[[Voir Vie Ouvrière numéros 4, 5 et 6.]]
Pas commode à appliquer le tarif Bousson !
Il
s’agit de tenir bon. Le dimanche 25, à 4 heures du soir, un
grand meeting a lieu dans un enclos de Lormaison. Plus d’un millier
de grévistes y assistent. Il y a même un commissaire
spécial en l’honneur de qui l’Internationale et la
Carmagnole sont. entonnées.
Guignet
s’attache à bien faire voir que c’est surtout le salaire des
femmes qui est atteint : il demande aux hommes s’ils abandonneront
leurs compagnes de Lutte ? Non ! Non ! lui répond-on. Lucien
Platel démontre les mauvais desseins du préfet et des
patrons. Puis Delpech relève le reproche fait aux grévistes
de demander le concours « d’étrangers à leur
corporation ». — Les soldats qui interviennent dans le
conflit, appartiennent-ils à votre corporation ? Et Bousson
est-il boutonnier, lui ? Aucun d’entre nous ne connaissant pas votre
métier n’aurait accepté d’établir un tarif ; si
nous l’avions fait, les patrons auraient critiqué et ils
auraient eu raison.
Le
lendemain, conformément aux décisions du Comité
exécutif, des réunions ont lieu, à 7 heures du
matin, dans toutes les sections. Dans chacune d’elles, des
délégations nommées par usine sont chargées
de se rendre dans les ateliers avant la rentrée des ouvriers
et, au cas où le tarif Bousson y serait appliqué, de
revenir à la réunion où tous les travailleurs
décréteront aussitôt la continuation de la grève.
Ce
qui est décidé est exécuté. Heureusement
que les militants ne dorment pas ! Sinon, les efforts de deux mois
seraient perdus. Le mot d’ordre patronal et préfectoral est
observé, à peu près partout.
À
Andeville, seule la maison Guérault-Lemarinier continue à
fonctionner. Grève, chez les quatre autres, votée par
490 voix contre 5 blancs et 7 non. À Méru, grève
chez tous les fabricants. À Valdampierre, grève. Au
Déluge, les ouvriers, pour la plupart, retravaillaient ; ils se
mettent en grève à nouveau. Au Petit Fercourt, grève.
À La Houssoye, grève. À Amblainville, Lormaison,
Saint-Crépin, grève.
Il
n’y a qu’à Laboissière où le patron Lamouche
paye déjà le tarif ouvrier et à la Villeneuve où
le tarif est accepté, que le travail continue.
On
sent que c’est la partie suprême qui se joue. Les patrons
comptaient beaucoup sur la manœuvre du tarif Bousson ; la résistance
des ouvriers, leur ténacité à maintenir la grève
et à ne pas tomber dans le traquenard, démonte certains
patrons qui, dès le lundi soir, rendent les armes. Un nombre
important d’entre-eux demande à signer de nouveau le tarif du
31 mars, le tarif de l’Union syndicale.
Les
meneurs de la résistance patronale, les hommes d’honneur du
trust ont fait apposer une grande affiche dénaturant
odieusement les faits. Sans retard, l’Union des Tabletiers y répond
par la suivante, qui démolit point par point tous les
mensonges patronaux :
Parjures
Camarades,
une affiche aux allures officielles, — gouvernementale et
patronale, — vient d’être apposée sur les murs de la
région avec l’intention évidente de tromper la bonne
foi de tous les camarades.
Cette
affiche, véritable monument de mensonges, d’hypocrisie et de
contradiction, montrera aux travailleurs sincères et
connaissant bien la situation ce que vaut la mentalité
patronale et la confiance que l’on peut accorder à nos
gouvernants qui, ici, se sont rendus les complices d’une œuvre de
monstruosité et d’iniquité.
À
cette affiche verte — symbolisant par sa couleur l’espérance
de rouler les ouvriers — nous croyons devoir ne répondre
qu’en relevant les principales contradictions et les signaler ainsi à
l’attention des travailleurs.
