La Presse Anarchiste

Buissons typographiques

On
a dit un peu par­tout que la poé­sie, après la faveur
dont elle béné­fi­cia entre 1940 et 1944, est redevenue
l’affaire de quelques-uns. Ou bien encore qu’il n’est plus que
les poètes pour lire les poètes. Assu­ré­ment, en
effet, la poé­sie n’a aujourd’hui que fort peu de lecteurs
[[Mais la situa­tion n’est pas nou­velle. Vers 1860, Lemerre,
l’éditeur des Par­nas­siens, avouait « qu’un volume de
poèmes quand on en vend par an soixante exem­plaires, c’est
une bonne vente ». Et l’on se sou­vient de la vio­lente formule
de Bau­de­laire (extraite d’une lettre à Ancelle de février
1866): « Vous avez été assez enfant pour oublier
que la France a hor­reur de la poé­sie, de la vrai poésie ;
quelle n’aime que les sali­gauds, comme Béran­ger et de
Mus­set » (a).

(a). Oui, depuis Bau­de­laire, il est deve­nu de bon ton de mépriser
l’inégal et cepen­dant si vrai poète Alfred de Musset.
La « ter­reur dans les lettres » remon­te­rait-elle au génial
auteur des « Fleurs du mal » ? L’admiration jalouse à
laquelle il a droit ne devrait cepen­dant pas nous inter­dire d’être
assez libres pour oser esti­mer qu’il serait temps de son­ger à
pro­cé­der, nous aus­si, à nos réhabilitations.
Vaste sujet auquel nous comp­tons bien reve­nir. (Sam­son)]]. Et
cepen­dant, il n’y a jamais eu tant de poètes en France,
jamais tant de pla­quettes de vers publiées chaque année.
Jamais aus­si une telle pro­li­fé­ra­tion de revues de poésie
sou­vent bien éphé­mères [[« Les revues
meurent tou­jours. C’est une don­née immé­diate de
l’expérience », fait dire Nizan à l’un des
pro­ta­go­nistes de « La Conspi­ra­tion»…]], certes mais
tou­jours renais­santes. Qu’elles aient une faible audience
(l’essentiel étant natu­rel­le­ment quelles soient pensées,
rédi­gées, impri­mées et dif­fu­sées), nous
l’accorderons volon­tiers à la condes­cen­dance de certains
détrac­teurs. Mais en dépit d’un public trop limité,
d’un for­mat par­fois bien mince et d’une paru­tion rien moins que
régu­lière, ce qui n’est pour­tant point une règle
géné­rale, elles repré­sentent le creu­set le plus
bouillon­nant de la lit­té­ra­ture d’un peuple et d’un pays.
C’est en effet en leurs feuillets que s’élaborent les
concep­tions futures, que s’affrontent les écoles et les
grands noms de demain.

*
* * *

L’existence
de la « petite revue » est une tra­di­tion dans les pays
latins et plus par­ti­cu­liè­re­ment en France et dans les pays de
langue fran­çaise. Dès avant 1914, un Bar­rès les
qua­li­fiait non sans quelque iro­nie, d’Orphéons, ce
qui ne man­quait pas de per­ti­nence et d’humour, cer­taines n’étant
pas tou­jours dépour­vues d’un petit côté Société
de musique et Auberge de Jeu­nesse, voire même veau à
cinq pattes !

Il
nous faut remon­ter aux années qui précédèrent
et sui­virent immé­dia­te­ment la der­nière guerre pour
assis­ter à la créa­tion des plus célèbres
d’entre elles. Citons — outre les tou­jours excel­lentes revues
sur­réa­listes, renais­sant per­pé­tuel­le­ment de leurs
cendres — Soutes, de Luc Decaunes, Fon­taine, de
Charles Autrand et Max-Pol Fou­chet, l’Usage de la parole, de
Georges Hugnet, l’Arche de Jean Amrouche, Mes­sages, de
Jean Les­cure, Confluences, de René Taver­nier, Poé­sie
40 – 48,
de Pierre Seghers , les Cahiers GLM, de Mano, les
Cahiers de l’Ecole de Roche­fort,
de Jean Bou­hier, la Pipe en
écume
de J.-D. Mau­blanc, Regains, de Pierre Boujut,
Empé­docle, de Jean Vagne… Cer­taines ont fait peau
neuve, d’autres ont som­bré corps et biens…

