La Presse Anarchiste

Les domestiques agricoles de l’Allier

 

Dans
plu­sieurs com­munes de l’ar­ron­dis­se­ment de Mou­lins, les domestiques
agri­coles viennent de se consti­tuer en syndicats.

De
tous les tra­vailleurs ruraux, les domes­tiques — des jeunes gens
géné­ra­le­ment âgés de 12 à 25 ans —
sont cer­tai­ne­ment les plus mal­heu­reux sous divers rapports.

Au
sujet du gain, ils ont quelques avan­tages sur les jour­na­liers et
peut-être même sur les culti­va­teurs. Une augmentation
pro­gres­sive de leurs gages s’est pro­duite qui s’ex­plique par la
dif­fi­cul­té du recrutement.

Au
point de vue moral il n’en est mal­heu­reu­se­ment pas de même. À
cet égard, les domes­tiques sont dans une situa­tion déplorable.
Loués tan­tôt dans une ferme, tan­tôt dans une
autre, ils changent de ce fait de maîtres tous les ans,
quel­que­fois plus sou­vent. Dans bien des contrées, les
domes­tiques sont logés dans les étables et nour­ris à
part ; chez nous il n’en est pas de même ; ils logent et mangent
avec leurs patrons, pour la bonne rai­son qu’ils sont peu nombreux
dans la même ferme, deux ou trois, rare­ment plus. Qu’ils
mangent ou non à la table du patron ils sont condamnés
de toute façon à vivre constam­ment au milieu
d’é­tran­gers. Ils peuvent tom­ber dans des places où on
ne leur fera pas trop sen­tir qu’ils sont des étran­gers et des
infé­rieurs, mais ces places sont loin d’être la règle.
Et encore dans ces cas, une foule d’inconvénients
s’op­posent-ils à ce que ces jeunes gens soient à peu
près heureux.

Je
cite à cet égard le témoi­gnage d’un ancien valet
de ferme qui écri­vait tout récem­ment la lettre suivante
à notre ami Émile Guillau­min, l’é­cri­vain paysan
bourbonnais :


J’ai vécu une ving­taine d’an­nées la vie de domestique,
je puis donc m’ex­pri­mer en connais­sance de cause. Eh bien ! quoi qu’on
dise que le domes­tique fait par­tie de la famille, qu’il n’est pas
consi­dé­ré comme infé­rieur, mais comme
col­la­bo­ra­teur et ami, je puis affir­mer qu’en réalité
cette vie n’est rien moins qu’a­gréable. Deux hommes dont l’un
est le subor­don­né de l’autre ne peuvent être
fon­ciè­re­ment amis sur­tout quand cette subor­di­na­tion n’est ni
déli­mi­tée, ni régle­men­tée. Certes,
l’employeur peut être bon, humain, généreux,
loyal, mais il peut être aus­si arbi­traire, despotique,
inso­lent, bru­tal. Et, somme toute, il y a tou­jours supériorité,
auto­ri­té chez l’un, dépen­dance, humi­lia­tion chez
l’autre. En prin­cipe, le domes­tique ne peut avoir d’individualité
propre : pour la bonne har­mo­nie des rap­ports com­muns, il doit aimer ce
qu’aime son maître, haïr ce qu’il hait, croire ce qu’il
croit.

D’autre
part, com­ment un patron dans la force de l’âge, robuste et bien
mus­clé, pour­rait-il avoir conscience de la fai­blesse de son
valet, jeune encore et moins bien bâti ? Com­ment le
sup­po­se­rait-il à bout d’ha­leine pour le suivre à
fau­cher, à char­ger les gerbes, à toutes sortes de gros
tra­vaux, si lui-même accom­plit sans effort toutes ces besognes ?
Com­ment le sup­po­se­rait-il mala­dif, dys­pep­sique, etc., s’il jouit d’un
excellent esto­mac ? Com­ment le croi­rait-il excé­dé par
deux heures de tra­vail avant le jour et trois heures après le
cou­cher du soleil, s’il est domi­né par un perpétuel
sen­ti­ment d’a­va­rice ? Com­ment le croi­rait-il extrê­me­ment fatigué
à midi, s’il ne s’est employé, lui, qu’a de menus
tra­vaux le matin ? Com­ment, s’il le voit lire, ne le juge­rait-il pas
pré­ten­tieux et orgueilleux, s’il est, lui, indifférent
à toute chose intel­lec­tuelle ? Com­ment ne le juge­rait-il pas
bien nour­ri et suf­fi­sam­ment ras­sa­sié, alors qu’ils vivent à
la même table et que lui s’es­time satis­fait ? Comment
souf­fri­ra-t-il que le gar­çon demeure à l’occasion
quelques heures dans sa famille, alors qu’il vit, lui, constam­ment au
milieu des siens ? Géné­ra­le­ment le domes­tique est
exploi­té un peu sur tout, sur le som­meil, sur la nourriture,
sur la liberté…

Leurs
condi­tions de tra­vail. — Les por­chers, les servantes.

