La Presse Anarchiste

À travers les revues

Sous
ce titre, les Docu­ments du Pro­grès (no de
décembre 1909), publient un inté­res­sant article de M.
l’ab­bé Nau­det rela­tif à la cam­pagne pré­sente du
cler­gé romain contre l’é­cole laïque. Se plaçant
au point de vue catho­lique, l’au­teur vou­drait « essayer de dire
com­ment on peut envi­sa­ger la ques­tion de prin­cipe et la ques­tion de
fait ». D’où deux par­ties bien dis­tinctes dans son étude.

La
pre­mière — de beau­coup la plus éten­due — est
consa­crée à l’ex­po­sé de considérations
géné­rales. M. Nau­det n’ac­cepte pas qu’on traite la
reli­gion comme une simple « opi­nion », mais bien comme une
« néces­si­té morale », ce qui ne saurait
sur­prendre de la part d’un ministre du culte. Si le prin­cipe de la
neu­tra­li­té est into­lé­rable, la chose elle-même
peut, cepen­dant — c’est le cas en France, actuel­le­ment — être,
à un moment don­né, impo­sée par les
cir­cons­tances. On ne doit la consi­dé­rer alors que comme un
iné­luc­table pis-aller, un moindre mal. Et c’est le devoir
sacré de l’É­glise de veiller à sa stricte
observation.

S’ap­puyant
sur des auto­ri­tés diverses, M. Croi­set, Jacques Bonzon…
l’au­teur affirme la pos­si­bi­li­té d’un régime sco­laire à
peu près exac­te­ment neutre. Nous n’y contre­di­sons pas, pourvu
qu’on donne au mot neu­tra­li­té son sens exact, large et précis
à la fois, syno­nyme d’im­par­tia­li­té. Nous pen­sons que
l’é­cole publique ne doit pas être un champ clos où
deux cra­ties éga­le­ment oppres­sives se dis­putent le cer­veau de
l’en­fant, le creu­set où se forgent des men­ta­li­tés à
l’i­mage de celles des diri­geants de l’heure, qu’ils soient de droite
ou de gauche. Ni clé­ri­cale, ni anti-clé­ri­cale. Non
anti-reli­gieuse, ni même sim­ple­ment spri­tua­liste ; mais
a‑religieuse ; net­te­ment et fran­che­ment. Cette école-là
seule­ment serait apte au res­pect des consciences et vrai­ment neutre
au point de vue confes­sion­nel. M. l’ab­bé Nau­det nous
sui­vrait-il jusque là ? Nous sui­vrait-il encore si, étendant
la ques­tion, et sor­tant du domaine reli­gieux, nous deman­dions qu’on
élar­gisse le sou­ci d’im­par­tia­li­té jus­qu’à ses
limites extrêmes par l’in­tro­duc­tion à l’é­cole de
toutes les opi­nions, de tous les sons de cloche, sous la seule
condi­tion que les unes et les autres soient adé­quates à
l’âge et à l’en­ten­de­ment des enfants ? Non, sans doute ;
car M. Nau­det serait alors en contra­dic­tion for­melle avec les plus
pures tra­di­tions catholiques.

Disons,
d’ailleurs, en pas­sant, que si tout n’est pas par­fait dans les écoles
offi­cielles — on le ver­ra bien quand il nous fau­dra quelque jour en
cri­ti­quer l’es­prit, les pro­grammes les méthodes — on y a, en
géné­ral, un sou­ci autre­ment grand que dans les écoles
chré­tiennes de res­pec­ter à la fois les droits de
l’en­fant et ceux du père de famille.

Nous
rejoi­gnons néan­moins l’au­teur dans la vigou­reuse critique
qu’il pré­sente du mono­pole, cette réforme jaco­bine qui
revient sur l’eau, et qui, res­sem­blant en cela au « sabre de M.
Prud’­homme », peut fort bien ser­vir « à atta­quer ce
qu’elle a la pré­ten­tion de défendre et à
jus­ti­fier la main­mise sur toutes les liber­tés ? » Là
aus­si, tou­te­fois, notre point de vue dif­fère : nous n’oublions
pas l’u­sage autre­ment oppres­sif que fit, avant l’État
démo­cra­tique, l’É­glise romaine, du mono­pole de
l’Enseignement.

Nous
voi­ci à la seconde par­tie de l’é­tude de M. Nau­det, la
plus impor­tante, sem­ble­rait-il, à en juger par les événements
actuels et le titre de l’ar­ticle : la jus­ti­fi­ca­tion de la cam­pagne de
boy­cot­tage menée contre l’é­cole laïque. Trois
pages de texte — seule­ment — sur les onze que com­porte le total !
Le lec­teur est un peu déçu. Il a l’im­pres­sion très
nette — qui peut ne pas être la bonne — que l’auteur
glisse, glisse sur des argu­ments qu’il expo­se­rait sans grande
convic­tion parce qu’ils ne lui auraient pas paru, à lui-même,
abso­lu­ment péremptoires.

Ces
argu­ments sont grou­pés autour de quatre chefs : les droits des
évêques — ceux de l’É­tat laïque — la
riposte des ins­ti­tu­teurs — le choix des livres.

