La Presse Anarchiste

À contre-jour

à la mémoire de Lucien Jacques et de Maxime Girieud

Chan­son du pont
  A lun­di, salut les outils !
A lun­di, salut les machines !
Et dor­mez bien, les apprentis,
De tous vos som­meils de l’usine !

On embauche, eh ! les compagnons,
Pour un rêve entre deux semaines.
Mais rêver sans morte-saison
Ferait plus légère la peine.

Sous un ciel qui n’aurait plus peur
Des sirènes qu’on eût fait taire,
On ose­rait croire au bonheur
En allant gagner son salaire.

Quant à la chaîne, promenoir
D’un vieux mal sourd et sans parole,
On y ferait pas­ser l’espoir
De main en main, comme une obole.

Plus de faux-frère dans ton dos
Lor­gnant l’effort et la besogne.
Plus à bra­con­ner du repos
Comme on prend lapins en Sologne.

Fini de tri­mer dans l’ennui
Tan­dis qu’en dor­mant la pendule
Marche sans voir où ça conduit,
A la façon d’un somnambule.

Car atten­dez qu’on sache un jour
Pour qui, pour­quoi l’on se fatigue,
Tout devien­dra geste d’amour,
Rameur vers l’autre qui navigue…

Rêvons qu’on peut vivre en rêvant,
Lais­ser venir à nous les choses
Et tra­vailler ne rien faisant.
Ô, l’oisiveté de la rose !

Rêvons ! les heures d’atelier
Ne laissent qu’un tas de limaille.
Le temps est là, débris d’acier,
Toute une vie à la ferraille.

C’est lun­di, salut les outils !
C’est lun­di, salut les machines !
Nous voi­là, fron­çant les sourcils,
Et vous nous faites grise mine.

Le pain des ans

  Ce qui rend ce monde éprouvant,
C’est la faim qui tire en avant
Vers un labeur morne et sans cause.
Refuse de suivre qui l’ose.
Un pas der­rière, un pas devant,
C’était moi quand j’avais seize ans.
Et pour des heures, porte close.
Les yeux implorent le cadran.
Que gagne-t-on en nous privant
De notre part de grandiose ?
Temps de la Pâque ou de l’Avent,
Il n’est pour nous que de la prose.
Le mer­veilleux ni le mouvant
Ne viennent guère s’ensuivant.
Fau­drait quelle métempsychose
Pour naître au monde de la rose
Et pour trou­ver en nous levant
L’espoir dans la rose des vents ?
Han­tés de sou­ve­nirs moroses,
Avec nos jours pas­sés au van,
Gris est le pain de nos vieux ans.

Claude Le Maguet

La Presse Anarchiste