Les
domes­tiques sont géné­ra­le­ment considérés
comme des infé­rieurs pour les fer­miers, aus­si sont-ils traités
sou­vent en consé­quence. Les petits pâtres, les porchers
comme on les appelle chez nous, ont sur­tout à se plaindre de
cette piètre consi­dé­ra­tion. Trop faibles encore pour se
défendre et trop peu expé­ri­men­tés, ils ont à
subir bien des fois les mau­vais trai­te­ments de leurs patrons et même
ceux de leurs cama­rades, les forts domes­tiques. Ces der­niers, au lieu
de les encou­ra­ger et de les aider, ne se gênent pas pour les
taqui­ner par toutes sortes de mau­vaises plai­san­te­ries et par les
battre parfois.

Ces
pauvres enfants, loués pour un prix déri­soire, cinq à
six sous par jour, sont constam­ment atte­lés à leur
besogne, soit avec les hommes, pour soi­gner les ani­maux, tou­cher les
bœufs au labour, etc., soit avec les femmes, pour char­rier l’eau,
ren­trer le bois ou gar­der les bes­tiaux au tra­vers des pacages et par
tous les temps. La plu­part de ces gamins, fils de jour­na­liers chargés
de famille, n’ont pas même des effets de rechange pour se
mettre à l’aise quand ils rentrent des champs, mouillés
et crot­tés. Sans sen­si­ble­rie, on peut dire que le sort de ces
pauvres gars, arra­chés au foyer fami­lial par la nécessité
de gagner un salaire aus­si­tôt que pos­sible, est des plus
navrants. D’ailleurs, les grands domes­tiques ne parlent toujours
qu’a­vec effroi ou amer­tume de l’é­poque où ils étaient
porchers.

Les
ser­vantes de ferme, elles non plus, n’ont pas une situa­tion bien
agréable. Elles sont encore davan­tage pri­vées de
liber­té et de repos que leurs cama­rades mas­cu­lins. Il est
d’u­sage qu’on leur réserve les besognes les plus ennuyeuses de
la ferme. À la cam­pagne, lors­qu’on loue une bonne, ce n’est
assu­ré­ment pas pour lui faire faire de la den­telle, mais bien
pour lui faire accom­plir les tra­vaux pénibles et sales.

En
sus de l’ou­vrage d’in­té­rieur, ces jeunes filles doivent encore
aller aux champs avec les hommes ; plan­ter les pommes de terre et
semer les céréales au prin­temps ; faner le foin et
l’en­gran­ger, ramas­ser la javelle, etc., durant l’été ;
aider à la cueillette des récoltes d’au­tomne, et,
pen­dant l’hi­ver, tou­cher les bœufs à la char­rue, gar­der les
porcs ou les mou­tons au milieu des vastes pâtu­rages où
la bise siffle et glace.

À
la veillée, jus­qu’à 10 ou 11 heures du soir, elles
tra­vaillent encore à répa­rer les vête­ments usés
de leurs maîtres. Pour soi­gner leurs effets per­son­nels elles
n’ont ordi­nai­re­ment que quelques heures le dimanche, au retour de la
messe et du bal, si on leur a per­mis de sortir.

Res­tent
encore les rap­ports de ces pauvres filles avec les hommes lorsque le
tra­vail se fait en com­mun. Je néglige les taqui­ne­ries et les
plai­san­te­ries sou­vent dures à ava­ler ; mais il est fréquent
que les gar­çons cherchent à les mettre à mal,
bien réso­lus d’a­vance à les aban­don­ner si l’acte
d’a­mour est sui­vi de consé­quences. La vie de ces servantes,
alors ? Oh ! neuf fois sur dix, irré­pa­ra­ble­ment brisée.

Les
domes­tiques de notre région sont astreints à un travail
très long et, cela va sans dire, très pénible,
d’une durée moyenne de 14 à 16 heures par jour.