Fon­dées
sans aucun but lucra­tif et com­mer­cial, les revues-orphéons
 — 
qu’elles soient post ou para-surréalistes,
néo-clas­siques, sym­bo­listes-attar­dées ou lettristes
démen­tielles — témoignent d’un attachement
véri­table et d’un amour tout désintéressé
de la poé­sie. Leur moindre inté­rêt n’est pas un
carac­tère par­fois abso­lu­ment arti­sa­nal et manuel. « Pauvres
mais pleins d’ardeur, les poètes ont appris à se
pas­ser d’argent » : bien sou­vent une presse à bras
suf­fit aux direc­teurs de revues pour leur tra­vail de création.
Ils auraient d’ailleurs tort d’oublier que Mae­ter­linck imprima
lui-même son pre­mier livre et que Pierre Rever­dy parle quelque
part du « plai­sir que peut don­ner la publi­ca­tion d’un livre
que l’on a fait soi-même d’un bout à l’autre
depuis le texte jusqu’au bro­chage ». Pas­ser le rou­leau encreur
sur les carac­tères en plomb, sou­le­ver des feuillets
fraî­che­ment impri­més « voi­là pour un poète
une acti­vi­té exal­tante et de nature à lui faire
recon­si­dé­rer les pro­blèmes de l’écriture
eux-mêmes. » [[Jean Rous­se­lot, dans
« Pano­ra­ma cri­tique des nou­veaux poètes français »,
Seghers éd.]]

Ce
qui pré­side à la fon­da­tion d’une de ces revues, ce
n’est pas le cli­mat, la lon­gi­tude ou l’éclairage, le
vil­lage ou la capi­tale (il existe à Paris des revues
« pro­vin­ciales »), mais avant tout le tempérament
poé­tique de son direc­teur-ani­ma­teur qui ras­sem­ble­ra à
ses côtés quelques « proches poètes »,
pour un jour don­ner nais­sance non pas tant à une école
poé­tique ou à une cha­pelle qu’à une équipe
soli­de­ment consti­tuée. Ain­si, sui­vant les cas, notre homme à
tout faire, réveillant les âmes vacantes et les
puis­sances dis­po­nibles sau­ra don­ner à sa revue un style
propre, une per­son­na­li­té sin­gu­lière et non
inter­chan­geable. Cette équipe, sans for­mer un bloc inerte et
mono­li­thique, ou évo­quer un per­pé­tuel salon de
l’auto(-admiration), aura une exis­tence col­lec­tive lui permettant
« d’accommoder, de cadrer et de rec­ti­fier l’image (qu’elle
se forge) des faits, des hommes, des idées » ? (Edi­to­rial
de La Brèche, octobre 1961). Chaque semaine ou chaque
mois auront lieu des réunions consa­crées à la
pré­pa­ra­tion de la revue et à l’élaboration de
ses posi­tions. De ces agapes intel­lec­tuelles sor­ti­ront des cahiers de
plus ou moindre impor­tance, peu ou prou réus­sis, mais presque
tou­jours extrê­me­ment vivants. [[« Une
revue n’est vivante que si elle mécon­tente chaque fois un
bon cin­quième de ses abon­nés », affir­mait un
connais­seur, Péguy, dans ses mémo­rables « Cahiers
de la Quin­zaine ». Tan­dis que Flau­bert, dans une lettre à
Louise Colet, s’expliquait ain­si : «… je ne deman­de­rais pas
mieux que de me mêler d’une revue pen­dant quelque temps. Mais
voi­ci comme je com­pren­drais la chose : ce serait d’être
sur­tout har­di et d’une indé­pen­dance outrée ; je
vou­drais n’avoir pas un ami, ni un ser­vice à rendre. »]]

