La Presse Anarchiste

Pensées sur l’Amour

Vous qui vou­lez ouvrir un cœur plein d’A­mour pour savoir ce qu’il contient, sachez que vous ne réus­si­rez à le faire que si vous êtes tota­le­ment dépour­vu de curiosité. 

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Lorsque, après bien des essais, vous le ver­rez s’ou­vrir et en sor­tir des élé­ments se pres­sant tous à la fois dans un cer­tain désordre, vous croi­rez n’a­per­ce­voir qu’un jaillis­se­ment d’i­dées et d’at­ti­tudes, parce que c’est à tra­vers le prisme de votre rai­son que vos yeux regarderont. 

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D’ailleurs, tout, au pas­sage, ne vous sem­ble­ra éga­le­ment inté­res­sant. Plu­sieurs notions élé­men­taires, riches en relief, vous paraî­tront inuti­le­ment sur­char­gées ; d’autres se déga­ge­ront mal d’une ombre qui les ense­ve­lit plus qu’à moi­tié ; cer­taines, trop iden­tiques entre elles, feront effet de reve­nir d’une manière un peu monotone… 

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Mais si votre cœur est lui-même plein d’A­mour, son appé­tence fera « dérai­son­ner » vos regards et c’est lui-même qui per­sé­vé­re­ra à atteindre le fond du cœur ouvert à nu, sans crainte que son insis­tance soit super­flue ou importune. 

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Et il retrou­ve­ra ain­si le son incom­pa­rable d’une sorte de dure­té écla­tante qui fait vibrer le cœur sen­sible, son attei­gnant la hau­teur sou­ve­raine qui annonce cette aisance de grand style qui s’ap­pelle : l’Amour. 

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Lorsque votre cœur sor­ti­ra, tout titu­bant de lumière, de sa décou­verte, il son­ge­ra alors aux jours anciens où il se trou­vait dans la nuit et que pesait sur lui, issu de par­tout, un envoû­te­ment sinistre. 

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Et il sera fier de cet Amour, étrange étran­ger qui arrive sou­dain — d’où ? il ne sait — avec sa joie, sa pure­té et son soleil. Fort de son exis­tence, il sur­git dans le monde, étouf­fant les petits hommes comme une néga­tion superbe, comme un défi immé­diat, lumi­neux et tranquille. 

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Avec l’A­mour parle toute la noblesse de l’homme. Et puisque cette noblesse a pour tâche d’as­su­mer son des­tin ter­restre, aucune autre voix n’est aus­si pure, aucun élan plus authen­tique, aucun chant plus clair. 

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Jamais nous n’a­vions enten­du pareil lan­gage. Mais est-ce bien le hasard qui a fait que, l’un comme l’autre, nous soyons deve­nus des amants de ce Soleil ? 

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L’é­vi­dence de son exis­tence est pro­cla­mée par ce feu inté­rieur qui nous brûle, par ces yeux brillants qui rayonnent la joie et ces pen­sées sans ombres qui font que, en-dehors de LUI, sur cette Terre, il n’y a rien, rien qu’une vie grise qui indique que tout est fini sans remède. 

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Dans cet air trans­pa­rent où l’A­mour viole tous les sanc­tuaires, dans cet uni­vers éper­du­ment pré­sent où l’on se sent ivre d’exis­ter, sans consi­dé­ra­tion de dis­tance ou de recul, sans arrière-pen­sée, sans pro­jets et sans sou­ve­nirs loin­tains, il n’y a pas de place pour les hal­lu­ci­nés du monde sans joie. 

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Et pas de place non plus pour le misé­rable petit néant de l’es­poir. L’A­mour est tout. Par delà toutes les illu­sions, les ruses mes­quines de l’im­puis­sance et les conso­la­tions déri­soires, l’homme retrouve en lui sa condi­tion terrestre. 

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Plus de rési­gna­tion ou de renon­ce­ment : de cette vie qui brille comme un feu de paille, au rythme inévi­table des jours et des nuits, se dégage une étrange et lucide ivresse. Si l’homme sait que l’A­mour le sauve, il pos­sède cette noblesse ultime et déci­sive qui lui fait refu­ser de se perdre avec les autres. 

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Ain­si le thème de l’A­mour prend-il son véri­table sens. Il n’a rien de com­mun, évi­dem­ment, avec le thème de l’u­nion et son atta­che­ment triste, qui n’est qu’une leçon de vie étroite, lente et élémentaire. 

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Il ne doit pas être enten­du davan­tage comme appel roman­tique de com­mu­nion pan-huma­nis­tique : l’homme est « pré­sent » dans le monde humain, c’est-à-dire qu’il ne se perd pas en lui, mais se retrouve au contraire à son contact dans la plé­ni­tude de sa conscience et de son être. 

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L’Hu­ma­ni­té est le cadre tra­gique de la vie de l’homme, le contour absurde de l’homme. Les décors et les gestes du monde humain cernent la fra­gile et splen­dide exis­tence solitaire. 

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C’est pour­quoi le thème de l’A­mour est aus­si celui du corps et de la chair. La dia­lec­tique du contact et de l’é­treinte régit l’homme au milieu de l’Hu­ma­ni­té et il n’y a pas plus de place au soleil de l’A­mour pour les hal­lu­ci­nés de la pen­sée pure que pour les hal­lu­ci­nés du monde sans joie. 

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Que peut signi­fier une vie d’homme qui ne serait pas celle d’un monde où res­plen­dit la Femme, à la fois fleur et fruit ? Que pèsent toutes les pro­messes de joie auprès de cette cer­ti­tude de chair et de sang, auprès de cette véri­té première ? 

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Para­dis déri­soires, éter­ni­tés fan­tômes, com­bien main­te­nant vous parais­sez risibles, pâles et pauvres rêves ! Tous les abso­lus, tous les au-delà, toutes les idoles s’é­croulent devant le visage lumi­neux de l’a­mante chan­tant sa joie au soleil pur et radieux dans le cadre char­nel du Vrai Amour et du Grand Rêve. 

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Ain­si se célèbrent, dans une pen­sée vierge de toute souillure mora­li­téique, les noces magni­fiques des Élus de l’Amour.

Pam­phi­lé­ros

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