La Presse Anarchiste

Du haut de mon mirador

Hélas, il reste à gagner la paix. « La guerre n’est pas inévi­table ». Voi­la ce qu’on jette en pâture aux paci­fistes. L’an­cien conti­nent est la proie de la misère, la sous-ali­men­ta­tion y règne en maî­tresse. La famine se tient à la porte, mena­çante. Fran­co conti­nue à fusiller et la guerre, qui a engen­dré la misère, la sous-ali­men­ta­tion et tout le reste n’est qu’« évi­table ». On ne songe pas sans hor­reur au carac­tère que revê­ti­rait un nou­veau conflit. C’est pour nous empê­cher d’y réflé­chir que l’on danse par­tout avec fré­né­sie et à toute occa­sion, c’est pour endor­mir le bon peuple que radio, théâtre, ciné­ma versent et déversent sur le monde leurs flots de paroles et de chan­sons abrutissantes. 

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On ne fera jamais assez pour répandre les idées paci­fistes, non seule­ment en France, en Suisse, en Bel­gique mais tout à tra­vers le monde. C’est pour­quoi nous saluons avec enthou­siasme l’é­clo­sion de tout mou­ve­ment paci­fiste, quel qu’en soit le lieu ou l’o­ri­gine dès lors qu’il est sin­cère. Nous savons ce que traîne à sa suite « l’é­tat de guerre » (guerre entre agres­seurs exté­rieurs ou guerre civile) — abs­trac­tion faite des désastres et des ruines dont il est cause — : la res­tric­tion, la com­pres­sion, la répres­sion de l’af­fir­ma­tion et du déter­mi­nisme indi­vi­duels, la réduc­tion de l’in­di­vi­du à une posi­tion humi­liante de subor­di­na­tion et de dépen­dance vis-à-vis de l’au­to­ri­té mili­taire et admi­nis­tra­tive. Non com­bat­tant (et je ne parle pas de la mort qui le guette à chaque ins­tant), l’In­di­vi­du se voit pri­ver de la facul­té d’ex­pri­mer et de répandre sa pen­sée quand ce n’est pas celle de se mou­voir libre­ment. Son pro­duit, son tra­vail est à la mer­ci de la pre­mière réqui­si­tion venue. Sur le champ de car­nage, il n’est plus qu’un objet incon­sis­tant dont dis­posent, comme d’un colis, d’autres hommes obéis­sant eux-mêmes à des ordres qu’ils ne peuvent discuter. 

Mais les paci­fistes atteignent-ils à la racine du mal ? On les trouve divers et en désac­cord quant aux causes du fléau. Pour les uns, elles sont d’o­ri­gine éco­no­mique (il fau­drait donc s’employer d’a­bord et uni­ver­sel­le­ment à résoudre cette ques­tion). Pour les autres, ces causes sont d’o­ri­gine poli­tique (c’est donc à ces rai­sons poli­tiques qu’il faut en pre­mier lieu s’en prendre). Pour plu­sieurs, c’est une affaire de sur­po­pu­la­tion (c’est alors cette ques­tion que par­tout il appert de sou­le­ver). Pour cer­tains, c’est un pro­blème d’ordre éthique, l’être humain étant tou­jours dis­po­sé à la bagarre, à la vio­lence, à l’ef­fu­sion du sang de son sem­blable (c’est donc à la refonte de la men­ta­li­té indi­vi­duelle qu’il faut viser). C’est, après tout, à cette der­nière caté­go­rie que se rat­tachent les paci­fistes chré­tiens, mys­tiques, qui le sont par obéis­sance à ce Com­man­de­ment du Déca­logue : « Tu ne tue­ras point ». 

La solu­tion de tous ces pro­blèmes nous appa­raît dans la dif­fu­sion, faite uni­ver­sel­le­ment, nous le répé­tons, d’une pro­pa­gande en appe­lant à cet « inté­rêt bien enten­du » de la per­sonne humaine qui s’ap­pelle l’au­to-conser­va­tion. Il importe de convaincre le pro­chain, autrui, celui qui habite de l’autre côté de la fron­tière ou réside au delà de l’o­céan que sa vie est le plus pré­cieux de ses biens et que s’il lui est loi­sible d’y renon­cer volon­tai­re­ment, aucune rai­son ou motif humain exté­rieur à lui n’a le droit de l’en pri­ver, qu’il soit fon­dé sur une soli­da­ri­té obli­ga­toi­re­ment impo­sée — basé sur des abs­trac­tions ou des idéaux extra-per­son­nels, des croyances en l’in­vi­sible — ou qu’il émane des aspi­ra­tions insuf­flées par une édu­ca­tion orien­tée ou diri­gée par les pro­fi­teurs ou les béné­fi­ciaires des domi­na­tions de l’homme ou du milieu social sur l’homme, des exploi­ta­tions de l’homme par l’homme ou le milieu social. Voi­là la voie où tout paci­fisme bien com­pris devrait, selon nous, s’engager. 