Cepen­dant
la poé­sie ne s’élabore pas uni­que­ment dans les revues
à tirage limi­té, ne fer­mente pas dans ces seuls
alam­bics. On l’accueille aus­si du côté des grandes
revues lit­té­raires ; mais à faible dose comme si l’on
fei­gnait encore de croire après Vil­liers de l’Isle Adam que
« la poé­sie empêche les hon­nêtes gens de
dor­mir tran­quilles ». Non ce serait trop beau et la poésie
vivante n’a que faire de ce genre de bra­vade. Cette restriction,
cette posi­tion de parent pauvre à elle impo­sée n’est
sans doute impu­table qu’à un légi­time (?) souci
com­mer­cial des grands édi­teurs dont la plu­part commanditent
une revue cotée pos­sé­dant ses poètes-maison.
Pour la Nou­velle Revue Fran­çaise, Hen­ri Tho­mas, Jean
Gros­jean, Edith Bois­so­nas Jean Fol­lain. D’autres comme Esprit,
Preuves
(Pierre Emma­nuel), les Temps Modernes, Europe, le
Mer­cure de France
(Yves Bon­ne­foy, André du Bou­chet) , la
Table Ronde, les Lettres nou­velles, Tel Quel
ou les Cahiers
des Sai­sons
accordent à la poé­sie une place encore
plus épi­so­dique et aléa­toire. Il semble donc qu’il
n’y ait que dans les « petites revues » que la poésie
soit véri­ta­ble­ment fêtée, sacrée et
sacralisée…

Nous
ne par­le­rons point ici des bul­le­tins plus ou moins confidentiels,
organes d’associations d’«amis » quelque peu abusifs
de poètes consa­crés, tel Le Bateau Ivre
la sys­té­ma­ti­sa­tion des recherches rim­bal­diennes relève
plus de la paléon­to­lo­gie que de la poé­sie. Il ne sera
ques­tion enfin que des revues œuvrant pour une poésie
authen­tique, « abso­lu quo­ti­dien », et non de celles où
de séniles esthètes s’offrent un inoffensif
dépay­se­ment — char­mant loi­sir dominical.

Avant
d’étudier les plus impor­tantes et les plus caractéristiques
de ces revues — les plus repré­sen­ta­tives des divers
dis­tricts poé­tiques — bor­nons-nous à rap­pe­ler que
Fran­cis Ponge parle à leur pro­pos de « buissons
typo­gra­phiques ». Des buis­sons ardents, cela va sans dire !

En
France :

La
Brèche
(Paris), née seule­ment en 1961, appar­tient à
la longue théo­rie des revues sur­réa­listes dont elle est
la der­nière incar­na­tion, après La Révo­lu­tion
sur­réa­liste, Le Sur­réa­lisme au ser­vice de la
Révo­lu­tion, Mino­taure, VVV, Médium, Le Surréalisme
même
et Bief.

Un
extrait du texte limi­naire de la pre­mière livrai­son mérite
d’être repro­duit comme exemple typique de cet esprit
sur­réa­liste fait de fer­veur révo­lu­tion­naire et de
fas­ci­na­tion alchi­miste. « Ce numé­ro, comme ceux qui
sui­vront, nous retrou­ve­ra notam­ment atta­chés, au-delà
d’une action poli­tique ren­due plus que jamais inex­pri­mable, à
cette rééva­lua­tion poé­tique de la pensée
que le sur­réa­lisme attri­bue au prin­cipe d’analogie. »

Autour
d’André Bre­ton, la jeune garde sur­réa­liste : Gérard
Legrand, José Pierre, Robert Benayoun et Jean Schuster.

Les
Cahiers du Sud,
publiés à Mar­seille, qui entament
leur 49e année d’existence, sont la plus ancienne et la plus
« auto­ri­sée » des revues poétiques
fran­çaises. Par­fois très aus­tères, ils semblent
démen­tir leur médi­ter­ra­néisme géographique.
Chaque numé­ro contient, outre des poèmes (qui
carac­té­risent une des ten­dances majeures de la poésie
actuelle, issue du sym­bo­lisme, plus intel­lec­tuelle que char­nelle, et
abou­tis­sant à Joë Bous­quet, Saint-John Perse et leurs
épi­gones), essais et chro­niques, des Fron­tons souvent
pas­sion­nants et ency­clo­pé­diques, consa­crés aux
pro­blèmes du lan­gage et à l’approche des
mani­fes­ta­tions poé­tiques loin­taines ou pré­sentes, des
Trou­ba­dours armé­niens aux Appren­tis­sages d’Eluard,
des Anciens bardes gal­lois à la Jeune poé­sie
américaine.

Prin­ci­paux
ani­ma­teurs : Jean Bal­lard, Léon-Gabriel Gros, René
Ménard et Toursky.

