La
polémique Jaurès-Luquet a fait du tort à une
question qui s’est posée dans deux milieux opposés.
Que
faire de pratique, d’imédiatement réalisable ? a demandé
Almereyda, pour la Guerre Sociale, à divers militants
syndicalistes. Que faire dans la prochaine législature?:
— traduisez dans l’intervalle des deux Congrès confédéraux
à venir — s’est demandé Niel.
Que
cette question se soit posée à la fois dans ces deux
milieux, c’est une preuve qu’il existe partout un besoin d’action, de
réalisation. Il faut faire quelque chose. Mais quoi ?
Les
correspondants syndicalistes d’Almereyda ne me paraissent pas très
heureusement inspirés.
L’un
voit « l’œuvre pratique et immédiatement réalisable »
dans la « recherche méthodique de renseignements
techniques » fournissant aux révolutionnaires « le
moyen de répondre par des actes véritablement efficaces
aux provocations patronales ou gouvernementales ».
Que
nous ayons été impuissants à relever,
individuellement ou collectivement, les provocations du patronat ou
des gouvernants, ce n’a été que trop certain au cours
de l’année 1909.
Mais
il me paraît douteux que le moyen préconisé
possède une réelle valeur. Une organisation secrète
de combat me paraît au contraire plus dangereuse qu’utile. Il
ne faudrait pas oublier que quelques mois avant la révélation
du rôle joué en Russie par Azew, ce crapuleux assassin
de toute cette intrépide jeunesse maximaliste, ah ! non il ne
faudrait pas oublier qu’à Paris même le premier essai de
fédération des groupements anarchistes a eu à sa
tête un mouchard.
Si
c’est là la seule action pratique pour 1910, des déconvenues
sont fortement à craindre.
Mais
il est certainement d’autres actions pratiques auxquelles s’attacher
Niel, qui s’entend en programmes discours, vient de faire un nouveau
cadeau au syndicalisme. Quel programme doit adopter la C.G.T.,
s’écrie-t-il dans l’Humanité du 6 janvier. (La
C.G.T. et non pas les syndicats ni les Fédérations.) Il
n’y a que l’embarras du choix : réduction de la durée du
travail ; droit de grève ; travail aux pièces ;
assimilation des maladies professionnelles aux accidents du travail ;
question du chômage ; question des loyers ; question de
l’hygiène, etc.
Quand
il y était, Niel aurait pu sans inconvénient allonger
la liste des revendications ouvrières à faire aboutir
par la C.G.T.
Mais
ce qu’il n’aurait pas dû faire, c’est d’oublier que la C.G.T.
ne peut agir que par les syndicats eux-mêmes et qu’il ne suffit
pas de décider en haut pour qu’on marche en bas.
C’est
à la base, dans les syndicats même, que les militants
doivent poser la question et examiner quel effort il est possible de
demander autour d’eux. Ce ne sont pas les consultations qui vont
manquer cette année : multiples congrès de Fédérations,
congrès de la C.G.T.
La
C. G. T. ne peut évidemment engager une propagande en faveur
d’une revendication très nette que si des organisations lui en
donnent le mandat et si pour leur compte elles se préparent à
agir.
En
somme, la question se trouve reportée devant les syndicats.
C’est à eux de se tâter et parler.
De
tous ces congrès à venir se dégagera-t-il une
volonté à peu près générale sur un
point défini ? Souhaitons-le ardemment et préparons-le
non pas en haut mais en bas et dès maintenant.
L’année
1910 peut être une année d’ardents préparatifs.
Il est certain que les campagnes engagées par les syndicats
d’ouvriers boulangers en faveur de la suppression du travail de nuit,
par les cheminots un faveur du relèvement des salaires, par le
bâtiment en faveur de la réduction des heures de travail
épureront l’atmosphère présente.
Que
ces campagnes se poursuivent, elles réchaufferont les
corporations voisines et nul doute que du Congrès confédéral
de Toulouse puisse sortir non la scission, un moment recherchée
par le Comité d’Union Syndicaliste, mais un vrai programme
d’action, dressé par les organisations désireuses et
capables de tenter un large effort.