La Presse Anarchiste

Quelques aspects de la psychologie ouvrière

 

Voi­ci un bon demi siècle
qu’on fait en Europe de la pro­pa­gande socia­liste, et cela par moments
dans des pro­por­tions impo­santes. Si les diverses doctrines :
col­lec­ti­vistes, com­mu­nistes ou anar­chistes, ont été au
début assez mêlées et confuses, il y a bien
qua­rante ans pour­tant que des tra­vailleurs manuels en grand nombre en
ont enten­du par­ler. Depuis 1900 envi­ron, le pro­lé­ta­riat s’est
en outre agré­gé, en par­tis, syn­di­cats ou coopératives,
de telle sorte que la majo­ri­té des ouvriers peut certainement
être consi­dé­rée à l’heure qu’il est comme
ayant des aspi­ra­tions socia­listes de l’une ou de l’autre espèce.
Dans quelle mesure les nou­velles concep­tions poli­tiques et sociales
influencent-elles la men­ta­li­té ouvrière ? Et jusqu’à
quel point, dans sa vie de tous les jours, l’ou­vrier, le com­mun des
ouvriers, mani­feste-t-il des ten­dances socialistes ? 

Obser­vons le tra­vailleur à
l’a­te­lier, là où il passe une par­tie notable de son
exis­tence, la par­tie la plus impor­tante, pour­rait-on dire, au point
de vue acti­vi­té, et par consé­quent vital. Malgré
cer­taines appa­rences, il est clair que l’ou­vrier aime le technicien
capable, l’in­gé­nieur qui connaît à fond le
métier, qui est apte à lui en remon­trer dans sa
spé­cia­li­té même. L’au­to­ri­té que confère
le savoir, jointe natu­rel­le­ment à des gestes humains, excite
l’ad­mi­ra­tion des manuels, et l’on est recon­nais­sant au maître
tech­nique, patron ou supé­rieur, de direc­tions sûres,
nettes. Le triomphe des mathé­ma­tiques n’a pas de plus fervent
pro­ta­go­niste que l’ou­vrier. Par contre, le chef bluf­feur, le
déma­gogue de l’in­dus­trie ou du com­merce, types aus­si fréquents
dans l’é­co­no­mie d’un pays que dans la poli­tique, irritent fort
le sala­rié. Celui-ci déteste les ordres sui­vis de
contre-ordres, il méprise le blanc-bec frais émou­lu des
écoles supé­rieures ou d’un bureau de des­sin et qui ne
connaît rien à la matière, il cri­tique amèrement
l’ar­chi­tecte igno­rant, il se gausse du sur­veillant qui n’est pas de
la par­tie ; et les pré­ten­tions de ces inca­pables variés
ont bien­tôt une influence assez sérieuse sur les
pro­duc­teurs, si elles per­sistent à s’im­po­ser ; démoralisation
d’un côté au point de vue tra­vail, hostilité
géné­ra­li­sée à toute la classe nantie,
d’autre part. On n’a pas idée com­bien les capacités
tech­niques en imposent au pro­lé­ta­riat, et com­bien aus­si les
hési­ta­tions, les erreurs, l’in­cu­rie ou la sot­tise des
diri­geants font naître de ran­cœur dans le cœur des ouvriers. 

De
même, et dans toutes les pro­fes­sions, on a par­mi les
pétris­seurs de matière, une vraie admi­ra­tion pour le
fort du métier, pour l’ou­vrier développé,
culti­vé, deve­nu une sorte d’ar­ti­san. Et l’on admet
par­fai­te­ment que cet ouvrier qua­li­fié soit payé
davan­tage que vous, quoi­qu’on trouve volon­tiers que les occupations
les plus pénibles soient les moins rétribuées.
Sans doute, il est des doc­tri­naires, rares d’ailleurs, qui réclament
dans une coopé­ra­tive un même salaire pour le gérant
aux res­pon­sa­bi­li­tés, mul­tiples et pour la petite ven­deuse ou
le char­re­tier ; jamais on n’a pu don­ner suite bien long­temps à
de telles pro­po­si­tions ; la pra­tique montre que l’habileté
admi­nis­tra­tive ou manuelle s’é­mousse si une récompense
posi­tive n’in­ter­vient pas, et cette perte d’i­ni­tia­tive pour une
entre­prise est beau­coup plus coû­teuse qu’un sur­plus de salaire.
Les ouvriers en leur géné­ra­li­té acceptent une
hié­rar­chie des salaires cor­res­pon­dante à une hiérarchie
des valeurs. Je rap­pelle que notre grand Prou­dhon, dans son ouvrage
sur la Capa­ci­té poli­tique des classes ouvrières,
dis­cute lon­gue­ment cette ques­tion et déclare que les droits de
la force, du talent, du carac­tère même, aus­si bien que
ceux du tra­vail, seront ména­gés, et que « si la
jus­tice ne fait aucune accep­tion des per­sonnes, elle ne méconnaît
non plus aucune capa­ci­té ». Certes, Prou­dhon, par ses
remarques mer­veilleuses éta­blit qu’il y a ain­si des
dif­fé­rences entre les tra­vailleurs, des extrêmes et une
moyenne de capa­ci­tés pro­duc­tives, mais il montre que l’écart
des extrêmes est assez faible, et les hommes qui réunissent
entre eux la force de deux ou trois hommes moyens sont déjà
des her­cules, des excep­tions. Dès lors, la rétribution
qu’ils méritent ne sau­rait être deux ou trois fois plus
grande que celle du com­mun des mor­tels. En somme, et c’est la
conclu­sion de nos tra­vailleurs contem­po­rains éga­le­ment, s’il y
a des dif­fé­rences de gain, celles-ci doivent s’établir
dans des limites assez étroites. Il n’est sur­tout pas question
de faire entrer en ligne de compte des consi­dé­ra­tions de
titres, de rangs, de pré­séance, de distinctions
hono­ri­fiques, de célé­bri­té, en un mot des
valeurs d’o­pi­nion. L’u­ti­li­té seule du pro­duit, sa qualité,
le tra­vail men­tal ou manuel, et les frais d’ex­ploi­ta­tion déterminent
la mora­li­té indus­trielle, un barème des rétributions.
Autre­ment dit, on y sent la pos­si­bi­li­té d’un prin­cipe de
justice. 

