La Presse Anarchiste

Bibliographie

 

Les
Kamt­chat­kas
, par Léon‑A. Dau­det ; 1 vol., 3 F. 50,
chez Char­pen­tier et Fas­quelle, édi­teurs, 11, rue de Grenelle. 

Ah !
ils en délirent tous, dans les jour­naux conser­va­teurs et
bour­geois ! Le Temps en sort de sa roide cami­sole, les
Débats exultent ! Vrai­ment, il était temps
que l’esprit, « ras­sis » et le boeuf aux
carottes pussent, trô­ner à nou­veau sur la table
fami­liale où s’assemblent, dans l’égalitaire
stu­pi­di­té, la canaille­rie com­mer­çante du père,
l’hypocrisie chré­tienne de la mère, la nullité
plus ou moins vicieuse des enfants.

On va
pou­voir man­ger en paix ! 

De
dan­ge­reux extra­va­gants des
fous — n’avaient-ils pas entre­pris de railler jusqu’aux goûts
bour­geois, de vous trou­bler dans toutes vos habi­tudes, dans vos idées
(?), dans tout ce qu’on avait le mal­heur de faire et de dire !
On finis­sait par avoir honte des bons vieux meubles d’acajou, des
bons vieux para­pluies, du pot-au-feu, des petites éco­no­mies et
des pla­ce­ments de père de famille ; on n’ose plus rire
à son aise aux bons gros vau­de­villes de M. Sar­cey, on
com­men­çait à dou­ter de la pein­ture de M. Bon­nat, à
rou­gir des petits mor­ceaux de pia­no et des musiques mili­taires, qui
aident pour­tant si bien à digé­rer. Ces insensés
auraient fini par vous gâcher la vie ; on ne se sentait
plus aus­si tran­quille, comme si, mon Dieu, tout ce qu’on a, on ne
l’avait pas hon­nê­te­ment gagné ! 

Ils
deve­naient inquié­tants, ces mal­fai­teurs qui rai­son­naient de
phi­lo­so­phie, toute cette clique mûre pour le Gabon ou les
bateaux à sou­pape, qui ne croyaient plus à rien,
insul­taient vos por­traits de famille, pouf­faient à vos chaînes
de montre et vous relé­guaient comme des idiots, sans vouloir
même dis­cu­ter avec vous ! 

Oui, Joseph.
Prud­hornme et Homais triomphent ! Un de leurs beaux-fils, M.
Léon Dau­det (de la mai­son. Dau­det et Cie), qui met un article
nou­veau (érein­te­ment à prix fixe) dans la circulation,
leur a rivé un clou, à ces « Kamtchatkas » !
Tout ce qui a le mal­heur de pen­ser et de n’être pas de l’avis
de tout le monde, toute cette espèce-de-jeunes qui ne
veulent rien faire comme les autres et essaient de dire quelque
chose, ce sont les Kamtchatkas ! 

Sans doute,
M. Léon Dau­det a ten­té, lui aus­si, de sor­tir de
l’ornière : chose bizarre, il a même tenté
de com­prendre le mou­ve­ment actuel. Inutile de dire qu’il n’a pas
réussi. 

Malgré
quelques flat­teuses rela­tions — mais bou­le­var­dières, tout au
plus, — les com­pré­hen­sifs de ce temps n’ont rien de commun
avec lui. Ca l’a cho­qué, ce jeune mon­sieur, que des gens
s’intéressent à quelque chose, se pas­sionnent pour
des nova­tions intel­lec­tuelles ou artis­tiques, et parce qu’ils
pré­ten­daient sor­tir du com­mun — dont il est — il a cru
devoir les fus­ti­ger : ô l’innocente verge ! 

Je sais
bien qu’il est des tra­vers, que d’ineptes snobs arborent des
opi­nions comme des cra­vates, s’enferment, sui­vant la mode, en des
cha­pelles ; que d’infâmes cabo­tins et des poseurs les
encou­ragent. L’incohérence, la plus désolante
nul­li­té, la per­ver­sion la plus insane, voi­là ce qui en
résulte. Ces pauvres cer­velles errent à l’aventure,
cha­virent sur toutes les côtes, sans avoir jamais connu le
natu­rel et le vrai. 

Mais, à
côté, n’y a‑t-il pas les convain­cus, les sincères,
les bûche­rons qui veulent ouvrir des voies nouvelles ?
Ceux-là font vrai­ment de la bonne besogne, ils frappent à
grands coups dans le sombre édi­fice des préjugés
et des misères : méritent-ils qu’en rai­son de
leur ori­gi­na­li­té même, on les confonde avec des
bour­geois malades et quintessenciés ? 

C’est
pour­tant ce qu’a fait M. Léon Dau­det, et c’est cela
sur­tout — il ne faut pas s’y méprendre — qui fait
sou­pi­rer d’aise tous les négo­ciants en jour­na­lisme, en
cri­tique et en littérature. 

Assurément
leur propre estime et celle des vrais artistes suf­fi­ra tou­jours à
ceux dont je parle. Mais il n’en est pas moins pénible de
voir de clair­voyants chro­ni­queurs (il en est si peu !) se
méprendre sur cette oeuvre (?) et en croire salu­taire la
por­tée. Là, ne serait-il pas vrai­ment équitable,
et loyal, de dis­tin­guer ?

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P. Dechape.

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Une
Pas­sade
, par Willy ; 1 vol., 3 F. 50 chez Flammarion,
26, rue Racine. 

C’est une
his­toire d’amour de deux bohèmes que l’auteur nous raconte
d’une façon joviale, mais qui n’a d’autre rap­port avec
nos idées que par l’introduction de deux ou trois
anar­chistes dont l’un ne dit pas grand’chose et les autres
abso­lu­ment rien. Mais L’histoire est amu­sante, et joliment
racontée. 

De plus,
l’auteur a ajou­té au volume une dizaine de nou­velles, parmi
les­quelles il nous convient de citer La Machine à
gou­ver­ner
, que connaissent les anciens lec­teurs du Sup­plé­ment
de la Révolte et que nous recom­man­dons aux lec­teurs des
Temps nou­veaux.

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