Je
dois dire que lorsque Pierre Boujut me confia son projet de publier,
en guise d’hommage à Lecoin un numéro entièrement
composé de poèmes en l’honneur du cher et vaillant
gréviste de la faim, je me sentis mal à l’aise :
tous ces versificateurs qui allaient, sans risquer la famine,
mettre « lyriquement » à profit le courage de notre
vieux camarade — non, je ne me vis pas hurler ainsi avec les
brebis. Comme ça me contristait cependant d’être tout
à fait absent de cette manifestation, si méritée,
de sympathie, j’offris à la rédaction un texte de
prose dédié à Lecoin. Pas possible, me
dit Boujut, puisque nous n’aurons que des poèmes. Oh ! notre
matois protestant pourrait quelquefois en remontrer, pour ce qui est
des échappatoires, à ses frères ennemis de
l’église d’en face, ce que démontre bien, en
l’occurrence, le fait que le dit numéro comporte pas mal de
proses dont, entre autres, une certaine d’Edmond Humeau, qui,
peut-être parce qu’elle s’intitule « Lettre sur la
limpidité », se dispense, c’est le moins qu’on puisse
dire, du minimum de propos (du moins pour moi)
compréhensibles.
N’empêche,
tel qu’il est finalement réalisé, ce cahier Lecoin,
en même temps qu’il démontre une fois de plus la
générosité d’âme de ce cher Pierre
Boujut, n’est pas du tout si mal. D’abord, je le sais, il a fait
plaisir à Lecoin ; c’est l’essentiel (il ne l’a pas
volé). Et aussi, dans la cargaison de « poèmes »
bonnement rassemblés, il y en a bien une demi-douzaine qui
sont dignes de Lecoin et vraiment des poèmes. Ceux, entre
autres, de Pierre Boujut lui-même (« La naissance de
l’homme »), de Michel Boujut (« Une manière de
complainte »), de Marc Beigbeder (« Il y a un homme »).
— Quant à Adrian Miatlev, d’ordinaire le plus attachant
des coéquipiers de la Tour, ses contributions à ce
numéro-ci n’ont pas, me semble-t-il, tout à fait la
souveraineté qui généralement le distingue.
Mais
il faut citer intégralement le texte d’une parfaite pureté
de Pierre Chabert, qui ouvre le cahier :
Envers et contre tous
les hommes et le ciel
ce qu’on appelle ciel
un homme se découvre
supporte un poids de nuit
de ciel et de raison
à rendre fou un homme
un poids de temps perdu
à rendre fou un arbre
Envers et contre tous
les arbres et les rocs
un homme se durcit
fortifie sa douceur
Et vous n’êtes pas tous
à chanter ses louanges ?
Confesserai-je
cependant à l’ami Pierre Boujut que certains passages de ce
beau cahier ne sont pas sans m’insuffler une certaine inquiétude
— celle de le voir verser dans le pacifisme pacifiste ?
C’est
un peu comme lorsqu’il définit la paix helvétique une
« paix magique ».
Cher
Boujut, tu es un cœur d’or. Mais quand même…
J.
P. S.