dans le com­mu­nisme la voie vers la
solu­tion de ce pro­blème entre les pro­blèmes. Se
trou­vant un peu plus tard, éga­le­ment pour un séjour
pro­lon­gé, à Rome, l’attrait de l’entreprise
sovié­tique et son goût des phénomènes
lin­guis­tiques l’amenèrent à vou­loir se familiariser
éga­le­ment avec la langue russe et, dési­reuse de trouver
un pro­fes­seur qua­li­fié, elle alla deman­der conseil à
l’ambassade des soviets dans la capi­tale ita­lienne ; c’est ainsi
qu’elle devint l’élève de la belle-sœur de
Gram­sci. (Je tiens à ajou­ter que la men­tion de ce rapide et
super­fi­ciel contact avec ladite ambas­sade m’a ame­né à
admettre, tout à fait par erreur, qu’elle y avait même
tra­vaillé un cer­tain temps et, vu que cette erreur a également
trou­vé son reflet dans les paroles qu’il me fut donné
de pro­non­cer lors de la céré­mo­nie funèbre, je
m’en vou­drais de ne pas la cor­ri­ger ici expres­sé­ment, ainsi
que Jean Paul Sam­son m’en a, trop natu­rel­le­ment, expri­mé le
sou­hait.) C’est par la suite, vers l’époque du fameux
congrès d’Amsterdam, que, dans le cadre d’une société
d’études (au reste fort cri­tiques et objec­tives) dite « La Rus­sie nou­velle », elle devait faire la connais­sance de son
futur com­pa­gnon, ain­si que d’Ignazio Silone, dont l’amitié
envers eux deux ne devait jamais se démen­tir. Comme déjà
bien aupa­ra­vant ses amis Sam­son et Silone, Grit­ta Sam­son allait
bien­tôt prendre conscience de la dégénérescence
tota­li­taire du com­mu­nisme russe et se vouer tout entière à
la défense des valeurs pure­ment humaines.

Robert
Lejeune

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