Il y a quelques années, les
divers éche­lons de la pro­fes­sion étaient généralement
plus écar­tés. Qui ne se sou­vient des antagonismes
graves qui dres­saient par moments typo­graphes et auxi­liaires du
livre ? Met­teur en page, lino­ty­piste, tra­vailleur en conscience,
leveur de lignes, ouvrier aux pièces, mar­geur, machiniste,
plieuse, por­teur, appren­ti, gar­çon de courses s’écrasaient,
par degrés dans le même ate­lier, de leur soi-disant
supé­rio­ri­té, se croyant plus malins que ceux de l’autre
caté­go­rie. C’é­tait encore le mépris du plus
pauvre qui régnait dans la classe ouvrière. On en juge
un peu autre­ment, semble-t-il, à l’heure qu’il est, et c’est
pro­ba­ble­ment la néces­si­té de se syn­di­quer pour obtenir
de meilleures condi­tions de tra­vail qui a ame­né une sorte de
tolé­rance pro­fes­sion­nelle et peut-être même
quelque solidarité. 

À côté de
l’as­so­cia­tion pour la lutte, on ne pour­ra pro­ba­ble­ment jamais
empê­cher cer­tains phé­no­mènes de lutte pour la
vie, impor­tants et constants, qui se mani­festent dans les sociétés.
Je veux par­ler de l’as­cen­sion à la direc­tion des masses de
nom­breuses uni­tés venant du peuple et particulièrement
des classes rurales. D’ex­cel­lents tra­vailleurs, et c’est visible,
dirai-je, pour beau­coup de mili­tants, visent à aban­don­ner la
fonc­tion pénible du sala­rié pour prendre une
occu­pa­tion, d’ad­mi­nis­tra­teur, de contre­maître, de petit patron,
quel­que­fois pénible aus­si. Les aspi­ra­tions vers une occupation
répu­tée plus bour­geoise se mani­festent par­fois presque
avec âpre­té. Et si, soi-même, on ne réussit
pas à se caser, on fait effort pour déga­ger son fils.
Il y a là ce que l’é­co­no­miste Pare­to appe­lait la
« cir­cu­la­tion des élites » dont les causes sont
mul­tiples et encore assez obs­cures ; mais c’est un phénomène
cer­tain, consa­crant une déca­dence plus ou moins lente des
familles régnantes et l’ar­ri­vée de nou­velles couches
sociales. Cette cir­cu­la­tion est faci­li­tée déjà
par le fait que les riches ont peu d’en­fants tan­dis que le
pro­lé­ta­riat doit, à tout prix, pla­cer la progéniture
nom­breuse encore qui a échap­pé aux mau­vaises maladies
infan­tiles et à la misère, pla­ce­ment qu’il arrive à
faire quel­que­fois assez bien, sur­tout si l’on consi­dère la
fré­né­sie d’ar­ri­ver des pay­sans. La ten­dance de maints
ouvriers à quit­ter l’é­ta­bli pour entrer dans une
fonc­tion qui est la carac­té­ris­tique des diri­geants, qu’il
s’a­gisse du com­merce, de l’in­dus­trie, de la poli­tique ou de
l’ad­mi­nis­tra­tion, est cer­tai­ne­ment un gros obs­tacle à
l’é­ta­blis­se­ment même d’un régime mar­xiste, car
sou­vent il s’a­git d’êtres intel­li­gents, clair­voyants, ayant de
la volon­té, de l’i­ni­tia­tive, et qui, dès lors, sont
irré­mé­dia­ble­ment per­dus pour le par­ti- — je ne dis
pas pour le travail. 

