Écœuré
par le sabotage du projet de statut des objecteurs de conscience de
la part d’un Parlement moins soucieux de sa prétendue
fidélité, pourtant si désireuse de passer pour
inconditionnelle, au président de la République que de
complaire à la bassesse d’âme de certain argousin qui,
pour avoir été premier ministre, se prend apparemment
pour un homme d’État, Louis Lecoin, avec ce calme et cette
tranquille sûreté qui sont comme sa signature — celle
du vrai courage — avait, on le sait, pris la décision de
recommencer la grève de la faim à partir du 23 août.
Pour
l’immense soulagement de tous ses amis, il a, on le sait également,
pu renoncer à son héroïque projet dès que
la radio et la presse eurent annoncé que le gouvernement
entendait demander, à la rentrée du Parlement, « le
vote définitif du texte voté en première
lecture ».
De
ce vote définitif, Lecoin, en dépit de toutes les
réserves qu’imposent les amendements par lesquels on s’est
ingénié à dénaturer une loi déjà
en elle-même incomplète, se promet en effet la
libération de cent cinquante jeunes gens encore incarcérés
pour un « délit » qui, dès le cependant bien
insuffisant scrutin de la session précédente, a déjà
cessé d’exister. Or, c’est le scandale, le plus douloureux
de ces incarcérations maintenues qui l’avait décidé
à annoncer son nouveau jeûne. Ainsi qu’il l’a dit
dans l’admirable lettre au Président de la République
reproduite dans le numéro du 23 août de Liberté :
« S’ils
doivent continuer à croupir dans les geôles, en dépit
de ce que nous avons tenté mes amis et moi, je considère
que j’ai suffisamment vécu, vu trop de laideurs ; je fermerai
les yeux déçu, peiné et je m’en irai dans le
néant presque sans regret. »
Cher
Lecoin, tout, par bonheur, semble permettre d’espérer que
l’insanité des profiteurs de la gloire n’osera plus vous
acculer à cette solution navrante, — qu’elle vous sera, et
donc à nous aussi faibles témoins, épargnée.
Tous,
vous le savez bien, nous vous remercions d’être ce que vous
êtes.
Mais
il est une chose que l’on n’a pas assez dite, peut-être
parce qu’elle est trop évidente, et dont cependant il nous
paraît élémentairement équitable de
souligner ici la beauté, la bonté, la bienfaisance. Il
n’est que de lire, par exemple, votre lettre au président,
ou ce que, dans ce même numéro de votre journal, vous
dites de si humain, de si peu sectaire de votre souhait d’aider vos
jeunes amis à connaître à la fois bonheur et
liberté, pour savoir que vous représentez, en ces temps
si noirs et si débiles, la chose qui manque le plus à
notre soi-disant civilisation de masse : une équanimité
si naturellement sûre d’elle-même que sa fermeté,
que rien ne peut fléchir, trouve son couronnement dans la
souveraineté sereine et même doucement souriante d’une
sagesse que les mufles que nous sommes presque tous aujourd’hui
devraient bien s’appliquer à rapprendre de vous.
En
vérité, Lecoin, vous n’aurez pas seulement aidé
les meilleurs d’entre les jeunes, mais contribué de surcroît
à nous empêcher, tous tant que nous sommes, de succomber
à la tentation, si fréquente — et compréhensible
— par les temps qui courent, de complètement désespérer
de l’espèce.