Dernièrement
un publiciste distingué parlant dans le « Matin » du
nombre toujours croissant des suicides à Paris en attribuait
la raison à l’absence des sentiments altruistes dans ces
désespérés de la vie. Voilà une raison
bien mal placée : que les sentiments altruistes jouent un grand
rôle dans les relations sociales des hommes, c’est ce qu’il est
impossible de nier ; mais de là à conclure à la
suppression du suicide, il y a loin ; voici un homme au visage sombre
qui enjambe un parapet et se précipite dans les flots du
fleuve ; au moment de périr des bras vigoureux le saisissent et
le ramènent à la vie ; c’est là sans contredit,
un cas d’altruisme absolu. Mais qu’il survienne au courageux
sauveteur, un de ces malheurs qui brisent une existence, qui sait si
nous ne le verrons pas franchir à son tour ce même
parapet, non pour sauver, cette fois, la vie à son semblable,
mais pour détruire la, sienne. D’où la conclusion que
favorisé par le bonheur, nous volons joyeusement au secours
des autres ; qu’en proie au malheur, nous n’avons plus le courage de
nous sauver nous-même.
C’est
que le sentiment qui nous fait aimer la vie et qui nous y fait
cramponner si fortement, hommes sains, manchots, culs-de-jatte,
estropiés aveugles, sourds-muets, n’est pas du tout l’amour
des autres, c’est tout d’abord l’amour de notre bien-être ;
c’est là la grande source d’où les autres sentiments
jaillissent ; tarissez cette source et l’homme n’ait plus rien.
La
véritable, sinon l’unique raison de suicide, c’est la croyance
répandue dans une certaine classe d’hommes que tout finit au
tombeau ; que l’immortalité est un rêve ; que les
admirables pages de l’Évangile et les écrits des grands
hommes anciens et modernes sur l’immortalité de l’âme ne
prouvent rien, que personne n’est revenu des morts pour nous dire ce
qu’il en est, etc.
Ainsi
de ce que l’immortalité n’est pas prouvée d’une manière
palpable, on conclut à son anéantissement ; mais cet
anéantissement est-il donc prouvé, la science ne nous
démontre-t-elle pas tout le contraire?, les creusets de la
chimie moderne ne nous disent-ils pas clairement que la matière
est indestructible?, que rien ne se perd dans ce monde ?
Comment
voudrait-on donc que l’âme, que l’esprit, ou peu importe le
nom, ce quelque chose qui pense en nous, qui raisonne en nous, qui
commande à cette matière déclarée
indestructible, qui se trouve au plus haut sommet de la hiérarchie
des êtres, comment dis-je, voudrait-on, que cet être
sublime, périsse, s’anéantisse, tandis que la matière
est immortelle?, n’est-ce pas là une contradiction absurde qui
confond la raison, qui choque le bon sens le plus simple ?
Non !
non ! tant que l’homme croira que le suicide met fin à tout, il
aura recours à ce mauvais quart d’heure, pour se délivrer
une fois pour toutes : Absolument comme on sort d’une chambre où
l’on étouffe.
O.
Gumuche