Pour en reve­nir à la vie de
chan­tier ou d’a­te­lier, notons la méfiance particulière
avec laquelle, en pro­vince sur­tout, on accueille le nou­vel embauché.
Va-t-il être un com­pa­gnon agréable, intri­gue­ra-t-il pour
vous sup­plan­ter, est-ce un krou­mir, un jaune, un mou­chard ? Il y a de
l’in­quié­tude, que l’in­sé­cu­ri­té des situations
n’ex­plique que trop. Il faut ajou­ter que la prise de contact éclaire
assez rapi­de­ment les ouvriers sur l’at­ti­tude que va prendre l’autre,
et c’est alors la cama­ra­de­rie ou bien le boy­cot­tage. Boy­cot­tage, en
par­ti­cu­lier, contre l’in­di­vi­du qui pro­fite des conquêtes
syn­di­cales, et s’en va sans vou­loir s’or­ga­ni­ser ; la guerre se
pour­suit alors jus­qu’à la mise à l’in­dex de la maison
qui emploie un tel égoïste, et assez sou­vent on arrive à
le réduire à com­po­si­tion, la plu­part des patrons des
villes ne se sou­ciant pas d’a­voir des his­toires pour un individu.
Quelles que soient les opi­nions qu’on pro­fesse, on relève donc
là des réac­tions humaines générales ;
c’est en somme la ques­tion de pain qui guide avant tout les hommes.
Com­bien n’est-ce pas légi­time lors­qu’il s’a­git de classes
pauvres ! 

Tout en ren­dant hom­mage à
l’ou­vrier qua­li­fié, sur­tout celui-ci est bon type avec
l’é­quipe moins douée, on par­tage très
géné­ra­le­ment ce point de vue, dans les lieux de
tra­vail, qu’à éga­li­té de salaire tout au moins,
l’ha­bile ne doit pas trop en abattre pour ne pas désavantager
le faible ; on prise peu le zélé qui ne fait profiter
que le patron, au risque de com­pro­mettre la consi­dé­ra­tion pour
le gros tas. Sen­ti­ment de soli­da­ri­té, qui peut à la
rigueur déri­ver de cette men­ta­li­té qui consiste à
en faire le moins pos­sible, mais qui beau­coup plus sûrement
relève d’une idée d’équité, car on peut
être faible de san­té, pauvre de capacités
pro­fes­sion­nelles, et cepen­dant être de bonne foi et avoir une
famille qui réclame un salaire conve­nable pour sub­sis­ter, ou
sim­ple­ment avoir tout autant de besoins à satis­faire que le
céli­ba­taire pri­vi­lé­gié par la nature. 

Les gas­pillages dans les diverses
entre­prises sont fré­quents. N’est-ce pas notre ami Pier­rot qui
a fait cette obser­va­tion très juste que l’u­ti­li­té du
patron peut, dans cer­tains cas, n’être que celle d’un individu
qui empêche les gas­pillages ? C’est ce qui arrive chez les
petits maîtres d’é­tat. Dans les grandes entreprises,
vous avez le contre­maître, le chef de rayon ou d’autres
employés qui s’é­ver­tuent à dimi­nuer les faux
frais. Mais qu’en est-il dans les Com­pa­gnies de che­mins de fer, dans
les ser­vices d’É­tat en par­ti­cu­lier, dans moult fabriques et
com­merces ? Or, les gas­pillages indignent beau­coup de travailleurs.
Ils trouvent là un des défauts capi­taux de
l’or­ga­ni­sa­tion actuelle du tra­vail, défauts des plus sensibles
quand l’en­tre­prise dépend d’une Socié­té anonyme
pré­oc­cu­pée d’o­pé­ra­tions finan­cières et
non tech­niques. Ils déclarent alors constam­ment qu’on aurait
pu faire ceci, qu’il fal­lait faire cela ; et qu’ain­si la pro­duc­tion y
gagne­rait, et l’ordre éga­le­ment. Ils n’ont, hélas que
trop sou­vent rai­son, et cette pré­oc­cu­pa­tion de ne pas
dila­pi­der bête­ment des richesses montre des sou­cis de gestion
dont les direc­tions intel­li­gentes devraient savoir pro­fi­ter. Les
tra­vailleurs ne demandent qu’à par­ti­ci­per au sort des
entre­prises ; leurs pré­ten­tions à cet égard sont
modestes, elles ne dépassent pas habi­tuel­le­ment l’ho­ri­zon de
leur acti­vi­té jour­na­lière, mais elles sont réelles,
tenaces. C’est de la vision des évé­ne­ments que de
telles idées naissent ; c’est encore un sen­ti­ment de justice
qu’on peut voir là, à tout le moins un besoin de
s’af­fir­mer comme le peuvent faire les maîtres, un désir
de par­ta­ger des res­pon­sa­bi­li­tés, désir qui est le fait
de tout indi­vi­du qui se sent vivre. Les Conseils d’a­te­lier, que la
plu­part des tra­vailleurs pré­co­nisent, peuvent évidemment,
com­prendre leur rôle très dif­fé­rem­ment. La
par­ti­ci­pa­tion ouvrière à la ges­tion de la main‑d’œuvre
se résou­dra en un simple contrôle, ayant pour but, comme
aux Tram­ways lau­san­nois par exemple, de sur­veiller l’ap­pli­ca­tion des
règles de tra­vail et de dis­ci­pline admises entre le syndicat
et la Com­pa­gnie ; ou bien les délé­gués forment un
Conseil d’en­tre­prise grâce auquel direc­teur, techniciens,
ouvriers, com­mis, par­ti­cipent véri­ta­ble­ment à la
ges­tion de l’in­dus­trie ou du com­merce — phase d’a­ve­nir que les
tra­vailleurs rap­pro­che­ront d’au­tant plus sûre­ment qu’ils seront
plus capables tech­ni­que­ment. Si j’en crois des employés des
Che­mins de fer fédé­raux suisses, leur direction
com­pren­drait main­te­nant beau­coup mieux qu’au­tre­fois les bonnes
volon­tés ouvrières pour aider à l’exploitation
dili­gente du réseau, et il arrive que par-ci par-là,
déjà on recoure à des conseils ouvriers, alors
que l’an­cienne morgue aris­to­cra­tique a empê­ché longtemps
toute com­mu­nau­té pro­fes­sion­nelle. Quoi qu’il en soit, les
vel­léi­tés de ges­tion des pro­duc­teurs se précisent
sans aucun doute, et par là on aper­çoit une conquête
tra­vailliste incontestable. 

