La Presse Anarchiste

Lectures

Julien
Teppe, écri­vain mécon­nu, publie avec régularité
quelque ouvrage dont le sujet n’est jamais quel­conque et dont la
sub­stance méri­te­rait tou­jours plus d’attention quelle n’en
éveille par­mi les gens qui lisent. Cela est très
regret­table. Il convient tou­te­fois de dire que Julien Teppe ne
fait de conces­sion ni à la faci­li­té ni au conformisme,
encore moins aux attraits de la super­fi­cia­li­té et que
l’austérité de ses pré­oc­cu­pa­tions ne s’évertue
point à séduire le com­mun des mor­tels. Son
avant-der­nière œuvre en date s’intitulait : « Manuel du
déses­poir ». Ce n’est pas un titre qui « accroche »,
et ce livre a beau recé­ler une somme consi­dé­rable de
véri­tés, s’étayer d’arguments convaincants,
il ne sau­rait obte­nir l’oreille d’une mul­ti­tude généralement
insen­sible aux for­mi­dables dan­gers qui la menacent. (C’est
tel­le­ment plus facile de lire « France-Dimanche » ou « Nous
deux »!… ).

Mais
notre auteur congé­ni­ta­le­ment pes­si­miste vient de nous
sur­prendre (dirai-je agréa­ble­ment?) en met­tant en circulation
un nou­vel ouvrage dont le ton contraste curieu­se­ment avec celui des
pré­cé­dents. D’une plume alerte et joli­ment fleu­rie de
tour­nures XVIIIe, Julien Teppe nous intro­duit dans la vie secrète
et par­fois agi­tée de per­son­nages de lettres fort inquiets en
géné­ral de leur répu­ta­tion et dont certains
jouèrent savam­ment les Tar­tuffes. Or c’est plai­sir de voir,
en com­pa­gnie de Julien Teppe, com­bien l’envers, chez ceux-ci, est
sou­vent l’antithèse de l’endroit. Et cela nous vaut un
diver­tis­se­ment aux dépens de cer­taines nobles figures, du
siècle de Vil­lon à celui de Cha­teau­briand, dont nous
sont expo­sées avec humour les façons de sacri­fier à
Eros et d’entretenir cor­res­pon­dance salace ou caresses hors série
avec de char­mantes nym­phettes ou des dames sur le retour.
D’indiscrètes incur­sions par­mi les mes­sages secrets d’un
Bos­suet, d’un Buf­fon, d’un Beau­mar­chais nous en apprennent
beau­coup plus sur le réel tour d’esprit de ces grands
bons­hommes que leurs écrits les plus accom­plis. Et l’on peut
dire qu’en l’occurrence le diver­tis­se­ment auquel se livre Julien
Teppe est beau­coup moins léger que son titre ne le laisserait
sup­po­ser. Nous pou­vons parier qu’à l’avenir tout curieux
de lettres qui vou­dra en savoir long sur tel homme de plume célèbre
recour­ra volon­tiers au bou­quin de Julien Teppe et y trou­ve­ra les
infor­ma­tions dont les manuels cou­rants sont généralement
dépourvus.

Regret­tons
en ter­mi­nant que Julien Teppe prenne de l’âge sans obtenir
la répu­ta­tion que devraient pour­tant lui mériter,
un talent indis­cu­table et une rare fidé­li­té aux
œuvres de l’esprit.

Robert
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