Clarens,
9 juillet 1890.
Mon cher Compagnon.
Chacun de nous a son caractère,
ses instincts naturels, son tempérament ; et, par
conséquent, la conduite de tous les jours doit varier avec les
individus. Pourvu que cette conduite soit toujours raisonnée
et sincère, et que, chez les anarchistes, elle soit inspirée
par la compréhension de la liberté personnelle et de la
solidarité entre camarades, il n’y a rien à dire.
Encore une fois : Fais ce que
veux. Aussi n’ai-je point de conseils à vous donner. À
chacun de faire ce qu’il trouve bien. Un tel a raison ; tel
autre a raison. Cela dépend des caractères.
L’individu dont les mains sont
liées n’agit pas de la même manière que celui
dont les mains sont libres. J’admire le gaillard qui n’a jamais
courbé l’échine, qui a toujours dit sa façon de
penser à haute voix, qui a toujours la main levée pour
frapper et dont la vie se passe en prison.
J’admire aussi l’homme
inébranlable qui ne parle jamais hors de propos, qui pèse
ses paroles pour leur donner toute leur valeur et qui les prononce
seulement quand il en espère un bon effet pour la propagande,
l’homme qui attend son jour pour combattre à bon escient, mais
dont rien au monde ne peut faire changer la force d’âme.
Que chacun agisse conformément
à sa nature et que de la diversité des efforts naisse
l’action commune. Pas de mot d’ordre. Que chacun soit à
lui-même son propre conseiller.
Travaillez de votre côté,
nous travaillerons du nôtre et l’œuvre finira bien par
aboutir.
Je vous prie, cher Compagnon, de
transmettre à vos amis révolutionnaires, les bonnes
salutations d’un camarade.
ELISÉE RECLUS.
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Tome
III de la Correspondance d’Elisée Reclus, page 82. ―
Chez Alfred Costes, éditeur.