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Ces réflexions me mènent, par une pente natu­relle, à une lettre ouverte qu’à pro­pos de René Gérin, notre ami A. Bar­bé vient d’a­dres­ser à M. André Phi­lip, actuel­le­ment ministre des Finances, jadis avo­cat, qui sou­tint et défen­dit alors paci­fistes et objec­teurs de conscience. Nous avons déjà par­lé de René Gérin, paci­fiste notoire, dont la peine de huit ans a été com­muée en cinq années d’emprisonnement. On sait que sa condam­na­tion a pour cause appa­rente sa col­la­bo­ra­tion à L’Œuvre où il rédi­geait la page lit­té­raire. D’une façon géné­rale, j’es­time que, dans les cir­cons­tances où se pré­sen­tait l’oc­cu­pa­tion, il n’ap­par­te­nait pas à des paci­fistes (et à n’im­porte quel écri­vain se récla­mant d’i­dées d’a­vant garde, etc.) d’é­crire dans des jour­naux sub­ven­tion­nés par le régime de Vichy ou par les auto­ri­tés occu­pantes. Dès lors qu’on ne pou­vait publier de feuilles indé­pen­dantes, se sou­te­nant par leurs propres res­sources, per­met­tant de s’ex­pri­mer comme on le pen­sait, le bon sens et la logique com­man­daient de s’abs­te­nir d’é­crire ou de se can­ton­ner dans le clan­des­tin. On me per­met­tra de ne pas épi­lo­guer plus lon­gue­ment. Mais où je rejoins A. Bar­bé, puis­qu’il ne s’a­git plus que de « gagne-pain », c’est quand il demande pour­quoi on a pour­sui­vi le confec­tion­neur intel­lec­tuel de la page lit­té­raire de l’or­gane déaliste, alors que tous ceux qui ren­daient pos­sible la publi­ca­tion de cet organe — lino­ty­pistes, typos, machi­nistes, cor­rec­teurs et autres — (j’a­joute tenan­ciers de kiosques, crieurs de jour­naux, employés des P.T.T., etc., qui en ont ren­du la dif­fu­sion pos­sible) n’ont pas été inquié­tés. C’est une injus­tice fla­grante. Et le fait qu’on a lais­sé tran­quilles nombre de rédac­teurs secon­daires de feuilles parues sous Vichy et sous l’oc­cu­pa­tion (tou­jours à cause de cette ques­tion de gagne-pain) montre bien que la condam­na­tion de René Gérin est due à une cause autre que celle affi­chée officiellement. 

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L’Inde compte des femmes cou­ra­geuses aus­si éman­ci­pées dans leurs aspi­ra­tions que leurs congé­nères occi­den­tales. C’est ain­si que dans un numé­ro du Times of India (de décembre) a paru la conclu­sion sui­vante d’un dis­cours de Mme Han­sa Metha sur « les droits de la femme à l’égalité » : 

…« La femme doit avoir le droit de limi­ter sa famille. C’est la femme qui souffre durant la ges­ta­tion, qui s’oc­cupe des enfants, les éduque… C’est donc à elle qu’il appar­tient de déci­der du volume de la famille et d’ap­prendre à exer­cer consciem­ment ce droit, pour son propre bien, pour le bien des siens, pour le bien de son pays. L’Inde est sur­peu­plée et sa popu­la­tion aug­mente alors que ses res­sources demeurent limi­tées, Si quelque chose n’est pas fait pour endi­guer cette mon­tée, la pau­vre­té, la famine et tous les maux qui en résultent seront notre apa­nage. Il nous échet de réa­li­ser ce dan­ger et de nous effor­cer de le sur­mon­ter par tous les moyens en notre pouvoir. » 

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Ques­tion de langue uni­ver­selle : Qui se sou­vient, ou a enten­du par­ler de OM, « nou­vel idiome uni­ver­sel » inven­té par Lau­ra Ful­da, qui fut pen­dant quelque temps abon­née à l’En dehors. Les élé­ments de OM avaient été conden­sés en une bro­chure édi­tée par « The Eas­tern Bureau, Lid » à Cal­cut­ta, 1925. Je ne puis entrer dans les détails de la tech­nique de ce lan­gage, « l’i­diome de la Nou­velle Arca­die », qui consis­tait en un petit nombre de racines-clés, de pré­fixes, de suf­fixes, de formes ver­bales qui devaient ser­vir à ses adeptes à construire eux-mêmes leur voca­bu­laire. OM ne conte­nait pas de diph­tongues, avait éli­mi­né de la for­ma­tion des mots la lettre R (que les Chi­nois ne savent pas pro­non­cer et rem­placent par L). Tout en ren­dant hom­mage au Dr Zamen­hof, l’in­ven­teur de l’es­pé­ran­to, Lau­ra Ful­da pré­ten­dait que ce dont le monde a un besoin urgent, ce n’est pas d’une langue capable de tra­duire Homère, Vic­tor Hugo, Goethe ou Sha­kes­peare, mais d’un recueil de mots fon­da­men­taux, modi­fiables logi­que­ment, rapi­de­ment assi­mi­lables par tout être humain, esqui­mau, chi­nois, polo­nais, hin­dou, japo­nais, irlan­dais ou maori. 

Qui Cé

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