AFFICHE PATRONALE | NOUS RÉPONDONS : |
Mensonges, contradiction, hypocrisie | Le tarif sans aucune modification. |
Les ouvriers déclarèrent qu’ils repoussaient l’arbitrage et qu’ils n’accepteraient que le tarif d’Andeville sans condition et sans réserve. | Nous avons toujours maintenu nos déclarations, et notre tarif envoyé à tous les patrons, connu de tous les ouvriers, n’a reçu aucune modification de notre part et a été appliqué là où le syndicat a décidé la reprise du travail. En cela, nous sommes d’accord avec l’affiche préfectorale. |
Le 31 mars, la situation était celle-ci : D’un côté les ouvriers réclamant l’application pure et simple du tarif d’Andeville. De l’autre, les patrons ou la plupart d’entre eux, disposés à accepter provisoirement le tarif d’Andeville sous réserve que le tarif définitif serait fixé par un arbitre. |
Ce jours les patrons voulaient faire des réserves pour l’acceptation comme il est indiqué ci-contre, mais sachant combien un arbitrage nous aurait dupé, nous refusâmes cette condition et les patrons n’insistant plus, acceptèrent la solution immédiate. |
Quel était ce tarif ? M. le président de la Chambre syndicale des patrons en présenta un exemplaire au préfet et offrit aussitôt à l’assemblée d’en donner lecture, mais tous, patrons et ouvriers, déclarèrent qu’ils le connaissaient. | Ici apparaît l’hypocrisie. Un seul tarif était connu des ouvriers, en même temps que des patrons : le tarif de l’Union syndicale des ouvriers tabletiers ; jusqu’à ce jour, le syndicat patronal n’avait élaboré que le tarif premier qui provoqua le conflit. Par conséquent aucun doute n’était possible, le tarif que possédait le préfet, remis par un ouvrier et non par un patron, ne pouvait être que celui des ouvriers tabletiers. Il n’en existait pas d’autres. |
Après quoi furent discutées quelques questions de détail et, quand ouvriers et patrons se furent mis d’accord sur tous les points, le préfet, par trois fois, proclama la grève terminée. | Ce tarif fut adopté dans son ensemble par les patrons présents qui tous le connaissaient. Il fut adopté sans aucune réserve — autrement nous ne l’aurions pas signé — et cela permit au préfet de déclarer par trois fois la grève terminée. |
Le lendemain ou quelques jours après la réunion du 31 mars, M. Marchand crut devoir adresser au secrétaire du syndicat ouvrier le tarif appliqué dans sa maison, et qui était, disait-il, le vrai tarif d’Andeville. | Pourquoi M. Marchand agit-il ainsi puisque le 31 mars, le tarif connu de tous fut accepté ? Rien ne laissait supposer une contestation possible sinon sa mauvaise foi évidente, surtout que, comme ses collègues d’Andeville, il l’a payé intégralement à ses ouvriers pendant trois semaines. Et s’il n’avait pas l’intention de créer une division après l’entente, pourquoi ne présentait-il pas son tarif le 31 mars ? C’était prémédité. |
En présence de cette divergence, le préfet crut devoir faire dresser un tarif indiscutable d’Andeville et dans ce but il a chargé M. Busson, conseiller de préfecture, de se rendre à Andeville et de procéder, au vu des livres de paye des maisons de cette commune, à l’établissement de ce tarif. Où M. Bousson puisa-t-il ses connaissances de boutonnier pour établir un tarif ? |
Pourquoi chercha-t-il à en constituer un nouveau puisqu’il en existait un qu’avait possédé le préfet et qui facilitait l’entente ? Consulter les livres de paye, on en connaît la valeur, on sait qu’ils sont tous maquillés et en tous cas cela ne pouvait pas influencer notre décision qui est l’adoption du tarif signé le 31 mars. |
Il
est dit d’autre part :
« Le
préfet voulait donner aux patrons l’occasion d’affirmer leur
respect des engagements pris le 31 mars» ; cette déclaration
est cynique, si tel était leur désir, ils auraient pu
facilement le satisfaire en exécutant leurs propres
engagements, au lieu de faire appel à la complicité du
préfet et de son sous-ordre qui leur ont si complaisamment
apporté leur concours…
Et
maintenant qu’ils nous disent ce qu’ils ont fait des tarifs sciage et
encartage, les ont-ils volontairement oubliés ?
Camarades,
vous connaissez tous la situation, vous voyez ce que veulent les
patrons : tâcher de créer une division parmi nous à
la faveur de laquelle ils pourraient mieux nous exploiter et nous
écraser de leur autorité ; nous n’en serons pas dupes,
et en parjurant à leur parole, ils nous ont montré les
sentiments qui les animaient à notre égard.
Nous
sommes prévenus, nous ne serons pas victimes de leur
tentative.
Cette
manœuvre, le texte du tarif définitif la reconnaît.