Une autre avance à laquelle
la grosse masse des ouvriers tient, et qu’elle assure avec
conti­nui­té, c’est celle de la puis­sance cor­po­ra­tive sur le
ter­rain même du tra­vail. Le nombre aug­mente des patrons qui
pré­fèrent avoir affai­rer au Syn­di­cat plu­tôt que
de pas­ser par les contrats indi­vi­duels. On sait ain­si où l’on
en est, il y a une règle du jeu éten­due à la
col­lec­ti­vi­té pro­duc­trice ; dès lors, moins de
dis­cus­sions en temps de paix, avec le per­son­nel employé, et
moins d’ar­bi­traire dans les devis et sou­mis­sions présentés
aux clients. Au point de vue de l’hy­giène de l’a­te­lier, les
contrats col­lec­tifs ont sanc­tion­né cer­taines améliorations.
Ces évé­ne­ments sont enre­gis­trés déjà
par le Bureau inter­na­tio­nal du Tra­vail, puisqu’à la
cin­quième confé­rence de Genève, en octobre 1923,
dans une assem­blée à carac­tère offi­ciel, où
les repré­sen­tants des gou­ver­ne­ments étaient la majorité
et où il y avait autant de délégués
patro­naux que de délé­gués ouvriers, on a
consi­dé­ré comme essen­tiel : qu’en vue d’as­su­rer une
coopé­ra­tion entière des employeurs et des travailleurs
et de leurs orga­ni­sa­tions res­pec­tives, il est dési­rable que
l’ins­pec­tion du tra­vail consulte de temps à autre les
repré­sen­tants des orga­ni­sa­tions et d’employeurs et de
tra­vailleurs sur les meilleures dis­po­si­tions à prendre à
cet effet. C’est s’a­che­mi­ner, dou­ce­ment certes, mais en vérité,
vers une col­la­bo­ra­tion de toutes les forces pro­duc­tives, des diverses
com­pé­tences tech­niques, des valeurs sociales réelles. 

Il est de fait que les salariés
d’u­sine ne se font pas faute d’améliorer par des trucs de
métier et de petites inven­tions la marche de leur industrie.
Beau­coup d’entre eux disent, à l’ins­tar de l’an­cien secrétaire
de la Confé­dé­ra­tion Géné­rale du Travail,
Gri­fuelhes, qu’il est bon que les syn­di­qués s’intéressent
au maté­riel d’ex­ploi­ta­tion, le soignent et le perfectionnent,
car il serait sot de se pré­pa­rer du capi­ta­lisme un héritage
dépré­cié, inuti­li­sable. On peut dire dans le
même ordre d’i­dées, que les ten­ta­tives de sabo­tages ne
sont guère pri­sées par­mi nos ouvriers contem­po­rains. La
plu­part répugnent à don­ner des coups de mar­teau à
une belle loco­mo­tive, ils ne sau­raient se résoudre à
salir des pein­tures neuves, pas plus qu’un méde­cin normal
n’en­tre­tien­dra la mala­die de son patient de pro­pos délibéré.
Que quelques esprits aigris ou dévoyés gâchent le
tra­vail par sys­tème, cela se peut. Disons plu­tôt que la
mal­fa­çon par paresse, non­cha­lance, cupidité,
indif­fé­rence, est peut-être un phénomène
assez fré­quent, qu’on retrouve d’ailleurs autant dans les
pro­fes­sions libé­rales que chez des fonc­tion­naires, et chez les
diri­geants comme par­mi les manœuvres. La mau­vaise volonté
n’in­ter­vient que par excep­tion. Le sabo­tage est davan­tage un dérivé
du négoce que de la pro­duc­tion, par défi­ni­tion et en
fait. Il me sou­vient même de la grève générale
de Suisse, en 1918, où les employés de che­min de fer,
tous gré­vistes, s’é­taient arran­gés pour faire
cir­cu­ler les trains de mar­chan­dises péris­sables. Où la
morale ouvrière manque davan­tage de net­te­té, c’est dans
cette sorte de com­pli­ci­té qu’on trouve par exemple chez
cer­tains sala­riés, appar­te­nant à l’a­li­men­ta­tion, qui ne
refusent pas, sous les ordres de patrons mal­hon­nêtes, de
fal­si­fier des den­rées, d’in­cor­po­rer dans les sau­cisses des
viandes de moindre qua­li­té, d’al­té­rer des lai­tages, et
ain­si de suite. Il est com­pré­hen­sible qu’on cherche à
gar­der sa place, mais est-il admis­sible de le cher­cher à tout
prix ? Et si per­son­nel­le­ment on se sent trop faible pour réagir,
les orga­ni­sa­tions ouvrières ne devraient-elles pas exi­ger le
label chaque fois que c’est indiqué ? 

