Ainsi,
une nouvelle flambée de racisme — une de plus, diront les
historiens blasés — embrase notre monde. Quel continent
échappe à cette sinistre recrudescence ? L’Australie
peut-être, mais pour combien d’années encore?… En
fait, le racisme se manifeste à peu près partout, tant
il est bête, facile à exploiter et simpliste dans ses
conclusions. C’est un mal préfabriqué qui en cache
bien d’autres, beaucoup plus profonds et bien moins clairs, donc
très difficilement guérissables. Le racisme est une
extrémité à laquelle mène infailliblement
toute impuissance politique. Il ressemble fort à ces colères
enfantines qui éclatent quand le petit être sent que
toute autre défense est impossible ; il joue alors l’atout
majeur, sort le gros jeu, tente le tout pour le tout.
Hélas,
nous savons trop bien que le racisme, arme mystique des plus
grossières, dès qu’il est habilement entretenu peut
provoquer les pires excès, les crimes les plus abjects parce
que toujours raisonnés et utiles en apparence. En effet, on se
veut raciste pour défendre une certaine morale. On est raciste
parce qu’on est puriste.
Alors
le mal est sans limites, vraiment prêt à tout. Il a la
foi pour lui, qui s’ajoute superbement à l’ignorance et à
la cruauté. Il se dit entraîné par la main de
Dieu, de n’importe quel dieu. Il se glorifie de sa mission. Il
« épure », comme proclamait un certain Hitler.
Il
faut se rappeler que le racisme est frère du mensonge. Comme
lui, il naît de l’orgueil ou de la peur. Et tout racisme, par
contrecoup en engendre un autre, qui s’oppose au premier pour
tenter de se sauver. La machine est alors lancée ; le recto et
le verso du même masque se font face et se crient l’un à
l’autre « à mort ! » pour les mêmes grimaces.
Et
puis, chez l’homme, le racisme est la part du démon. Tout
Moyen Age le subit, et nous vivons un Moyen Age. Nous sommes, plus
que jamais, le jouet de notre orgueil et de notre peur. Et nous
tentons de nous exorciser par la violence criminelle. Leurre pour le
moins élémentaire.
Nous
autres Blancs, nous nous sommes pendant longtemps montrés
racistes par besoin de puissance, aujourd’hui ce mal nous étreint
parce que nous nous sentons menacés. Et les Noirs, à
leur tour, après les Jaunes, deviennent racistes par
excès de jeunesse enfin digne et indépendante. Quant
aux Arabes, il est à craindre que leur racisme sempiternel,
malgré l’universalisme de leur art et de leur philosophie,
ne soit une malédiction de leur religion.
Que
de puérilité dans de telles attitudes ! Quelle faiblesse
et quelle honte ! Nous sentons bien que la vie animale, qui ne connaît
que l’amour saisonnier et la cruauté préservatrice,
est la cause secrète de ce monstre qu’aucune
civilisation n’arrive à écraser. Où sont donc
nos chères abstractions ? la fraternité ? le libéralisme ?
Qui se joue de qui enfin ?
Sommes-nous
si peu responsables de nous-mêmes si peu « humains » ?
Ainsi, notre misérable nature sera toujours plus forte que
notre condition. Pourtant, il nous faudrait enfin comprendre, tous
tant que nous sommes, de quelque race ou de quelque nationalité
que nous soyons, qu’en haïssant les autres pour les
différences qui les séparent de nous, nous finirons par
détester tout à fait nos propres particularités,
donc par tuer l’homme dans ce qu’il possède de plus beau
et de plus riche.
Alors,
le racisme, qui fut certainement notre première faute, serait
sûrement notre dernière erreur.
Georges
Belle