La Presse Anarchiste

Image de Benjamin Péret

D’abord
Cre­vel, il y a si long­temps ; et puis Des­nos ; et puis Artaud ; et
puis Eluard : pour les rem­pla­cer, il m’a bien fal­lu me fabriquer
des images. Et c’est d’une image de Péret dont j’ai
brus­que­ment besoin ce 19 sep­tembre, après le coup-de-fil de
Lise Deharme ; cette icône qui n’est des­ti­née qu’à
moi-même, je l’envoie cepen­dant à Lise, pensant
qu’elle en a aus­si besoin et qu’elle l’aimera sem­blable à
ce qu’elle aime, à mi-che­min de la réa­li­té et
du rêve, de la vie et de la mort, dans ce Paris de son cœur.

Je
vois d’abord une grande force tran­quille, une force… com­ment dire ? « pro­lé­ta­rienne» ; celle du bon ouvrier du
Verbe, celui qui, comme Mump­ty-Dump­ty, fait tou­jours tra­vailler les
mots à plein ren­de­ment, celui qui ne finit jamais sa jour­née ; la force du poète à la fois le plus vrai et le plus
sur­réa­liste de son temps, de notre temps, du révolté
à l’état pur, res­pec­tueux de la seule reli­gion qu’il
a entre­pris de fon­der et tou­jours prêt à ren­ver­ser les
idoles. Une force bonne, qui sait aimer, res­ter fidèle
(n’est-ce pas, Bre­ton?). Et haïr bien sûr, puisqu’elle
sait aimer (n’est-ce pas, Mar­ti­net?). Elle fait fon­cer Péret
en avant, d’un pas souple et assu­ré, épaules carrées,
tête triangulaire…

Je
le vois mieux main­te­nant : il est accou­dé à un comptoir
de l’avenue du Maine vers Alé­sia ; c’est une fin de soirée
avec des amis, au sor­tir de je ne sais quel spec­tacle ou de je ne
sais quel mee­ting. Il porte un blou­son de cuir ser­ré à
la cein­ture, celui qu’il avait à Bar­ce­lone pour mon­ter la
garde sur la Ram­bla. Son regard clair va au-delà du cercle des
inter­lo­cu­teurs, au-delà du bis­trot, de la fumée et des
choses…

Je
l’entends tout d’un coup : je retrouve dans le brou­ha­ha de ma
mémoire sa voix pro­fonde ; par­fois curieu­se­ment hésitante
sur ses lèvres minces ; la plu­part de ses phrases se terminent
par un rire pas tou­jours étouf­fé, qui est à la
fois doux et cruel (et pour­tant ce n’est pas un rire d’enfant).

Sa
main jette sa ciga­rette, sa der­nière ciga­rette ; elle serre
son verre tout entier ; elle le porte à sa bouche, le vide à
fond comme Socrate sa coupe ; elle le repose sur le zinc avec
pré­cau­tion… Elle passe un ins­tant sur ses tempes dénudées,
sur son front vaste — pour chas­ser quoi ? quel mou­che­ron ou quel
malaise ? Et voi­ci qu’elle se tend vers ma main pour la saisir,
pour me dire adieu — car il est l’heure de se quit­ter et d’aller
dor­mir. Cette poi­gnée me fait du bien : c’est si rare la
main d’un homme !

………………………………………………….…

Adieu,
homme !

Gas­ton
Fer­dière
(9.59)

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