Les tra­vailleurs, comme
col­lec­ti­vi­té, s’oc­cupent fort peu, à l’heure qu’il est,
de la géné­ra­tion de demain, des appren­tis en
par­ti­cu­lier. Le com­pa­gnon­nage a pu tenir de longues années,
autant parce qu’il avait en mains le mar­ché du tra­vail, le
pla­ce­ment de ses adhé­rents, que la for­ma­tion des jeunes, les
écoles de trait. Il y a à cet égard plutôt
recul au point de vue de l’é­man­ci­pa­tion prolétarienne,
qu’a­vance socia­liste. Il n’est guère de lien sur les
chan­tiers, entre les tout jeunes et leurs aînés. Cette
conti­nui­té entre les géné­ra­tions qui rend
défi­ni­tives les conquêtes déjà acquises,
cette soli­da­ri­té entre l’é­cole et l’a­te­lier qui dénote
des habi­tudes de réflexion, tout cela ne s’im­pose pas à
notre vue. Je veux croire qu’on a été au plus pressé,
et que la lutte pour la jour­née de huit heures a fait mettre
de côté cer­taines ques­tions d’or­ga­ni­sa­tion même du
tra­vail. Mais il n’en a pas été tou­jours ain­si, et le
pas­sé peut nous faire admettre que la classe ouvrière
n’est pas sans capa­ci­tés péda­go­giques, bien loin de là.

Je me rap­pelle, entre autres, qu’à
Lau­sanne les cours de per­fec­tion­ne­ment tech­nique pour appren­tis ont
été ouverts par des fer­blan­tiers. Émus de
l’in­dif­fé­rence patro­nale à l’é­gard des
appren­tis, trois ou quatre ouvriers d’at­taque, membres du syndicat,
avaient déci­dé de don­ner des leçons de dessin
géo­mé­trique, de coupe, de sou­dure, à quelques
jeunes gens ; ils louèrent un petit local, les frais du cours
furent payés de leurs deniers com­muns. Si les appren­tis se
fai­saient attendre, on allait les prendre à la sor­tie de
l’a­te­lier ou chez eux, et on les menait, non à la « pinte »,
mais aux cours pro­fes­sion­nels qu’on avait à cœur de faire
régu­liè­re­ment et qui devaient don­ner de bons résultats.
Peu à peu, les jeunes gens, entraî­nés par ces
aînés vaillants et sérieux, acquirent de solides
connais­sances dans leur métier, et tous devinrent de braves
cama­rades s’es­ti­mant mutuel­le­ment, for­mant un bloc soli­daire. Si bien
que lors­qu’on annon­ça l’Ex­po­si­tion can­to­nale vau­doise de 1898
à Vevey, les par­ti­ci­pants du cours pro­fes­sion­nel des
fer­blan­tiers mirent les objets et les des­sins sur un char, ils
traî­nèrent celui-ci eux-mêmes de Lau­sanne à
Vevey, où ils, mon­tèrent un pavillon. Ce fut une
joyeuse par­tie que la tra­ver­sée des vil­lages ; et, pour le
public, l’Ex­po­si­tion fut une révé­la­tion. On s’étonna
de la méthode des ouvriers fer­blan­tiers. D’autres syndicats,
les menui­siers, les tapis­siers, les relieurs, les ser­ru­riers, les
char­pen­tiers, orga­ni­sèrent à leur tour des cours du
soir. La Socié­té indus­trielle et com­mer­ciale, composée
de patrons et de com­mer­çants de la ville, offrit alors des
locaux. Les ouvriers eurent la fai­blesse d’ac­cep­ter, et un contrôle
extra-syn­di­cal s’exer­ça. Plus tard, la Com­mune de Lau­sanne et
l’É­tat de Vaud s’en mêlèrent ; qui donnèrent
des sub­sides et qui finirent par rendre ces cours obli­ga­toires, les
syn­di­cats n’ayant plus guère que le droit de nom­mer les
maîtres tech­niques, et encore pas toujours.