En
été, ils font ordi­nai­re­ment 18 heures, sinon plus :
levés dès 3 heures et demie ou 4 heures du matin, selon
l’ha­bi­tude de la mai­son où il sont loués, ils sont
encore dans les champs à 9 heures du soir. Avant qu’ils soient
ren­trés à la ferme et qu’ils aient man­gé la
soupe, il se trouve d’être au moins 10 heures.

Il
ne leur reste donc que 6 heures au plus de repos, ce qui est trop peu
pour le rude labeur accom­pli durant le jour et à renou­ve­ler le
len­de­main. La sieste à midi n’est encore guère rentrée
dans les mœurs ; néan­moins elle tend peu à peu à
s’implanter.

En
hiver, la jour­née est un peu moins longue, mais la besogne est
plus sale, car il faut tra­vailler constam­ment dans la boue au travers
des champs ou dans le fumier pour net­toyer et pan­ser les animaux.

Les
culti­va­teurs, eux aus­si, subissent cet état de choses, nous
dira-t-on ! Par­fai­te­ment, mais cela n’at­té­nue pas la dureté
de l’exis­tence du domes­tique. La souf­france phy­sique et morale du
patron ne sau­rait adou­cir celle du valet ni l’o­bli­ger à subir
les ava­nies sans nombre de sa triste condi­tion sans qu’il cherche à
y appor­ter de remèdes.

Pour
tant de peines, de pri­va­tions et d’in­con­vé­nients de toute
sorte, voi­ci le mon­tant des salaires annuels alloués aux
domes­tiques, le 10 juin der­nier, à la loue de
Bourbon-l’Archambault :

Pour les garçons : Pour les filles :
De 12 ans, 100 à 120 fr. De 12 ans, 120 à 150 fr.
De 13 ans, 150 à 180 fr. De 13 ans, 125 à 160 fr.
De 14 ans, 180 à 250 fr. De 14 ans, 170 à 190 fr.
De 15 ans, 260 à 350 fr. De 15 ans, 200 à 235 fr.
De 16 ans, 300 à 400 fr. De 16 ans, 235 à, 285 fr.
De 17 ans, 360 à 460 fr. De 17 ans, 280 à 305 fr.
De 18 ans, 450 à 500 fr. De 18 ans, 280 à 310 fr.
De 19 ans, 460 à 520 fr. De 19 ans, 290 à 330 fr.
De 20 ans, 470 à 590 fr. De 20 ans, 300 à 340 fr.
Au-des­sus de 20 ans, de 500 à 590 fr. Au-des­sus de 20 ans, de 300 à 350 fr.

À
quelques francs près, ces prix sont les mêmes dans tout
le dépar­te­ment. Il suf­fit de les divi­ser par 365 pour être
fixé sur le salaire quo­ti­dien des domes­tiques et pour être
convain­cu que la rému­né­ra­tion en argent qui leur est
accor­dée n’est pas en rap­port avec la besogne considérable
qu’ils fournissent.

Pro­pa­gande
et for­ma­tion de syndicats

Les
domes­tiques de l’Al­lier se plaignent sans cesse de leur triste
condi­tion. Ils sont las de souf­frir. Mais beau­coup d’entre eux —
trop hélas ! — cherchent dans les plai­sirs du caba­ret et dans
les amours éphé­mères une sorte de consolation,
un adou­cis­se­ment immé­diat à leurs déboires
pro­fes­sion­nels. Tous, par bon­heur, n’a­gissent pas de la sorte. Dans
diverses com­munes des envi­rons de Mou­lins, plu­sieurs jeunes garçons,
sou­cieux d’ap­por­ter des amé­lio­ra­tions durables et sen­sibles à
leur condi­tion sociale, ont réso­lu d’or­ga­ni­ser leur
cor­po­ra­tion en syndicats.

Ce
fut à Bour­bon-l’Ar­cham­bault que ger­ma la pre­mière idée
de ce genre. À la suite d’une inté­res­sante conférence
syn­di­cale faite dans cette loca­li­té par le cama­rade Déforge,
de Mou­lins, un comi­té d’or­ga­ni­sa­tion, d’une dizaine de jeunes
gens, se for­ma. Des convo­ca­tions furent lan­cées à tous
les domes­tiques du can­ton et le dimanche 25 avril der­nier, le,
syn­di­cat fut défi­ni­ti­ve­ment consti­tué. Quelques
semaines après, les domes­tiques de Bes­say, Buxières-les-Mines,
Lusi­gny, Cha­peau, Vau­mus, sui­virent l’exemple don­né par leurs
cama­rades de Bour­bon. Depuis cette époque s’est encore fondé
le groupe de Tron­get. Plu­sieurs sont actuel­le­ment en formation.

