La Presse Anarchiste

Lucien Jacques

 

Sauf
la promesse d’une mort douce, on croirait que les Fées,
évo­quées par lui-même dans sa charmante
« Cen­drillon », l’avaient à sa naissance
généreuse­ment prédestiné.

De
l’une il aurait tenu le plus pré­cieux don, l’amour
inno­cent de la vie, les suiv­antes ne pou­vant que dépos­er dans
son berceau tout ce qui découle néces­saire­ment d’un
tel amour lorsqu’il prend germe chez un être d’exception.

Et
d’abord il reçut le don de poésie : une poésie
toute de fraîcheur et nour­rie d’une human­ité sans
enflure, au point que la guerre de 14, dont on sait ce qu’elle fut,
lui inspi­ra des accents d’une évangélique douceur.

Par­al­lèle­ment,
lui fut octroyé le priv­ilège de se sen­tir chez lui
d’instinct, et sans qu’une dis­ci­pline sco­laire y eût
pourvu, dans le domaine de la musique.

Richess­es
com­plé­men­taires chez lui de celles que le monde extérieur
offre au regard qui n’en est pas indigne : sa pein­ture, ses bois
gravés ont été un hymne à la beauté
des choses, hymne ardent et pour­tant mesuré qui, sans cesse au
cours des ans, propageait des vari­a­tions nouvelles.

Com­plé­men­taire
aus­si, bien que placé sous le signe du con­traste, ce double
avan­tage de pou­voir vivre alter­na­tive­ment en ermite, dans l’activité
grave, silen­cieuse, de la joie intérieure, et de se trouver,
quand il en sor­tait, paré de toutes les grâces pro­pres à
éveiller les atten­tions flat­teuses de ce qu’on nommait
naguère la Société.

C’est
qu’il pos­sé­dait cet attrib­ut, le moins com­mun chez un homme,
le charme, pro­pre à touch­er les hum­bles autant que ces
mondains dont il fut l’enfant gâté.

Enfin,
j’allais oubli­er « le flair ». Non pas celui qui nous
dirige à coup sûr vers l’argent, ce maître
que Lucien Jacques trai­ta tou­jours pour son compte en
servi­teur du dernier rang, mais celui qui s’exerce sur le plan
noble. Je revois encore, près de quar­ante ans passés,
le coin de cette rue de Cannes où, lors de l’une de
nos pre­mières ren­con­tres, il me lut une page admirable qu’il
venait de décou­vrir dans une petite revue sur papi­er journal
pub­liée par un phar­ma­cien de Mar­seille. Page d’un inconnu
dont Jacques lui-même devait se faire en 1924, dans ses
« Cahiers de l’artisan », le pre­mier éditeur.

Le
nom de la revue est bien oublié.

L’inconnu
était Jean Giono.

Maxime
Girieud


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