Ce qui s’est pas­sé à
Lau­sanne, a eu lieu ailleurs ; presque par­tout les cours
pro­fes­sion­nels sont deve­nus des ins­ti­tu­tions en grande partie
offi­cielles, et il arrive qu’a­près en avoir pris l’initiative,
les ouvriers n’ont plus rien à dire. Et ils ne bronchent pas.
Et cepen­dant l’homme, même le plus scep­tique et le plus
dépra­vé, garde dans le cœur quelque res­pect pour
l’en­fant, il sou­haite l’en­fant fort, meilleur et plus libre que lui.
Certes, ces sen­ti­ments ; pour ame­ner un pro­grès social, doivent
dépas­ser l’in­di­vi­du défi­ni et deve­nir des sympathies
col­lec­tives, à carac­tère ano­nyme. Si chaque ouvrier
dans son coin a bien de pareilles sym­pa­thies, mal­heu­reu­se­ment dans
les grou­pe­ments syn­di­caux elles ne fleu­rissent pas. Or, il est
cer­tain que tant que les orga­ni­sa­tions ouvrières ne
s’oc­cu­pe­ront pas d’une façon soi­gnée et désintéressée
de la pré­pa­ra­tion de l’hu­ma­ni­té de demain, leurs
efforts d’é­man­ci­pa­tion man­que­ront de suite, res­te­ront à
peu près stériles.

Qu’en est-il des préoccupations
des tra­vailleurs sur le lieu même du tra­vail ? Ils sont à
leur affaire, tout sim­ple­ment. On n’y dis­cute pas volon­tiers, sauf
aux approches des grands votes ou élec­tions. Une dis­ci­pline à
peu près conti­nue n’est pas pour déplaire aux ouvriers,
au contraire, ils en sentent la néces­si­té, sous peine
de cou­lage et ruine. — La cou­tume tolère, qu’on puisse
chi­per cer­tains petits déchets, mais non cou­per dans les
pièces ; on peut, par-ci par-là, bri­co­ler pour son
propre compte ou empor­ter un peu de maté­riel, à
condi­tion que ce soit dans un but d’u­sage per­son­nel et sans autre
pro­fit. Il n’est pas séant de mon­nayer ces petites privautés,
cela devien­drait du vol. Ce qu’il y a de curieux, c’est que les
patrons connaissent ces mœurs et ferment un œil à ce sujet.
Dans cer­taines pro­fes­sions, il existe d’ailleurs un droit d’usage
recon­nu ; ain­si les employés de tram­ways ne paient pas
géné­ra­le­ment les courses qu’ils peuvent faire ; les
che­mi­nots, s’ils laissent une rede­vance, ne couvrent pour­tant pas la
tota­li­té des dépenses qu’ils occa­sionnent à la
Com­pa­gnie en voya­geant. — Autre chose. Celui qui vole quoi que ce
soit dans la poche d’un com­pa­gnon de tra­vail est par contre tout à
fait mal vu. C’est la mise à l’in­dex dans toute sa rigueur. La
confiance doit pou­voir exis­ter dans la com­mu­nau­té de travail.
On com­prend qu’elle soit jugée indis­pen­sable. — Le respect
est aus­si constant pour l’ef­fort fait dans le sens de la production.
Il s’a­git de s’é­car­ter pour lais­ser pas­ser le coltineur
char­gé, on fera place sur un siège bien plu­tôt à
un tra­vailleur fati­gué qu’à une jeune dame. — Y
a‑t-il une chi­cane au chan­tier ou à l’u­sine, on ne doit pas
appe­ler la police pour y mettre fin. Il faut savoir régler les
ques­tions entre copains.

Si d’autre part, on est assez
indif­fé­rent vis-à-vis de l’al­coo­lisme, il y a là
éga­le­ment une limite que les ouvriers n’aiment pas voir
dépas­ser. On méprise le poi­vrot, l’al­coo­lique qui
oublie sa famille et déclare « que mes enfants se tirent
d’af­faire eux-mêmes ». Dans les syn­di­cats, tout
par­ti­cu­liè­re­ment, on manque de véné­ra­tion envers
les buveurs, on sait qu’on ne peut comp­ter sur eux ; au contraire, les
indi­vi­dus sobres, même abs­ti­nents, ins­pirent un vrai prestige,
sur­tout s’ils sont dévoués à la cause commune.
D’ailleurs, de lui-même l’al­coo­lisme des ouvriers a fortement
dimi­nué par le fait que les jeunes ont l’es­prit si souvent
tour­né vers les sports. Les spor­tifs ne boivent pas. Et si le
lun­di on est un peu flap­pi, cela vient de ce que l’on a pris part le
dimanche à des courses ou à des matches beau­coup plus
que parce qu’on est ren­tré ivre dans la soi­rée. Le « bon
lun­di » d’il y a qua­rante ans a tota­le­ment dis­pa­ru, et je pense
que si grands que soient les excès du sport dans certains
milieux popu­laires, ils sont tout de même un progrès
mar­qué, et dans le bon sens, sur les sta­tions inter­mi­nables au
café des ouvriers de la géné­ra­tion précédente.
Ajou­tons même au sport la manie du ciné­ma et de la
radio­té­lé­pho­nie, les jeunes gens ont quand même
plus de tenue que leurs pères. Il n’en est pas ain­si des
cam­pa­gnards qui se livrent à peu près tous à la
dis­til­la­tion — c’est deve­nu une mode par­tout — et risquent de
nou­veau par le bon mar­ché de la goutte qu’ils fabriquent de
nous alcoo­li­ser les pro­lé­taires des villes. Mou­ve­ment de
va-et-vient, gros de consé­quence, et dont la classe ouvrière
n’est point déga­gée définitivement.