Mais
ces nou­velles orga­ni­sa­tions ne sont pas encore assez puis­santes ni
assez nom­breuses pour reven­di­quer immé­dia­te­ment les
amé­lio­ra­tions qu’elles se pro­posent d’obtenir.

Afin
d’in­ten­si­fier leur pro­pa­gande, les mili­tants se décident à
relier les syn­di­cats exis­tants par un orga­nisme cen­tral. Dans ce but,
un congrès fut tenu, le 28 novembre der­nier, à la
Bourse du Tra­vail de Mou­lins. Une dizaine de délégués
y assis­tèrent. Jugeant leurs forces trop minimes encore pour
se grou­per en fédé­ra­tion auto­nome, les syndicats
repré­sen­tés don­nèrent leur adhé­sion à
l’U­nion dépar­te­men­tale des syn­di­cats ouvriers qui est chargée
désor­mais de la coor­di­na­tion de la pro­pa­gande rurale.

Avant
de se sépa­rer, les délé­gués se sont,
enten­dus sur les diverses reven­di­ca­tions qu’ils désirent
sou­mettre à leurs patrons dès que leurs organisations
seront assez fortes pour en ten­ter la réa­li­sa­tion. Voi­ci le
pro­gramme des récla­ma­tions qu’ils ont éla­bo­ré en
com­mun et que leurs mili­tants ont com­men­té dans la presse
locale :

Régle­men­ta­tion
des heures de travail.

Nous
vou­lons une régle­men­ta­tion des heures de tra­vail. Il est
d’u­sage de beso­gner de l’aube au cré­pus­cule et même
d’empiéter sur les nuits en hiver pour le pan­sage des bêtes,
en été au temps des foins et de la mois­son. Rien de
régu­lier d’ailleurs : il est des fermes où l’on se rend
aux étables, en décembre, dès cinq heures du
matin ; il en est d’autres où l’on n’y pénètre
qu’à sept heures. La sieste méri­dienne aux mois chauds
est d’u­sage cou­rant dans quelques endroits : en nombre d’autres on ne
veut pas l’ac­cor­der. Pour­quoi une chose pos­sible ici est-elle
décla­rée inad­mis­sible à côté ? Nous
recon­nais­sons qu’il n’est pas aus­si facile que dans une usine ou un
ate­lier d’ar­ti­san de com­men­cer et de ces­ser le tra­vail à une
heure fixée. Il faut tenir compte des caprices de la
tem­pé­ra­ture et de la néces­si­té d’enlever
rapi­de­ment les récoltes mûres. Néan­moins, une
régle­men­ta­tion est pos­sible
et nous enten­dons l’obtenir.
Nous ne vou­lons plus des jour­nées de dix-huit heures qui vous
laissent anéan­ti, four­bu, dépri­mé au phy­sique et
au moral. Nous vou­lons faire admettre le droit au repos et le droit
aux loisirs…

Bien
des esprits rou­ti­niers nous objec­te­ront qu’une telle revendication
est inac­cep­table et inap­pli­cable au sys­tème agri­cole actuel,
que le tra­vail des champs ne peut être réglementé
à cause des intem­pé­ries et de la besogne pressante,
lors de la récolte et des semailles. Mais ces argu­ments, à
notre avis, sont erronés.

Dans
cer­taines contrées où la culture se fait exclusivement
par domes­tiques et ouvriers agri­coles et non par métayers et
fer­miers comme chez nous, la jour­née de tra­vail est bien déjà
limi­tée. Chez nous il peut en être de même.
Lorsque nous ne ferons que dix heures par jour, par exemple, nous
tra­vaille­rons avec beau­coup plus de cou­rage et d’éner­gie que
main­te­nant, car alors nous serons repo­sés, pleins de force, de
volon­té et capables de four­nir un effort conti­nu. Notre somme
de pro­duc­tion ne sera, certes, pas diminuée.

Et
si nous ne suf­fi­sons pas, mal­gré nos pré­vi­sions, à
faire tout le tra­vail pres­sant, nos patrons auront recours aux
nom­breuses machines agri­coles qui res­tent actuel­le­ment enfouies dans
les maga­sins indus­triels et aux bras de nos cama­rades partant
aujourd’­hui à la ville, les­quels res­te­ront aux champs alors
que notre situa­tion se sera améliorée.