Voici ce texte :
Nous,
soussignés, fabricants de boutons de nacre, reconnaissons
avoir été induits en erreur en signant un tarif, dit
Bousson, à la préfecture de Beauvais, le 23 avril 1909,
croyant signer à nouveau le tarif syndical ouvrier annexé
au contrat collectif du 31 mars, sous la présidence de M. le
préfet de l’Oise.
Prenons
l’engagement formel de nous en tenir à ce dernier et d’en
observer toutes les conditions jusqu’au délai fixé.
Le
jeudi 29 et le vendredi 30, un grand nombre de patrons signent le
contrat. C’est la débandade patronale. Elle se produit malgré
les coups de téléphone de M. Marchand à ses
collègues. Lui, il n’est pas revenu à Andeville.
N’empêche, il engage les autres à la résistance.
Mais plusieurs qui commencent à voir clair dans son jeu, lui
répondent qu’ils en ont assez et qu’ils préfèrent
signer pour être tranquilles.
La
volonté des grévistes ne fléchit pas. Le 1er
mai, tout le monde lâche le travail. Une grande concentration,
à laquelle prennent part au moins 5.000 ouvriers, se déroule
à Méru. Un meeting est tenu dans un enclos derrière
le bois du Moulin Rose, le préfet ayant interdit de le faire
sur la place des Armes.
Le
lendemain, manifestation à Andeville et nouveau meeting dans
un enclos.
Ces
manifestations durant les deux jours, exercent une influence sur les
patrons qui résistent encore. Ces derniers sentent que les
ouvriers ne sont pas à bout de forces. Aussi, le 4 mai, dans
un grand nombre de centres, les patrons adhèrent-ils au tarif
ouvrier. À Méru, le travail est repris, tous les
patrons ont signé.
La
lutte se poursuit à Valdampierre, où une usine sur
trois seulement travaille, et à Amblainville, SaintCrépin
et Lormaison où le chômage est complet.
Reste
encore l’usine Marchand, à Andeville. Elle tente une manœuvre.
Les ouvriers, convoqués à son de caisse, se réunissent
au nombre de 59 et décident la reprise du travail au tarif
Marchand-Bousson.. Quels sont ces 59 ? Des employés de magasin
et de bureau payés au mois et quelques jaunes.
En
réponse à cette manœuvre, le Syndicat ouvrier convoque
les travailleurs de cette maison ; ils votent la continuation de la
grève par 134 voix contre 2 non et un blanc. À l’entrée
et à la sortie les employés ayant repris le travail
sont hués par leurs camarades.
La
manœuvre patronale ayant ainsi échoué, les associés
de Marchand décident de ne pas rouler le lendemain. Ils sont
d’ailleurs plutôt dégoûtés des jaunes qui
étaient rentrés. Ces derniers n’avaient pas dessaoulé
et n’avaient pas cessé de se chamailler dans l’usine. Si bien
que le directeur, en guise de récompense pour leur trahison,
leur donne leur congé.
Pluie de condamnations
Les
patrons avaient compté un peu sur les juges de Beauvais pour
terroriser les grévistes. Quelques mois de prison bien
appliqués produiraient de l’effet. Le 28 avril, le tribunal
correctionnel prononçait les condamnations suivantes : Maréchal
et Gueule, 8 mois de prison ; Winter et Vasseur, 6 mois ; Tavaux,
Leroux, Vue, 4 mois ; Noël, Potentier, 3 mois ; Langlet et
Pecqueur, 3 mois par défaut ; Hucqueleux, Aumont, Doyelle,
J.-B. Dehée, 2 mois ; Marceau Dehée, Plichon, Julienne
Houziaux, Laure Dufer, Victoria Hébert, Alphonsine Piocelle,
femme Déséricourt, 15 jours ; Dauchel, 10 jours. Le
Postollec, 3 mois ; Pouchain, 4 ; Piton, 3 ; Grégoire, 15 jours ;
Mme Potier, 15 jours.
L’audience
ne se passe pas sans incidents. D’abord avec Troisœufs père,
qui déclare avoir reconnu Maréchal et Gueule en tête
des manifestants qui cassèrent des carreaux, à
Lormaison, dans la nuit du 9 au 10 avril.
Me
Bonzon. — M. Troisœufs a‑t-il assisté à
l’arrestation de Tavaux ?
M.
Troisœufs. — Oui, monsieur.
—
M.