Pour
M. Nau­det, les droits des évêques se confondent avec
ceux de l’É­glise défi­nis plus haut. Nous
n’en­tre­pren­drons pas là-des­sus de dis­cus­sion théologique
pour laquelle nous avouons — sans plus — notre incompétence.
Il n’en appa­raî­tra pas moins, à tout esprit exempt de
par­ti-pris, que l’é­pis­co­pat a cher­ché là une
mau­vaise que­relle. Pen­dant des années, les manuels classiques
demeu­rèrent impré­gnés d’un spiritualisme
pro­vo­ca­teur, pour ne pas dire plus, d’où résul­tait une
vio­la­tion patente et constante de la neu­tra­li­té vraie, mais
vio­la­tion en faveur de l’É­glise. Depuis quelque temps, un
effort sérieux et hon­nête — timide encore, parfois —
ayant été accom­pli, on s’ex­clame, on s’indigne.
Indi­gna­tion pure­ment inté­res­sée. Le bout, de l’oreille
paraît.

Car,
enfin — et quelle preuve n’y eut-il pas eu là de la
sin­cé­ri­té de nos adver­saires — pour­quoi ne pas mettre
en regard les pas­sages incri­mi­nés des manuels laïques et
ceux cor­res­pon­dants des ouvrages chrétiens ?

Quant
au dis­tin­guo, sur­ve­nu après que les associations
pro­fes­sion­nelles d’ins­ti­tu­teurs eurent mon­tré les dents, et
d’a­près lequel la « Lettre » n’in­cri­mi­ne­rait pas
l’en­semble des écoles, mais quelques-unes seule­ment, non
autre­ment dési­gnées d’ailleurs, la simple lec­ture de
celle-là suf­fit à en faire jus­tice. Quelle crânerie,
Mes­sei­gneurs ! Et quelle fran­chise ! On s’é­tonne que M. Naudet —
dont l’ar­ticle témoigne par ailleurs ; d’un effort visible
d’im­par­tia­li­té et de libé­ra­lisme — se soit fait, à
son tour, l’é­cho et le cham­pion de telles subtilités
éma­nant en droite ligne de Loyola.

L’É­tat,
à diverses reprises, a inter­dit l’u­sage de cer­tains livres
ecclé­sias­tiques, dont l’his­toire fameuse du P. Lori­guet et
quelques ouvrages d’au­teurs demeu­rés ano­nymes. Comme les
livres excom­mu­niés par l’É­glise ne sont qu’au nombre de
qua­torze, et que ceux mis à l’in­dex par le gouvernement
atteignent le chiffre de dix-huit, M. Nau­det triomphe. Tout beau !
Nous ne défen­dons pas l’É­tat, faut-il le répéter ?
Il a inter­dit d’autres manuels, excel­lents au point de vue éducatif,
impar­tiaux ; trop, sans doute, puisque c’est pour cela qu’ils ont été
condam­nés. L’É­glise a‑t-elle son­gé, alors, à
pro­tes­ter ? Ne fut-elle pas la pre­mière à crier haro ? Et
puis, à en juger par les alté­ra­tions systématiques
des véri­tés les plus évi­dentes, des faits les
plus scien­ti­fi­que­ment démon­trés que l’on ren­contre à
chaque page dans les manuels tolé­rés, on se fait
dif­fi­ci­le­ment une idée de ce qui peut être conte­nu dans
les autres. Car aus­si, avouez-le, le gou­ver­ne­ment « démocratique
et social » n’a point la main si lourde lors­qu’il s’a­git de se
défendre sur sa droite. Que les évêques aient été
sur­pris de la riposte des ins­ti­tu­teurs, nous le croyons sans peine.
D’autres aus­si, ont fait la gri­mace qui, sans l’a­vouer, le laissent
aisé­ment voir entre les lignes de leurs dis­cours. Par contre,
l’é­ton­ne­ment de M. Nau­det nous étonne.

Pour
ter­mi­ner, il nous reste à citer — sans autre commentaire —
les quelques lignes consa­crées par M. l’ab­bé Nau­det, au
choix des livres. L’au­teur se demande qui est com­pé­tent en la
matière : « Est-ce la com­mis­sion com­po­sée de
laïques libres-pen­seurs qui a accep­té les livres et dont
la plu­part des membres ignorent vrai­sem­bla­ble­ment les premiers
élé­ments du caté­chisme ? Les pères de
famille catho­liques lors­qu’il s’a­git de veiller sur leur foi et sur
celle leurs enfants, doivent-ils, de toute nécessité,
s’in­cli­ner devant la com­pé­tence doc­tri­nale de M. Durand qui
n’est pas bap­ti­sé ou de M. Dupont qui a refu­sé de faire
bap­ti­ser ses enfants et pré­fé­rer le juge­ment de ces
citoyens qui, par ailleurs, peuvent être fort res­pec­tables, à
celui de l’épiscopat ? »

La
com­pé­tence subor­don­née à la foi, on comprend
trop bien ce que cela veut dire. Autant éri­ger le catéchisme
en syn­thèse des connais­sances à acqué­rir à
l’é­cole primaire !

Inté­res­sant
à cause des évé­ne­ments d’actualité
aux­quels il fait allu­sion, sédui­sant, sou­vent, par
l’im­par­tia­li­té appa­rente des juge­ments et la modération
des cri­tiques, utile à lire parce qu’il résume assez
heu­reu­se­ment le pro­blème qui en fait l’ob­jet, l’ar­ticle de M.
l’ab­bé Nau­det n’ap­porte guère d’ar­gu­ments de nature à
aider ceux qu’il pré­tend ser­vir. Aus­si bien, le résultat
de la lutte enga­gée entre l’é­glise et l’école
offi­cielle ne sau­rait-il faire de doute. L’E­cole offi­cielle est
impar­faite, mais vaut infi­ni­ment mieux que sa rivale. Elle émet
déjà quelques lueurs qui font espé­rer une
régé­né­ra­tion de l’é­du­ca­tion de l’enfance.
Régé­né­ra­tion loin­taine, sans doute, mais
pos­sible. C’est bien déjà quelque chose.

J.
Picton.

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