Paris
— La loi contre le droit à la grève s’élabore
et mijote. On nous en a déjà donné, dans la
presse, un avant-goût alléchant. L’article 2, en
effet, édicte une peine de six jours à six mois
d’emprisonnement et de 16 à 500 francs d’amende —
certainement plus souvent le maximum que le minimum — contre
« toute coalition de la part des employés et
ouvriers des établissements de la guerre et de la marine, des
manufactures de tabacs, des manufactures d’allumettes, et des
agents des compagnies de chemins de fer et des chemins de fer de
l’État, pour faire cesser, suspendre ou empêcher le
travail ». En outre, les chefs ou moteurs seront punis
d’un emprisonnement de deux à cinq ans, et, enfin, « toute
provocation publique à commettre le délit ci-dessus
spécifié sera poursuivie devant les tribunaux
correctionnels — pas le jury, certes ! qui pourrait se laisser
émouvoir ou juger en conscience — et punie d’un
emprisonnement de trois mois à deux ans, et d’une amende de
100 francs à 3000 francs ». Et voilà !
L’empire, que les gouvernants d’aujourd’hui nous représentent
comme une époque d’intolérable asservissement,
haïssable au dernier point, admettait — en principe, du moins
— le droit de grève. Nos libéraux égalitaires
et fraternitaires de la République sont plus autoritaires que
l’autocrate lui-même. Et lorsque, la bouche en cul de dinde
et la main sur le revers gauche de l’habit, ils viendront assurer
« les classes ouvrières de leur dévouement
et de leur profonde sympathie », il y aura encore des
légions d’imbéciles pour se passionner en faveur de
tel ou tel de ces pitres de bas étage.
Ils
agissent, disent-ils, dans un but patriotique et de défense
nationale ; je ne vois pas, pour ma part, en quoi l’arrêt
momentané de la fabrication des allumettes ou des cigares
constituerait une menace d’invasion des Allemands en France. Je ne
fais pas partie de la Société contre l’abus du tabac,
mais que, pendant trois semaines ou un mois, la France se passe de
fumer ne m’apparaît que bien vaguement comme une calamité
publique ; et j’ai l’esprit assez biscornu pour envisager ce
léger inconvénient comme négligeable
comparativement, à la misère des ouvriers des tabacs et
a la nécrose mortelle des allumettiers ! Mais, que
voulez-vous ? ces sacrés anarchistes sont
incorrigiblement paradoxaux !
Quoi qu’il
en soit, les malheureux que vise cette loi bienfaisante n’auront
qu’une chose à faire. Quand les conditions du travail leur
pèseront par trop, qu’ils restent individuellement
chez eux, puisque la coalition seule est poursuivie. S’il en est à
la fois une cinquantaine ou une centaine de mille, nous verrons si
les gendarmes suffiront à les appréhender pour les
contraindre au travail, les tribunaux à les condamner et les
prisons à les contenir.
Cette loi
est significative. C’est une des dernières palpitations d’un
régime à l’agonie et qui prend conscience de son état
désespéré.
André
Girard
Angoulême
— La municipalité d’Angoulême fait preuve en ce
moment d’une générosité sans égale. On
exécute actuellement dans cette ville des travaux assez
pénibles, tels que de creuser des caniveaux dans le roc pour
les égouts. Comme il n’y a pas de petites économies,
la municipalité emploie pour ces travaux des hommes usés
par l’âge, ou infirmes, — quelques-uns n’ont qu’un bras
ou une jambe, — elle leur fait faire des journées de dix
heures qu’elle paie 50 centimes. Le maire, nous dit-on, est un
éleveur de cochons !
(D’après
une correspondance locale.)
Millau
— Lundi, 17 juin, une conférence socialiste a été
faite par les députés Chauvin et Gérault-Richard.
Comme toujours, ces deux socialistes de parlement ont beaucoup tonné
contre la société bourgeoise et souhaitent la venue du
quatrième état. Il est bon de remarquer cependant que,
dans sa conférence, Gérault-Richard ne s’est pas
montré ennemi du communisme ; mais admettant le principe
d’autorité, il ne s’aperçoit pas qu’il devient
bourgeois, lui aussi, malgré son intention de combattre les
bourgeois.
(D’après
une correspondance locale.)