La Presse Anarchiste

Correspondance

 

Nous
rece­vons de Sa Gran­deur Mgr X, arche­vêque d’une contrée
nord-amé­ri­caine la lettre qui suit

X—
22 juin 1901

Cher
Mon­sieur et frère en Jésus-Christ

J’ac­cuse
récep­tion de l’Ère Nou­velle. Je vous en suis
très recon­nais­sant et fais des sou­haits pour son exis­tence et
sa pros­pé­ri­té. Nul doute que vous avez cent fois raison
dans votre pro­gramme et que l’es­prit de votre publi­ca­tion est celui
de Jésus-Christ et de ses apôtres. Mal­gré tout
cela, j’ai la dou­leur de vous pro­phé­ti­ser que dans toutes les
églises catho­liques ou pro­tes­tantes vous allez ren­con­trer des
pha­ri­siens et des per­sé­cu­teurs pour détruire votre
œuvre ou plu­tôt l’œuvre du vrai Christ, —Croyez-moi, vous
trou­ve­rez plus de conso­la­tion au milieu des péa­gers et des
gens de mau­vaise vie que dans les églises soi-disant
chré­tiennes et catho­liques. Le men­songe, la haine, la
calom­nie, la dupli­ci­té, la per­sé­cu­tion et l’es­prit de
clo­cher semblent aujourd’­hui domi­ner plus de la moi­tié des
sectes chré­tiennes. Bien peu d’a­pôtres dans le siècle
où nous vivons veulent ser­vir la cause du Grand Socialiste
Jésus, à l’exemple de Saint-Pierre et de Saint-Paul.
Retran­chez-moi le tout puis­sant dol­lar du bud­get des cultes
euro­péens, détrui­sez-moi les église, d’état,
offi­cielles ou césa­riennes, et vous ver­rez que par ce fait
vous régé­né­re­rez et puri­fie­rez les églises
de tous les faux apôtres qui font caisse com­mune avec les
gou­ver­ne­ments pour assu­jet­tir les peuples à la guerre, à
la super­sti­tion et à la servitude.

Rece­vez,
etc.

X.

*
* * *

Genève,
25 juin 1901.

C’est
avec une grande joie que j’ai lu les deux pre­miers numé­ros de
l’Ère Nou­velle.

Com­bien
je sen­tais déjà le besoin d’un Chris­tia­nisme plus vrai
et plus actif, car devant le socia­lisme athée d’au­jourd’­hui et
le Chris­tia­nisme tel qu’il est com­pris cou­ram­ment, je n’a­vais pas de
choix. Le pre­mier m’ef­fraie, mon cœur se sent vide et mon
intel­li­gence entre­voit les fina­li­tés peu rassurantes
aux­quelles il condui­ra ; vis-à-vis des chrétiens,
j’é­tais attris­té de les voir dis­cu­ter un Évangile
qui apporte la vie et de les voir si peu vivants.

Oui,
il nous faut un Chris­tia­nisme d’ac­tion dont on voie les fruits. Que
ceux qui l’ont com­pris se tendent la main au-des­sus de toutes les
bar­rières que le monde a éle­vées : cre­dos des
Églises, sectes, fron­tières natio­nales, etc.

Dis­ciples
de Christ, nous n’a­vons qu’un maître : le Christ ; qu’un idéal :
l’A­mour réciproque.

Je
sou­haite à l’Ère Nou­velle une entière
réus­site. La réa­li­sa­tion de son pro­gramme qui est beau
et vise un but éle­vé sera une réelle victoire
sur les ini­qui­tés sociales.

Je
sous­cris à deux abon­ne­ments, etc.

Alexandre
Mairet

Réponse

À
M. Chaf­faud, Nier­mon, par Bagé (Ain).

Cher
camarade

Vous
m’a­vez mal com­pris. Je n’ai pas vou­lu dire qu’on dut prêcher
l’É­van­gile pour un gain quel­conque, mais :


Que celui qui, d’une façon ou d’une, autre, passe tout son
temps à annon­cer l’É­van­gile devrait en reti­rer une
équi­table rému­né­ra­tion car l’ou­vrier est digne
de son salaire et non pas seule­ment d’une partie ;


Qu’il n’est pas juste de voir quel­qu’un pas­ser par exemple les trois
quarts de son temps a là pré­di­ca­tion de l’Évangile,
pour laquelle il ne reçoit aucun salaire, et l’autre un quart
à un tra­vail dont il retire au contraire toute sa
sub­sis­tance. Il y a là quelque chose qui me choque.

Voi­là
mon idée exacte. Peut-être est-ce une opi­nion trop
exclu­si­ve­ment per­son­nelle. Mais je me méfie des braves gens
qui aiment être « du peuple » et qui conserve
for­tune et pro­prié­tés. On ne peut guère
appar­te­nir au peuple que si l’on souffre sa faim, sa soif et sa
misère comme l’a fait le Christ, notre maître. 

Je
n’en dirai pas de même des cœurs géné­reux qui
admettent ne pas être du peuple, ce qui est vrai, mais
des­cendent vers lui dans un élan sin­cère, se met­tant à
la por­tée des plus humbles et prêts à accep­ter la
trans­for­ma­tion éco­no­mique de la socié­té, si elle
se pro­dui­sait demain. Mais ceux-là ne trichent pas. Ils
s’ap­pellent Gama­liel, Nico­dème, Joseph d’A­ri­ma­thie, etc., mais
non Jean, Pierre ou Paul. Ils n’en ont jamais émis. d’ailleurs
la pré­ten­tion. Aus­si les res­pecte-t-on et les estime-t-on à
leur valeur. 

Votre

E.
Armand

La Presse Anarchiste