Troisœufs n’a-t-il pas essayé de frapper Tavaux pendant qu’il
était entre les mains des gendarmes ?
—
Oui,
monsieur. J’étais très surexcité.
—
Avez-vous
été interrogé sur ce fait par l’autorité
Justicière ?
—
Oui,
monsieur, hier seulement.
À
ces dernières réponses, on sent la salle frémir.
Les juges ne partagent pas cette haine de l’injustice, sans doute,
puisqu’ils « salent » Maréchal et Gueule.
MM.
Troisœufs fils et Tabary déclarent n’avoir reconnu personne.
Me
Bonzon. — M. Tabary n’était-il pas à la mairie
lors de l’arrestation de Gueule et n’a-t-il pas cherché il le
frapper ?
M.
Tabary. — Oui, j’ai fait le geste de frapper, car j’étais
surexcité, mais je n’ai pas abaissé la main.
MM.
Doudelle fils n’ont reconnu personne. Ils évaluent les dégâts
commis chez eux à 19.000 francs, dont 16.000 de boutons.
Ils
n’y vont pas de main-morte, les Doudelle ! 16.000 francs de boutons
comme dégâts ? Et pourtant ils les ont ramassés en
totalité, le lendemain. S’ils pouvaient se faire rembourser
par la commune, la bonne affaire ! 16.000 francs de la vente de leurs
boutons et 16.000 francs de la commune, c’est du bon petit commerce !
Le
patron Lignez, de Lormaison, nous accuse, Tavaux, Leroux, secrétaire
de l’Union des syndicats de l’Oise, et moi, de lui avoir extorqué
par la force et par les menaces la signature qu’il vint apposer au
bas du tarif provisoire, un jour de réunion, salle Bénard,
à Lormaison. Mouel et Couet, qui avaient signé dans les
mêmes conditions, alors que 50 gendarmes étaient postés
en face de la salle de réunion, reconnaissent plus tard,
lorsque Leroux est appelé devant le juge d’instruction pour
cette accusation, qu’ils signèrent volontairement et en toute
liberté. La mauvaise foi de Lignez étant prouvée,
aucune suite n’est donnée à l’affaire. Le bonhomme est
connu pour ce qu’il est capable de faire. En 1907, lors de la grève
de Lormaison, il avait déjà menacé publiquement
de me faire casser les reins.
Quelques
jours plus tard, la vengeance populaire allait trouver son compte. À
la campagne, tout le monde se connaît et nul n’ignore les
petites histoires du patron. Le vendredi 7, Lignez était
occupé à faire des propositions galantes à une
brave dame ; il la maltraitait même un peu, paraît-il. Un
groupe d’ouvrières et d’ouvriers qui avaient vu le manège,
s’emparent de la voiture du patron et vont la cacher dans le fond de
la cour de l’usine Bourdais.
Quand
Lignez s’aperçoit de la disparition, il se met en fureur,
porte plainte aux gendarmes. Quelques minutes après, deux
compagnies de chasseurs à pied gardent les abords de l’usine
pendant qu’une dizaine de gendarmes, sous les ordres d’un capitaine.,
accompagné de deux commissaires spéciaux, sortent la
voiture au milieu des rires et des huées de la foule.
À
ce moment, un escadron de cuirassiers arrive au trot. Cela met le
comble à la joie. Au milieu des rires et des huées,
couvert de ridicule, Lignez monte dans sa voiture, non sans y avoir
effacé des vérités inscrites à la craie.
Et il regagne Lormaison escorté par des cuirassiers. Le
lendemain matin, il revient accompagné encore par des
gendarmes et il est, l’objet d’une réception semblable à
celle de la veille.
Le
même jour, Troisceufs faisait des siennes, d’un autre genre. Le
mercredi 5, les grévistes avaient découvert dans une
voiture de la laiterie Maggi un panier de boutons envoyé par
Troisœufs à un fabricant de Méru ; naturellement, ils
l’avaient confisqué. Cette fois, c’est le patron lui-même,
en plein jour, qui en transporte dans sa voiture ; on les saisit
également. Troisœufs menace de mort le camarade Guignet. La
foule, alors, l’entoure et va lui faire un mauvais parti. Il est
obligé de se mettre sous la protection de deux compagnies du
51e de ligne.
Depuis
le 4 mai, l’effectif des troupes est réduit, le travail ayant
repris dans la plupart des communes. Le 5e dragons et le
2e hussards ont rejoint leurs casernements ; le 8e
chasseurs à pied, aussi, ce dernier remplacé par un
bataillon du 51e de ligne.
