Maintenant,
s’il est vrai que les armes exigent, comme les lettres, la
coopération de l’esprit, voyons lequel des deux esprits a le
plus à faire, de celui de l’homme de lettres ou de celui de
l’homme de guerre. Cela sera facile à connaître par la
fin et le but que se proposent l’un et l’autre, car l’intention
qui se doit le plus estimer est celle qui a le plus noble objet. La
fin et le but des lettres (je ne parle point à présent
des lettres divines, dont la mission est de conduire et d’acheminer
les âmes au ciel ; car, à une fin sans fin comme
celle-là, nulle autre ne se peut comparer), c’est, dis-je,
de faire triompher la justice distributive, de rendre à chacun
ce qui lui appartient, d’appliquer et de faire observer les bonnes
lois. Cette fin, assurément, est grande, généreuse
et digne d’éloge ; mais non pas autant, toutefois, que celle
des armes, lesquelles ont pour objet et pour but la paix,
c’est-à-dire le plus grand bien que puissent désirer
les hommes en cette vie. Ainsi, les premières bonnes nouvelles
que reçut le monde furent celles que donnèrent les
anges, dans cette nuit qui devint notre jour, lorsqu’ils chantaient
au milieu des airs : Gloire soit à Dieu dans les hauteurs
célestes, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté !
De même, le meilleur salut qu’enseigna à ses
disciples bien-aimés le plus grand maître de la terre et
du ciel, ce fut de dire, lorsqu’ils entreraient chez quelqu’un :
Que la paix soit en cette maison ! Et maintes fois encore il
leur a dit : Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix, que la
paix soit avec vous, comme le plus précieux bijou que crût
donner et laisser une telle main, bijou sans lequel, ni sur la terre
ni dans le ciel, il ne peut exister aucun bonheur. Or cette paix est
la véritable fin de la guerre…
(Don
Quichotte, I, 27.)