La Presse Anarchiste

En route pour l’année 1910 !

Nous
par­tons, alertes et joyeux. Le bout de che­min déjà fait
nous a dérouillé les jambes ; il nous a, aus­si, mis de
la confiance et de la cha­leur plein le cœur.

On
nous avait tant dit que nous nous cas­se­rions les pattes aux premiers
kilo­mètres — les kilo­mètres en l’oc­cur­rence c’étaient
les mois — que notre belle confiance s’é­tait laissée
enta­mer par le ver ron­geur du doute. Serait-il pos­sible que nous
échouions ? Nous ne vou­lions pas croire et quand cette idée
nous venait, nous nous raidissions.

Nous
avions rai­son de nous rai­dir, plus rai­son même que nous le
pensions.

Le
pre­mier résul­tat de trois mois de tra­vail, nous l’avons
annon­cé : 550 abon­nés. Le deuxième résultat,
c’est la pos­si­bi­li­té où nous sommes d’en­voyer ce numéro
à deux mille adresses de per­sonnes désignées
comme sus­cep­tibles de s’a­bon­ner. Nous avions deman­dé mille
adresses ; nous en avons reçu deux mille. Nous acons reçu
de longues listes et nous en avons reçu de courtes. Des
abon­nés sur qui nous ne comp­tions pas — amis inconnus —
nous ont envoyé des listes, tan­dis que d’autres sur qui nous
comp­tions, d’autres à qui nous avions écrit exprès
pour leur en deman­der, ne nous ont rien envoyé, ou ne nous ont
pas répon­du. Avons-nous le droit de pen­ser que, dans cette
occa­sion, nous avons éprou­vé la force de certaines
ami­tiés d’i­dées ? Nous ne sommes pas loin de le croire.

Quoi
qu’il en soit, le chiffre que nous nous étions fixé a
été dou­blé. Le nombre de ces abonnés
pos­sibles qui devien­dront des abon­nés réels sera-t-il
le double aus­si de ce que nous avions pré­vu ? Nous ne
deman­de­rions pas mieux que cela soit.

Et
puis — ces deux mille adresses, si les mili­tants ouvriers en
forment la grosse majo­ri­té, elles ne contiennent pas moins un
nombre impor­tant de noms d’in­tel­lec­tuels par­ti­sans ou sym­pa­thiques ou
curieux ; elles contiennent même des noms d’ad­ver­saires ; cette
caté­go­rie est déjà représentée
d’ailleurs dans nos abon­nés par quelques patrons de combat.

Nous
l’a­vions dit et redit, la Vie Ouvrière est faite pour
les mili­tants syn­di­ca­listes et par eux. Mais si d’autres gens
dési­rent la lire, suivre ses études et ses efforts,
nous ne nous plain­drons pas. Bigre non ! Elle s’est créée
pour réagir contre ce pen­chant auquel se laissent aller les
mili­tants de tous les mou­ve­ments : la pro­pa­gande, c’est un article
pour autrui, pas pour soi-même. On est soi-même au
cou­rant, on est conscient, on sait tout. Inutile de lire, de
réflé­chir, de médi­ter, de s’alimenter
intel­lec­tuel­le­ment. C’est bon pour ceux que la grâce n’a pas
touchés.

Ce
pen­chant, ce tra­vers a coû­té cher aux idées
révo­lu­tion­naires et à leur force de pénétration.
Il faut beau­coup de mili­tants et de pro­pa­gan­distes, il en faut des
masses, mais il faut que ces mili­tants fassent sur eux-mêmes
l’ef­fort qu’ils demandent aux autres. Il faut non seule­ment le
nombre, mais encore la qua­li­té. Et la qua­li­té tient à
deux choses : la pas­sion et la connais­sance, l’ob­ser­va­tion. La
pas­sion, ça se com­mu­nique peu aisé­ment ; il faut la
pos­sé­der en soi, pas­sion froide ou pas­sion brû­lante. Une
revue comme la Vie Ouvrière ne peut
qu’ex­cep­tion­nel­le­ment, et bien à la longue, com­mu­ni­quer cela.
pas. Sur ce point, la Guerre Sociale, mal­gré ces sacrés
défauts, fera infi­ni­ment plus de besogne. Reste la
connais­sance, l’ob­ser­va­tion, la leçon de l’expérience.
Sur ce point, la Vie Ouvrière peut faire du bon
tra­vail. Et elle en fera.

Elle
ne s’a­dresse pas au grand public. Elle ne vise à tou­cher que
le public res­treint des mili­tants. Mais ce public là est
encore immense. Des mili­tants ardents, sin­cères, travailleurs,
dés­in­té­res­sés, il s’en trouve dans toutes les
frac­tions du mou­ve­ment social et c’est eux que nous cher­chons. C’est
eux que nous vou­lons armer pour la lutte éco­no­mique, pour la
lutte contre le patro­nat et contre l’É­tat, à qui nous
vou­lons four­nir des maté­riaux qu’ils cher­che­ront pen­dant des
dizaines d’an­nées dans l’Hu­ma­ni­té ou ailleurs.

On
parle de crise du syn­di­ca­lisme. La cause en est simple, la cause
prin­ci­pale s’en­tend. C’est que le syn­di­ca­lisme, ayant gagné en
sur­face, s’é­tant élar­gi, sa tâche s’étant
cen­tu­plée, n’a pas pour accom­plir cette tache le cen­tuple de
mili­tants qu’il lui faudrait.

Notre
ambi­tion à la Vie Ouvrière serait d’ai­der à
la for­ma­tion de mili­tants syn­di­ca­listes, d’être un foyer de
coopé­ra­tion intel­lec­tuelle syn­di­ca­liste, une école sans
pro­fes­seurs et sans élèves, où abon­nés et
rédac­teurs seraient tour à tour élèves et
pro­fes­seurs, où cha­cun dirait le peu qu’il a vu, sen­ti et
qu’il sait. Et si modeste que cela soit, nous avons la convic­tion que
ça vau­dra mieux qu’un cours de pro­fes­seur à la Sorbonne
ou qu’un dis­cours parlementaire.

Pierre
Monatte

P.-S.
 — Ce numé­ro tou­che­ra donc deux mille per­sonnes qui ne sont
pas abon­nées, mais que l’on nous a signa­lées comme
sus­cep­tibles de l’être et a qui nous deman­dons de le devenir.
Outre ce numé­ro, nous leur enver­rons le prochain.

Après
quoi, si elles ne nous ont pas avi­sé de leur inten­tion de ne
pas s’a­bon­ner, soit en nous écri­vant, soit en nous retournant
le numé­ro du 20 jan­vier, ou si elles ne nous ont pas envoyé
direc­te­ment le mon­tant de leur abon­ne­ment nous leur ferons présenter,
aux pre­miers jours de février, une quit­tance de 5 fr. 35 (5
francs pour les six mois d’a­bon­ne­ment, et 35 cen­times pour les frais
de recou­vre­ment), à laquelle nous les prions de faire bon
accueil. — P. M.

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