Un
gros mécontentement, aussi, se manifestait parmi la troupe.
Les soldats couchaient sur la paille par un froid glacial. Il y eut
deux morts par suite de congestion. Une quantité d’autres
furent dirigés sur l’hôpital de Beauvais. Le 1er
mai au matin, deux soldats du 8e chasseurs à pied
tombent frappés de congestion. Les sachant en danger de mort,
le major prie le général Nicolas de lui prêter
son automobile pour les transporter d’urgence à Beauvais. Le
général s’y refuse. Quelques heures après, le
soldat Dufour succombe. L’armée est une grande famille,
n’est-ce pas ?
Les meneurs patronaux lâchent pied
Les
journées se passent toujours en manifestations et en réunions
pour les grévistes qui restent. Le dimanche 9, concentration à
Valdampierre. Réunion par L. Platel et par Guignet.
Manifestation après. Les patrons et les jaunes sont hués.
Cuirassiers, dragons, gendarmes ayant chargé, des bagarres se
produisent. L’ouvrier Roche, pour avoir manifesté son
indignation aux gendarmes, est aussitôt arrêté.
Deux jours après, en correctionnelle, il est condamné à
1 mois. On est expéditif lorsqu’il s’agit de grévistes !
Le samedi 15, c’est mon tour. Les chats-fourrés me condamnent
par défaut à 6 mois de, prison. Ça m’apprendra à
respecter le métier de commandant de gendarmerie. Le 17, c’est
Commeignes qui est arrêté à La Houssoye pour
prétendus outrages aux gendarmes. Deux jours après il
est condamné à un mois de prison.
Mais,
malgré tout cela, aucun espoir ne brille plus pour les hommes
du trust. Il faut qu’ils cèdent. Il leur en coûte de
s’avouer vaincus. Aussi ils se débattent pour sauver les
apparences et leur amour-propre.
Le
jeudi 20, un accord intervient à l’usine Marchand. Les
ouvriers reprennent le travail sur un tarif qui est un peu différent
du tarif syndical mais qui lui est plutôt avantageux.
Il
en est de même chez Tabary et Troisœufs, à Lormaison.
Il n’y a que Doudelle, de Saint-Crépin, qui s’obstine. Devant
son intransigeance, les ouvriers vont se placer ailleurs ; il ne
reste, chez lui, que quelques jaunes. À Valdampierre, la
résistance continue.
Jusqu’au
commencement de juin quelques maisons restent réfractaires
mais finissent par adopter un tarif qui donne encore un avantage aux
ouvriers.
Devant
la tournure que prennent les événements, le samedi 22
je me rends au greffe du tribunal de Beauvais faire opposition à
ma condamnation. Je suis écroué aussitôt.
Gueudée,
Laguiri, Grandmaître et Dauchet comparaissent en
correctionnelle pour entraves à la liberté du travail ;
ils récoltent 15 jours de prison et 16 francs d’amende. Le
Postollec, pour avoir affiché les noms de quatre jaunes, est
condamné à un mois de prison et 100 francs de
dommages-intérêts envers chacun des demandeurs.
Déséricourt,
Mmes Scordel et Houziaux sont condamnés à 8 jours de
prison et 16 francs d’amende pour entrave à la liberté
du travail. Drouin, accusé d’avoir chanté, en regardant
le commissaire spécial Calmette : « On les pendra, la
gueule en bas », s’en tire avec un mois. Enfin, le 12 juin, je
comparais devant le tribunal qui réduit ma peine à
quatre mois.
Je
Je dois signaler ici la courageuse conduite d’un officier qui accepta
de m’apporter son témoignage. Les paroles du commandant
Barotte, que j’avais connues à Lormaison, le capitaine Gérard,
de Beauvais, les avait entendues et en avait parlé à un
ouvrier, celui qui me les avait rapportées. Mais le capitaine
Gérard accepterait-il de venir témoigner ? Il accepta
sans hésitation.
C’est
un fichu officier que ce gaillard-là. Il vient. Il raconte ce
qu’il a entendu, les conditions dans lesquelles il l’a entendu.
C’était en wagon. La conversation était entre Barotte
et un quidam qu’il reconnaît en la personne du procureur de la
République. Le commandant Barotte avait bien déclaré
que l’autorité militaire avait manqué d’énergie
et que s’il avait été, lui, à la tête des
troupes il aurait réprimé la grève Plus
violemment et aurait mis la région en état de siège.