De
ce fait, nous aurons beau­coup plus de loi­sirs que main­te­nant. Nous
les emploie­rons non pas à fré­quen­ter le caba­ret, comme
cer­tains le craignent, mais à par­faire notre ins­truc­tion, à
suivre le mou­ve­ment social en lisant de bons jour­naux et de bons
livres. Nous devien­drons peu à peu des hommes ins­truits et
bons, capables de régé­né­rer la société.

Aug­men­ta­tion
pro­gres­sive des gages.

Nous
ten­drons sans cesse vers l’aug­men­ta­tion gra­duelle de nos gages et
ferons en sorte que les petits por­chers et les ser­vantes soient mieux
rému­né­rés. Il nous semble qu’ac­tuel­le­ment la
somme de tra­vail que nous four­nis­sons n’est pas suffisamment
rétribuée.

Amé­lio­ra­tion
de la nourriture.

Nous
ne sommes pas bien nour­ris : du moins s’il est des endroits où
la nour­ri­ture est assez confor­table, il en est d’autres où
elle laisse tout à fait à dési­rer… Il ne nous
appar­tient pas d’é­ta­blir un menu quo­ti­dien, mais en principe
nous deman­dons d’être mieux nourris.

Nous
deman­dons aus­si une ration de vin chaque jour, aux deux principaux
repas.

Quand
on fait une grande dépense d’éner­gie phy­sique, un verre
de vin récon­forte. La potée au lard, la fricassée
de pommes de terre, les bei­gnets, le tour­ton, la galette sont des
ali­ments très lourds : un verre de vin en faci­li­te­rait à
la fois l’ab­sorp­tion et la diges­tion. Les vigne­rons du Midi crèvent
de misère avec leurs caves pleines ; nous, labou­reurs des
fortes terres, nous, pro­duc­teurs de blé, éle­veurs de
bétail, nous sommes pri­vés de ce pro­duit qu’ils ne
peuvent vendre et qui nous ferait du bien. Cela est contraire à
la plus élé­men­taire logique… Nous exi­geons du vin.

Amé­lio­ra­tion
du cou­chage ; chambres particulières.

Nous
exi­ge­rons aus­si que nos patrons se pro­curent le maté­riel de
lite­rie néces­saire pour que nous cou­chions seuls et non plus à
deux, comme c’est l’ha­bi­tude dans les fermes où il y a
plu­sieurs domes­tiques. Cela est contraire à l’hygiène
et à la pro­pre­té individuelle.

Nous
uni­rons ensuite nos efforts à ceux de nos patrons, les
métayers et les fer­miers exploi­tants, pour impo­ser aux
pro­prié­taires ter­riens la réfec­tion inté­grale de
toutes les habi­ta­tions ne rem­plis­sant pas les condi­tions d’hygiène
et de mora­li­té exi­gées par les besoins nou­veaux des
pro­duc­teurs agri­coles. Nous récla­me­rons une chambre comme
loge­ment indi­vi­duel, où nous pour­rons tra­vailler et nous
repo­ser libre­ment. Nous ne vou­lons plus être internés
dans le coin le plus sale de l’ha­bi­ta­tion et être
conti­nuel­le­ment déran­gés par les bruits de la ferme.

Nous
ne cher­chons point de ce fait à être désagréables
aux métayers, nos employeurs directs ; ce n’est point à
leur détri­ment que nous enten­dons être favorisés.
Nous croyons au contraire que nos exi­gences leur per­met­tant d’obtenir
des condi­tions d’ex­ploi­ta­tion meilleures, ils bénéficieront
aus­si des avan­tages quo­ti­diens que nous croyons devoir réclamer
et que leurs affaires n’en iront que mieux…

Voi­là
les amé­lio­ra­tions maté­rielles et morales réclamées
par les domes­tiques de ferme. Elles marquent une étape de leur
action et de leur pen­sée. Sont-elles exagérées
et irréa­li­sables ? Je ne le crois pas. Espé­rons et
sou­hai­tons que ces jeunes tra­vailleurs, parias de la classe agricole,
soient bien­tôt assez nom­breux au syn­di­cat, assez conscients,
assez réso­lus pour conqué­rir une vie nou­velle. Il leur
appar­tient de s’u­nir sans plus tar­der, de s’u­nir soli­de­ment pour une
action énergique.

A.
Dumont

La Presse Anarchiste