La
Tour de Feu
(Jar­nac) est née après la Libération,
mais les seize années écou­lées depuis sa
fon­da­tion n’ont pas émous­sé le tran­chant, ni entamé
gra­ve­ment le com­pa­gnon­nage qui sert de base à cette entreprise
ori­gi­nale. En fait, La Tour de Feu se défi­nit par les
titres de ses numé­ros spé­ciaux qui mani­festent assez
bien ses deux ten­dances majeures, à savoir la magie poétique
et la morale révo­lu­tion­naire (proche en cela, bien que teintée
de pro­vin­cia­lisme, de l’ubiquité sur­réa­liste) [[ La
Tour de Feu
et l’actuel groupe sur­réa­liste entretiennent
d’ailleurs d’excellents rap­ports. On a pu le consta­ter lorsque
après la paru­tion d’un cahier de la TdF intitulé
Salut à la tem­pête, André Bre­ton, Benjamin
Péret et une quin­zaine de leurs amis rédigèrent
le mani­feste « Démas­quez les phy­si­ciens, videz les
labo­ra­toire », dans lequel ils ren­daient hom­mage à la
prio­ri­té de la revue jar­na­caise dans la lutte anti-nucléaire
(a).

(a).
Sur cette ques­tion de la lutte anti­nu­cléaire, qu’il soit
per­mis à la rédac­tion de cette revue de préciser
que l’on n’y par­tage pas una­ni­me­ment, loin de là, le point
de vue de La Tour de Feu et du groupe sur­réa­liste. Ce
n’est pas la science ni les labo­ra­toires qu’il faut combattre —
sinon, on retombe dans le ridi­cule d’Auguste Comte voulant
pros­crire l’étude des étoiles doubles — mais bien
les struc­tures sociales qui en déter­minent l’utilisation
homi­cide. Et puis, par­tir en guerre contre les phy­si­ciens dans le
monde tel qu’il est n’aurait, par impos­sible, des conséquences
que de ce côté-ci du rideau de fer. On ne voit guère
les Russes, et encore moins les Chi­nois inter­dire les recherches de
cet ordre pour des motifs paci­fistes. Sans comp­ter que si l’on
peut, en pays non-tota­li­taire, faire de bonne foi cam­pagne contre la
phy­sique nucléaire, c’est en fin de compte grâce à
la pro­tec­tion très exac­te­ment nucléaire, elle aussi,
dont, sans en être plus fiers pour cela, nous nous trou­vons bon
gré mal gré béné­fi­cier grâce à
l’existence de l’une des forces qui s’opposent et se
contre­ba­lancent dans le triste, mais, hélas, provisoirement
indis­pen­sable équi­libre des ter­reurs. (Témoins)]]:
Silence à la vio­lence, L’Alliance des vil­lages, Droit de
sur­vivre, Ne cher­chez pas la lune, Ter­ro­risme bur­lesque, Expérience
des Arcanes,
jusqu’aux récents et controversés
cahiers consa­crés à Artaud.

Prin­ci­paux
col­la­bo­ra­teurs : Pierre Bou­jut, Edmond Humeau, Adrian Miat­lev, Jean
Laurent et Pierre Cha­bert, Pierre Cha­leix, J.-C. Rou­let et Fred
Bourguignon.

D’autre
part, André Bre­ton a mon­tré son estime pour la TdF en
appor­tant sa lumi­neuse col­la­bo­ra­tion au cahier consa­cré à
Anto­nin Artaud — cahier défen­du avec force par Gérard
Legrand dans le n° 12 de Bief, organe de « jonction
surréaliste»…

Le
Pont de l’Épée
(Dijon) est la revue d’un seul
homme, batailleur et culti­vé, intran­si­geant et fra­ter­nel : Guy
Cham­bel­land. Jus­ti­fia sa posi­tion régio­nale par un hom­mage à
trois Dijon­nais célèbres, Aloy­sius Ber­trand, Marcel
Mar­ti­net et, figure plus pro­blé­ma­tique, Xavier Forneret.

Alter­nances
(Caen), diri­gée par Robert Dela­haye est revue moins
com­ba­tive, mais plus éclec­tique. Signa­lons un excellent cahier
dédié au trop mécon­nu Pierre-Albert Birot,
pour­tant à l’origine du bouillon­ne­ment poétique
contemporain.

Entre­tiens
(Rodez), ani­mée par Jean Digot, manque plus de
per­son­na­li­té que de qua­li­té. Poèmes, essais et
chro­niques sont sou­vent excel­lents, bien que s’enchaînant
sans grande unité.

