La Presse Anarchiste

« Plus Loin »

 

Quand tout l’u­ni­vers est emporté
dans un tour­billon, et que toutes les par­ties de cet uni­vers sont en
per­pé­tuel chan­ge­ment, l’homme s’i­ma­gine être immuable.
Fixé pour un moment dans un équi­libre instable, il
croit à la soli­di­té et à la pérennité
de cet équi­libre. Il ne vit que pour le pré­sent, et il
trans­pose ce pré­sent dans l’a­ve­nir. Il n’as­siste même
pas à la trans­for­ma­tion conti­nuelle de sa psy­cho­lo­gie et de sa
morale. 

À cin­quante ans, il
s’é­tonne que les jeunes gens pensent autre­ment que lui ;
et il ne se sou­vient pas qu’il a pen­sé comme eux. Il n’imagine
pas non plus que les conven­tions où il vit puissent changer ;
ce sont des ins­ti­tu­tions sociales qui ne peuvent pas être
modi­fiées. Tout au plus, depuis un demi-siècle,
bous­cu­lé par les inven­tions qui se pré­ci­pitent depuis
cent ans, croit-il à un pro­grès tech­nique. Encore
pense-t-il que le moment où l’on est arri­vé est à
peu près le som­met des choses réalisables. 

Ce qui est extra­or­di­naire, c’est
le peu de curio­si­té des hommes. Ils n’ont de curiosité
qu’en­fant. L’é­du­ca­tion, sur­tout l’é­du­ca­tion familiale,
se charge de réfré­ner, d’an­ni­hi­ler cette curiosité,
et de don­ner à l’en­fant des habitudes. 

Adulte, il est déterminé
par ces habi­tudes, il est figé par la cou­tume. Il s’irrite
quand on le dérange de ses habi­tudes, il crie au sacrilège
quand on fait la cri­tique de la coutume. 

Ceux qui espèrent, qui
veulent un chan­ge­ment social, consti­tuent un par­ti, s’en­ferment dans
un dogme. Du coup, leur hori­zon est bor­né. Leur idéal
finit par n’être plus que le triomphe poli­tique du par­ti. Ils
glissent au fana­tisme. Ils créent de nou­velles cou­tumes qui
les enserrent au point de leur enle­ver tout pou­voir de critique. 

Nous vou­lons voir plus loin que le
moment pré­sent. Hors du dog­ma­tisme, hors du dogme révélé
et figé, nous regar­dons vers l’a­ve­nir. Sans solution
défi­ni­tive et, a prio­ri, nous cher­chons la vérité
d’abord. 

Nous sommes curieux, et de bonne
foi. Nous sommes aus­si sen­sibles. Nous ne consi­dé­rons pas les
hommes comme les bio­lo­gistes consi­dèrent les cobayes dans un
labo­ra­toire. Nous avons un idéal, idéal qui n’a jamais
man­qué à l’hu­ma­ni­té, et, vers lequel, en
tâton­nant, elle s’achemine. 

Nous ne fai­sons pas table rase des
tâton­ne­ments du pas­sé, de l’ex­pé­rience acquise,
des idées venues de l’ob­ser­va­tion sans par­ti pris. Nous
n’hé­si­tons pas à uti­li­ser le tra­vail des observateurs,
des cri­tiques, des idéa­listes, des uto­pistes ; les plus
grandes har­diesses de pen­sée, les hypo­thèses les plus
osées sont néces­saires au pro­grès. Dans les
articles qui paraî­tront ici même, le lec­teur ver­ra ce que
nous consi­dé­rons comme acquis, ce que nous met­tons en doute et
où nous venions aller.

La Presse Anarchiste