Si l’ont regarde les salariés
dans leur famille, un cer­tain. nombre de consta­ta­tions générales
peuvent aus­si nous éclai­rer sur leur men­ta­li­té et sur
la réa­li­té. Il est vrai, ain­si que l’é­crit si
bien Pierre Hamp dans son magni­fique et émou­vant poème
au tra­vail inti­tu­lé Un nou­vel hon­neur, il est très
vrai que « l’homme et la femme jouent tout le charme de la vie
sur deux déci­sions : le métier, le mariage ». C’est
à rete­nir. Les ouvriers aiment leur famille ; c’est pour eux un
orga­nisme nor­mal, vital, envers et contre toutes les théories
de pha­lan­stère qu’ils peuvent avoir enten­dues et même
par­ta­gées. Ils s’oc­cupent presque tous de leurs enfants, de la
san­té de ces der­niers, de leur ins­truc­tion, de leur ave­nir et
répé­tons-le, c’est peut-être les enfants qui
sèment dans leur cœur ce qu’ils ont de meilleur. Il ne faut
pas leur par­ler de remettre leur pro­gé­ni­ture à des
ins­ti­tu­tions com­mu­nistes, la famille n’é­tant selon Mme
Kol­lon­taï qu’un relent de la bour­geoi­sie. Plus que petits
bour­geois, sous ce rap­port, ils ont tout sim­ple­ment, homme et femme,
le besoin ani­mal, c’est-à-dire un ins­tinct pro­fond, de
main­te­nir une cel­lule où l’élé­ment personnel
fait sor­tir de l’être des tré­sors de dévouement,
des bon­tés irrem­pla­çables. J’en ai vu, et des plus
avan­cés au point de vue poli­tique, qui considéraient
comme toqués ceux qui parlent de sup­pri­mer la famille. Que
tous s’ap­pliquent avec assi­dui­té à cette première
forme d’al­truisme qui est de soi­gner son petit monde familial,
n’al­lons pas le dire. L’hu­ma­ni­té, pauvre ou riche, est assez
lamen­table en ces choses. Mais les aspi­ra­tions à bien faire
sub­sistent. sans aucun doute. Il en est de même du désir
des ouvriers d’a­voir leur petite bicoque à eux, avec si
pos­sible un bout de ter­rain, pour plan­ter quelques choux et élever
des poules. Dans les petites villes, aux abords des moyennes, la
jour­née de, huit heures, grâce aux coopératives
de construc­tion, a exau­cé ces vœux des gens du peuple. Cela
per­met à l’ou­vrier d’être son maître une fois
sor­ti de l’u­sine — et qui ne cherche en ce monde à être
son maître ! — puis cela rat­tache sin­gu­liè­re­ment fort
la femme de l’ou­vrier à son inté­rieur. On se représente
dif­fi­ci­le­ment com­bien sont impé­rieuses ces ten­dances vers la
petite pro­prié­té par­ti­cu­lière que Prou­dhon avait
pré­vues, ce qui fai­sait rica­ner Karl Marx, bien à tort,
on le voit. Sans doute, dans les grandes villes, le problème
est loin d’être réso­lu et même posé, ce qui
sou­lève chez les pauvres pro­tes­ta­tions et dégoût.
Je pense cepen­dant que les tra­vailleurs pour­raient également
avoir leur inté­rieur bien à eux à côté
d’un jar­di­net, même à Paris, s’ils se met­taient en
socié­tés coopé­ra­tives pour faire construire ces
bâtisses sug­gé­rées entre autres par l’architecte
très moderne Jean­ne­ret (Le Cor­bu­sier-Sau­nier). Il s’a­git de
construc­tions mou­lées, par consé­quent bon marché,
très grandes et très hautes, avec jar­din à
chaque étage à côté de chaque appartement,
le tout bien ajou­ré et aéré ; esthétique
qui peut être fort réus­sie, si elle dérive de la
tech­nique rigou­reuse des ingé­nieurs et d’un art aux lignes
simples har­mo­ni­sant maté­riaux et volumes. 