On
aime­rait que la pré­sence de Luc Decaunes (arti­san du très
com­plet numé­ro d’hommage à Pierre Rever­dy) insufflât
à la revue une plus grande viru­lence de ton, ne devant rien à
une quel­conque poé­sie politique.

Action
poé­tique
(Mar­seille) reprend pré­ci­sé­ment à
son compte tous les lieux com­muns de cet engagement
poé­ti­co-poli­tique. Citons tou­te­fois l’important numéro
des poètes contre la guerre l’Algérie, paru en
décembre 1960. (Atten­tion, cama­rades, le poète n’est
pas un col­leur d’affiches!)

Par­ler
(Gre­noble) veut à tout prix se don­ner l’aspect d’une
grande revue lit­té­raire. Et de publier sans le moindre
dis­cer­ne­ment des textes plus ou moins inédits de… Voltaire,
Pas­ter­nak ou Pré­vert. Quant à ce que Par­ler veut
dire…

Cin­quième
Sai­son
(Paris). Beau titre uti­li­sé voi­ci bien des années
par un poète des Cahiers du Sud. La revue se prétend
de « poé­sie évo­lu­tive»… Dans le
numé­ro 1415, accom­pa­gné d’un disque de poèmes
plus mal­lar­méens qu’«évolutifs », Michel
Seu­phor et Camille Bryen riva­lisent pour s’attribuer un rôle
pré­pon­dé­rant de « construc­teurs des espaces ».

Poé­sie
nou­velle
(Paris), organe de « l’Internationale lettriste »
ose affir­mer avec une fatui­té désar­mante sa primauté
sur toutes les autres revues de poé­sie. Cepen­dant ne refusons
pas à Poé­sie nou­velle son seul mérite
bien que tout à fait for­tuit : un fla­grant constat de la
faillite et même de l’inexistence abso­lue du lettrisme.

Points
et Contre­points
(Paris) défend judi­cieu­se­ment la poésie
néo-clas­sique dans le sillage des poètes « fantaisistes »
Car­co, Musel­li et Cha­ba­neix. Mal­gré une pointe de maurassisme,
le niveau géné­ral de la revue se situe infiniment
au-des­sus des pro­duc­tions de la « Socié­té des
poètes fran­çais », fief immuable de la médiocrité
en forme fixe.

Citons
encore : Les Nou­veaux Cahiers de Jeu­nesse (Bor­deaux), Pro­messe
(Bar­be­zieux), Les Cahiers de la Licorne (Mont­pel­lier), Le
Musée du Soir
et Le Borée (Lille), Les
Cahiers du Nou­vel Huma­nisme
(Puy-de-Dôme), Sens
plas­tique
et Ariane (Paris), Mois­sons (Lille). Sans
oublier, bien qu’elles viennent mal­heu­reu­se­ment de disparaître
avec leurs ani­ma­teurs, le per­sé­vé­rant Mar­syas de
Sul­ly-André Peyre, et les si beaux Cahiers de l’Artisan
de Lucien Jacques, ancien co-équi­pier de Gio­no aux Cahiers
du Contadour.

En
Belgique :

Trop
d’usines, trop de gri­saille, ou bien… sub­sides gouvernementaux,
la Bel­gique est, dit-on, le pays d’Europe qui pré­sente la
plus forte den­si­té de poètes au kilomètre
car­ré… Mais à tout sei­gneur, tout honneur :

Le
Jour­nal des poètes
(diri­gé par Paul-Louis Flouquet
et Arthur Hau­lot) est peu à peu deve­nu, depuis sa fon­da­tion en
1930, une véri­table ins­ti­tu­tion tout en demeu­rant une
pré­cieuse ency­clo­pé­die de la poé­sie mondiale.
Peut-être par­fois peut-on lui repro­cher un cer­tain académisme
ou quelque absence d’humour ; il n’est alors que de se plonger
dans trois revues mitoyennes, issues du dadaïsme et du
sur­réa­lisme : Temps mêlés (diri­gée à
Ver­viers par André Bla­vier), Phan­to­mas (de Théo­dore
Koe­nig) et Rhé­to­rique (André Bos­mans).

Mar­gi­nales,
diri­gée par Albert Aygues­parse, fait quant à elle
figure de petite NRF.