Il attribuait la grève aux réactionnaires, tout en
traitant les militants d’anarchistes.
Ce
témoignage fit une grosse impression. Si j’avais voulu faire
des regrets, les juges, qui étaient passablement gênés,
m’auraient sans doute de suite, renvoyé à Andeville.
Mais je n’aime pas beaucoup les simagrées : « Je suis
assez grand garçon, répondis-je, et j’ai assez de
fermeté de caractère pour revendiquer la responsabilité
entière de mes actes et de mes paroles ».
Conclusion
Cette
grève mémorable a eu pour premier résultat
d’empêcher que les ouvriers boutonniers, dans l’ensemble,
soient spoliés d’au moins un million de francs dans l’espace
de dix mois, c’est-à-dire pendant la durée du contrat
qui, certainement, sera renouvelé. Mais elle a donné
d’autres résultats. L’organisation syndicale, qui comptait
encore peu, s’est développée considérablement.
L’esprit de révolte s’est éveillé. Devant les
faits et les avantages acquis, tel qui prêchait le calme hier
est maintenant le plus fervent propagateur de l’action directe. Bien
mal venu serait celui qui se risquerait aujourd’hui à
prétendre que la grève des bras croisés produit
de bons résultats. Tant que les boutonniers ont agi ainsi,
l’on s’est moqué d’eux. Ce n’est que lorsqu’ils ont su montrer
les dents que leurs exploiteurs ont commencé à être
moins arrogants et à céder. Ah ! il est bien vrai que la
peur est le commencement de la sagesse.
Les
militants ont eu de la besogne pour entraîner et soutenir ce
magnifique mouvement. Pas de repos, exténués ou non, il
leur fallait chaque jour aller, par la pluie et la neige, dans les
vingt communes où s’étendait la grève, afin
d’organiser sérieusement et presque militairement la
résistance. L’arrêt du travail n’était pas
commode. Beaucoup d’ouvriers travaillant à domicile, il y
avait nécessité à ce qu’on s’organise pour
empêcher la sortie et la rentrée des boutons.
La
grève a duré trois bons mois, pendant lesquels la plus
parfaite harmonie n’a cessé de régner parmi les
ouvriers. Et ce furent des spectacles impressionnants que ces longues
théories d’hommes et de femmes, bravant toutes les intempéries
pour aller là où une leçon s’imposait, afin de
faire comprendre aux patrons les plus féroces qu’il y a dès
limites à tout.
Souvent
on se plaint de l’influence déprimante des femmes. Chez nous,
elles se sont toujours montrées les plus énergiques et
les plus ardentes. On peut même dire qu’elles furent une des
causes importantes de la victoire.
Et
maintenant, que dire du député Baudon, le Quinze-mille
de l’arrondissement ; du conseiller général Deshayes,
qui ne virent dans ce mouvement qu’une question politique et qui
osèrent faire imprimer que la grève était
fomentée et soudoyée par les curés et par les
réactionnaires. Nous leur avons offert maintes fois de leur
présenter nos livres de comptabilité. Ils ne se sont
pas dérangés pour les regarder, mais ils ont continué
à calomnier. Pour ces gens-là, il est inadmissible
qu’un ouvrier ait une volonté. Du moment qu’ils ont, eux, le
ventre plein, lui, il ne doit pas avoir faim, et s’il se révolte,
ce ne peut être que pour faire le jeu de tel ou tel parti
politique.
Toute
chose, même malheureuse, a son côté. Les
travailleurs du bouton qui avaient encore foi en la toute-puissance
du bulletin de vote en sont quelque peu revenus. Ils ont appris à
ne compter que sur eux-mêmes et à ne plus se fier aux
belles promesses des aspirants Quinze-mille. Aussi, ils se chargent
eux-mêmes de la besogne qui les regarde.
Quoique
ces messieurs aient fait placarder sur tous les murs que les
déprédations commises ne pouvaient être que
l’œuvre d’étrangers à la région, cela n’a pas
empêché quarante-cinq des nôtres, tous du pays,
d’être condamnés au chiffre global de 7 ans de prison.
Voilà
terminé le récit de la grande lutte soutenue par les
boutonniers de l’Oise pour défendre leurs salaires. Le
souvenir en restera longtemps chez nous et entretiendra l’esprit de
révolte et d’organisation.
J.-B.
Platel