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On ne fera jamais assez pour répandre les idées pacifistes, non seulement en France, en Suisse, en Belgique mais tout à travers le monde. C’est pourquoi nous saluons avec enthousiasme l’éclosion de tout mouvement pacifiste, quel qu’en soit le lieu ou l’origine dès lors qu’il est sincère. Nous savons ce que traîne à sa suite « l’état de guerre » (guerre entre agresseurs extérieurs ou guerre civile) — abstraction faite des désastres et des ruines dont il est cause — : la restriction, la compression, la répression de l’affirmation et du déterminisme individuels, la réduction de l’individu à une position humiliante de subordination et de dépendance vis-à-vis de l’autorité militaire et administrative. Non combattant (et je ne parle pas de la mort qui le guette à chaque instant), l’Individu se voit priver de la faculté d’exprimer et de répandre sa pensée quand ce n’est pas celle de se mouvoir librement. Son produit, son travail est à la merci de la première réquisition venue. Sur le champ de carnage, il n’est plus qu’un objet inconsistant dont disposent, comme d’un colis, d’autres hommes obéissant eux-mêmes à des ordres qu’ils ne peuvent discuter.
Mais les pacifistes atteignent-ils à la racine du mal ? On les trouve divers et en désaccord quant aux causes du fléau. Pour les uns, elles sont d’origine économique (il faudrait donc s’employer d’abord et universellement à résoudre cette question). Pour les autres, ces causes sont d’origine politique (c’est donc à ces raisons politiques qu’il faut en premier lieu s’en prendre). Pour plusieurs, c’est une affaire de surpopulation (c’est alors cette question que partout il appert de soulever). Pour certains, c’est un problème d’ordre éthique, l’être humain étant toujours disposé à la bagarre, à la violence, à l’effusion du sang de son semblable (c’est donc à la refonte de la mentalité individuelle qu’il faut viser). C’est, après tout, à cette dernière catégorie que se rattachent les pacifistes chrétiens, mystiques, qui le sont par obéissance à ce Commandement du Décalogue : « Tu ne tueras point ».
La solution de tous ces problèmes nous apparaît dans la diffusion, faite universellement, nous le répétons, d’une propagande en appelant à cet « intérêt bien entendu » de la personne humaine qui s’appelle l’auto-conservation. Il importe de convaincre le prochain, autrui, celui qui habite de l’autre côté de la frontière ou réside au delà de l’océan que sa vie est le plus précieux de ses biens et que s’il lui est loisible d’y renoncer volontairement, aucune raison ou motif humain extérieur à lui n’a le droit de l’en priver, qu’il soit fondé sur une solidarité obligatoirement imposée — basé sur des abstractions ou des idéaux extra-personnels, des croyances en l’invisible — ou qu’il émane des aspirations insufflées par une éducation orientée ou dirigée par les profiteurs ou les bénéficiaires des dominations de l’homme ou du milieu social sur l’homme, des exploitations de l’homme par l’homme ou le milieu social. Voilà la voie où tout pacifisme bien compris devrait, selon nous, s’engager.
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Ces réflexions me mènent, par une pente naturelle, à une lettre ouverte qu’à propos de René Gérin, notre ami A. Barbé vient d’adresser à M. André Philip, actuellement ministre des Finances, jadis avocat, qui soutint et défendit alors pacifistes et objecteurs de conscience. Nous avons déjà parlé de René Gérin, pacifiste notoire, dont la peine de huit ans a été commuée en cinq années d’emprisonnement. On sait que sa condamnation a pour cause apparente sa collaboration à L’Œuvre où il rédigeait la page littéraire. D’une façon générale, j’estime que, dans les circonstances où se présentait l’occupation, il n’appartenait pas à des pacifistes (et à n’importe quel écrivain se réclamant d’idées d’avant garde, etc.) d’écrire dans des journaux subventionnés par le régime de Vichy ou par les autorités occupantes. Dès lors qu’on ne pouvait publier de feuilles indépendantes, se soutenant par leurs propres ressources, permettant de s’exprimer comme on le pensait, le bon sens et la logique commandaient de s’abstenir d’écrire ou de se cantonner dans le clandestin. On me permettra de ne pas épiloguer plus longuement. Mais où je rejoins A. Barbé, puisqu’il ne s’agit plus que de « gagne-pain », c’est quand il demande pourquoi on a poursuivi le confectionneur intellectuel de la page littéraire de l’organe déaliste, alors que tous ceux qui rendaient possible la publication de cet organe — linotypistes, typos, machinistes, correcteurs et autres — (j’ajoute tenanciers de kiosques, crieurs de journaux, employés des P.T.T., etc., qui en ont rendu la diffusion possible) n’ont pas été inquiétés. C’est une injustice flagrante. Et le fait qu’on a laissé tranquilles nombre de rédacteurs secondaires de feuilles parues sous Vichy et sous l’occupation (toujours à cause de cette question de gagne-pain) montre bien que la condamnation de René Gérin est due à une cause autre que celle affichée officiellement.
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L’Inde compte des femmes courageuses aussi émancipées dans leurs aspirations que leurs congénères occidentales. C’est ainsi que dans un numéro du Times of India (de décembre) a paru la conclusion suivante d’un discours de Mme Hansa Metha sur « les droits de la femme à l’égalité » :
…« La femme doit avoir le droit de limiter sa famille. C’est la femme qui souffre durant la gestation, qui s’occupe des enfants, les éduque… C’est donc à elle qu’il appartient de décider du volume de la famille et d’apprendre à exercer consciemment ce droit, pour son propre bien, pour le bien des siens, pour le bien de son pays. L’Inde est surpeuplée et sa population augmente alors que ses ressources demeurent limitées, Si quelque chose n’est pas fait pour endiguer cette montée, la pauvreté, la famine et tous les maux qui en résultent seront notre apanage. Il nous échet de réaliser ce danger et de nous efforcer de le surmonter par tous les moyens en notre pouvoir. »
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Question de langue universelle : Qui se souvient, ou a entendu parler de OM, « nouvel idiome universel » inventé par Laura Fulda, qui fut pendant quelque temps abonnée à l’En dehors. Les éléments de OM avaient été condensés en une brochure éditée par « The Eastern Bureau, Lid » à Calcutta, 1925. Je ne puis entrer dans les détails de la technique de ce langage, « l’idiome de la Nouvelle Arcadie », qui consistait en un petit nombre de racines-clés, de préfixes, de suffixes, de formes verbales qui devaient servir à ses adeptes à construire eux-mêmes leur vocabulaire. OM ne contenait pas de diphtongues, avait éliminé de la formation des mots la lettre R (que les Chinois ne savent pas prononcer et remplacent par L). Tout en rendant hommage au Dr Zamenhof, l’inventeur de l’espéranto, Laura Fulda prétendait que ce dont le monde a un besoin urgent, ce n’est pas d’une langue capable de traduire Homère, Victor Hugo, Goethe ou Shakespeare, mais d’un recueil de mots fondamentaux, modifiables logiquement, rapidement assimilables par tout être humain, esquimau, chinois, polonais, hindou, japonais, irlandais ou maori.
Qui Cé