L’VII
de Roland Bus­se­len et Alain Bos­quet, revue luxueuse, semble de ce
fait même quelque peu morne et indif­fé­rente. Pourtant,
« Le Soleil d’Amsterdam », de Roger Bor­dier, déjà
signa­lé ici, fut une rare révélation.

Citons
encore : Le Thyrse, La Dryade, Le Tau­reau, La Poêle à
frire, Les Cahiers de Jean-Tous­seul,
gen­tilles et inutiles
revuettes — dont nous n’avons pas inven­té les titres, en
dépit des apparences…

En
Suisse :

Après
avoir connu les fameux Cahiers Vau­dois de Ramuz, Cin­gria et
Auber­jo­nois, et plus tard, Pré­sence (de Gil­bert
Trol­liet), la Revue trans­ju­rane, Ren­contre (de Hen­ri Debluë)
et Lettres (de Pierre Cour­thion), la Suisse est aujourd’hui
para­doxa­le­ment repré­sen­tée par une revue qui n’est
que géo­gra­phi­que­ment hel­vète, Témoins. « Ces
cahiers indé­pen­dants
de grande qua­li­té, dirigés
depuis Zurich par Jean Paul Sam­son, sont ouverts à tous les
réfrac­taires comme à toutes les idées généreuses
et non-confor­mistes » (Tri­bune de Lau­sanne). A publié
des inédits de Camus, Igna­zio Silone, Georges Navel et René
Char, ain­si que des numé­ros « spé­ciaux » « se
suc­cé­dant avec cette indis­pen­sable ubiquité
révo­lu­tion­naire que l’on veut trop sou­vent taxer de
confu­sion­nisme : de Fidé­li­té à l’Espagne à
Hom­mage au miracle hon­grois,
de Vic­tor Serge à
Albert Camus » (M. B. dans la Gazette de Lausanne).
Accorde une grande place à la poé­sie dans ses
mani­fes­ta­tions les moins « programmatiques ».

Mais
signa­lons aus­si, née tout récem­ment, Ecri­toire,
revue gene­voise pleine de pro­messes, ani­mée par de très
jeunes auteurs.

Au
Canada :

Liber­té,
publiée à Qué­bec, s’oppose avec véhémence
à l’étouffoir clé­ri­cal et groupe plusieurs
bons poètes. Entre­prise peut-être sans précédent
au Cana­da fran­çais, elle n’est point sans ana­lo­gies avec
Esprit à ses ori­gines [[On
consul­te­ra la récente Antho­lo­gie de la poésie
cana­dienne
(Ed. Seghers, pré­face d’Alain Bos­quet).]]
.

En
Afrique :

Hor­mis
Pré­sence Afri­caine, édi­tée à
Paris, et Les Cahiers lit­té­raires de l’Océan
indien
(à Mada­gas­car), l’Afrique francophone —
actuel­le­ment trop pré­oc­cu­pée de construire son avenir
poli­tique et éco­no­mique — n’a pas encore fait son entrée
dans le cercle des orphéons, ni même dans celui des
grandes revues. (Et pour­quoi d’ailleurs l’Afrique adopterait-elle
une tra­di­tion typi­que­ment latine et sans attache aucune avec sa
civilisation?)

Rap­pe­lons
cepen­dant que parurent pen­dant de nom­breuses années plusieurs
cahiers dont l’esprit dénué de tout obscurantisme
colo­nia­liste, per­mit d’accueillir et de révé­ler les
jeunes voix de la lit­té­ra­ture magh­ré­bine contemporaine :
Soleil à Alger, Simoun à Oran,
Cor­res­pon­dances à Tunis, Ague­dal à
Casablanca.

Et
sou­hai­tons que « les chères voix qui se sont tues »
retrouvent dans le cli­mat de l’indépendance — passé
le cap de l’euphorie ou des dés­illu­sions — leurs
répon­dants poé­tiques et leurs échos
auda­cieux. Telle est notre exi­gence fra­ter­nelle ? [[Nous est arrivé
de Bou­fa­rik le pre­mier numé­ro d’un petit fas­ci­cule, Clar­tés,
où l’on peut lire, signé d’un éco­lier de
treize ans, Had­jaz, un poème inti­tu­lé « La
Guerre » :

Voi­ci que la guerre s’élève
Comme un chien enragé
Et les gens sont tristes
Comme pour s’en aller en prison… 

Michel
Boujut

La Presse Anarchiste