On dit qu’une Société
est civi­li­sée en pro­por­tion de ses œuvres de prévoyance.
Sous ce rap­port, les orga­ni­sa­tions ouvrières ont toutes établi
un sys­tème de Mutua­li­té sur lequel le prolétariat
compte. Caisse de mala­die et de chô­mage sur­tout, fonc­tion­nant à
peu près par­tout et ne sont pas dis­cu­tées. Les
cri­tiques de quelques révo­lu­tion­naires qui déclaraient
que toute ins­ti­tu­tion d’as­su­rance est un replâ­trage de la
Socié­té capi­ta­liste fai­sant per­du­rer celle-ci, ont
glis­sé sur les syn­di­qués comme la pluie sur le dos d’un
élé­phant. On croît à ce qu’on a, à
ce qu’on fait, plus qu’aux avan­tages futurs de la révolution,
telle est la réponse de fait des ouvriers aux doc­trines de
toutes espèces. Une période révolutionnaire,
impor­tante même, ne change que momen­ta­né­ment ce trait
intérieur.

Que conclure ? La cou­tume, la
morale des tra­vailleurs se dégagent essen­tiel­le­ment des gestes
qu’ils sont appe­lés à faire, et leur vie est avant tout
influen­cée par la besogne quo­ti­dienne où il faut mettre
 — au début tout au moins, jus­qu’à ce qu’on soit formé
 — de la conscience, de l’at­ten­tion, de l’ap­pli­ca­tion. Il y a donc
une civi­li­sa­tion en marche déri­vée de la pro­duc­tion, et
guère de sys­tèmes sociaux. Ce n’est pas nier
l’im­por­tance de l’i­dée que d’af­fir­mer l’im­por­tance de la
fonc­tion, car la trou­vaille tech­nique, la pen­sée mathématique,
l’in­tel­li­gence orga­ni­sa­trice, la connais­sance psy­cho­lo­gique se
résolvent en appli­ca­tions pré­ci­sé­ment dans le
domaine de la pro­duc­tion et de l’é­change. Ce qui nous a fait
illu­sion c’est la valeur des plans d’a­ve­nir sans base vraiment
réa­liste, l’im­por­tance des par­tis. On ne vit pas de doctrines,
mais par habi­tudes et besoins, tout au moins dans la presque totalité
des occa­sions. Où l’u­ti­li­té des rêveurs
inter­vient, c’est pour uni­fier les aspi­ra­tions de ceux qui peinent,
c’est lors­qu’ils bous­culent har­di­ment les pré­ju­gés et
ache­minent les peuples. dans des cou­rants de tolé­rance et de
fra­ter­ni­té, pour employer des termes chers à Anatole
France.

L’a­te­lier, la famille, le
syn­di­cat, la coopé­ra­tive influencent la mentalité
ouvrière, sur­tout l’a­te­lier, à un tel point qu’à
tra­vers ces milieux seule­ment on peut entre­voir les linéaments
d’une civi­li­sa­tion réno­vée et les éléments
d’une morale des pro­duc­teurs ; la seule pos­sible du moment qu’on
aban­donne les concep­tions des reli­gions révélées.
Certes, le socia­lisme a influé sur la men­ta­li­té des
ouvriers, parce que d’a­bord il est rem­pli d’i­dées de justice ;
puis ce mou­ve­ment les a agré­gés pour leur faire obtenir
cer­taines amé­lio­ra­tions d’ordre moral et matériel,
amé­lio­ra­tions qui ne sont d’ailleurs pas plus spécifiquement
socia­listes qu’elles ne sont au fond sincèrement
répu­bli­caines. Et remar­quons que ce qui a comp­té dans
l’a­gi­ta­tion socia­liste, c’est ce qui se déga­geait du domaine
du tra­vail ; la jour­née de huit heures, l’hy­giène de
l’a­te­lier, le déve­lop­pe­ment syn­di­cal, les ten­ta­tives de
Conseils d’en­tre­prises, les coopé­ra­tives de pro­duc­tion et de
consom­ma­tion. Le socia­lisme, en d’autres termes, a réus­si en
rap­port direct des valeurs qu’il a su extraire de l’économie,
plus exac­te­ment de la production.

Hié­rar­chie par les
capa­ci­tés manuelles et intel­lec­tuelles, soli­da­ri­té de
classe qu’on pour­rait appe­ler sou­vent solidarité
pro­fes­sion­nelle, facul­té d’être chez soi, libre, après
le tra­vail de l’u­sine ; inté­gri­té de la famille, égalité
rela­tive dans des limites assez étroites quant aux gains,
hon­nê­te­té défi­nie sur et par le tra­vail, entente
dési­rée entre tech­ni­ciens et ouvriers, et même
sur­veillée par l’É­tat, œuvres de prévoyance,
tels sont autant de prin­cipes vitaux aux­quels tient mor­di­cus le monde
des tra­vailleurs de nos jours, que cela plaise à qui­conque ou
pas. C’est par l’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail que la civi­li­sa­tion se
dirige vers un droit nouveau.

Jean Wintsch, Lau­sanne, 5 janvier
1925.

La Presse Anarchiste