La Presse Anarchiste

Témoins intemporels

 

Le
lieu­te­nant.
— Je vous le demande, mes­sire, croyez-vous qu’il
emporte Rome ?

Audi­sius.
 — Toutes les places se rendent à lui avant qu’il les
assiège… (Et) le peuple sera aus­si ardent à le
rap­pe­ler qu’il a été prompt à l’expulser. Je
crois qu’il fera de Rome ce que l’orfraie fait du pois­son : il
s’en empa­re­ra par l’ascendant de sa nature. Il a commencé
par ser­vir noble­ment son pays mais il n’a pas pu por­ter ses
hon­neurs avec modé­ra­tion, soit par excès d’orgueil
dont le suc­cès de chaque jour entache l’homme heu­reux, soit
par un manque de juge­ment qui l’empêche de tirer par­ti des
chances dont il est maître, soit à cause de son
carac­tère, tout d’une pièce, immuable sous le casque
et sur le cous­sin, aus­si altier, aus­si rigi­de­ment hau­tain dans la
paix qu’impérieux dans la guerre. Un seul de ces défauts
(car s’il les a tous, ce n’est qu’en germe, je lui rends cette
jus­tice) a suf­fi pour le faire redou­ter, haïr et ban­nir. Il a du
mérite, mais il l’étouffe par la jac­tance. Nos
talents ne relèvent que des com­men­taires du temps- et le génie
le plus enthou­siaste de lui-même n’a pas de tombe plus
écla­tante que la chaire d’où sont prônés
ses actes… La flamme chasse la flamme, un clou chasse l’autre,
les titres s’abîment sous les titres, la force suc­combe sous
la force…

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Corio­lan,
acte IV, scène 7. (Tra­duc­tion Fran­çois-Vic­tor Hugo.)

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