La Presse Anarchiste

L’annuaire de la fédération du bâtiment

Dans
quelques jours va paraître l’An­nuaire dont la Fédération
du Bâti­ment a déci­dé la publi­ca­tion pour 1910.
C’est une forte bro­chure d’en­vi­ron 130 pages d’un texte serré.

Dans
une brève pré­face, le Comi­té fédéral
le pré­sente en ces termes :

En
déci­dant la publi­ca­tion de cet Annuaire, la Fédération
a vou­lu créer un nou­vel outil de propagande :

Réunir
dans une forte bro­chure, facile à manier et intéressante
à conser­ver, tous les ren­sei­gne­ments syn­di­caux, utiles aux
mili­tants de nos cor­po­ra­tions et concer­nant la Fédération,
la C.G.T., les Bourses, l’or­ga­ni­sa­tion internationales,
l’or­ga­ni­sa­tion patro­nale, la légis­la­tion intéressant
plus spé­cia­le­ment notre indus­trie, quelques conseils
judi­ciaires ; une liste, mal­heu­reu­se­ment incom­plète, des grands
tra­vaux en cours ou à exé­cu­ter en 1910 et la liste des
ins­pec­teurs du travail.

Dans
un his­to­rique suc­cinct, rap­pe­ler les longs efforts suc­ces­sifs du
pro­lé­ta­riat du Bâti­ment pour arri­ver à se forger
une forte orga­ni­sa­tion syn­di­cale et fédé­rale, qui lui
per­met­tra, en coor­don­nant son action, d’af­fron­ter la lutte avec des
chances accrues de suc­cès et d’al­ler de vic­toires en victoires
jus­qu’à son éman­ci­pa­tion inté­grale. Et, en face,
en quelques pages, racon­ter l’ac­tion du patro­nat du Bâtiment
pour repous­ser les justes et légi­times reven­di­ca­tions de la
classe ouvrière et main­te­nir l’in­té­gra­li­té de
ses pri­vi­lèges capi­ta­listes ; car il est indis­pen­sable de
connaître les forces de l’en­ne­mi avec lequel on est appelé,
à se mesu­rer tous les jours.

Fixer
aus­si, som­mai­re­ment, l’an­née active et ardente que l’on vient
de vivre, où l’on s’est dépen­sé sans compter,
pour que les efforts faits incitent à de nou­veaux efforts,
pour que les leçons du pas­sé, que les vic­toires ou les
défaites pas­sa­gères sti­mulent à plus d’énergie,
à plus de volon­té encore.

Inci­ter
à l’é­tude rai­son­née de son travail
pro­fes­sion­nel, à des vues éco­no­miques d’en­semble, pour
savoir mieux défendre, pour savoir tech­ni­que­ment défendre
son salaire, ses reven­di­ca­tions, pour se pré­pa­rer au rôle
éco­no­mique que le pro­lé­ta­riat est appe­lé à
rem­plir quand il aura secoué son escla­vage économique.

Indi­quer,
par un tableau com­pa­ra­tif des heures de tra­vail, des salaires et du
coût de la vie, dans quelques centres, l’intérêt
que pré­sente l’en­quête déci­dée par le
Congrès de Saint-Étienne pour entre­prendre une lutte
métho­dique pour la dimi­nu­tion des heures de travail.

Certes,
l’œuvre est incom­plète. Mais les cama­rades la juge­ront dans
son ensemble et diront si la pen­sée qui l’a inspirée
est bonne en soi. Pour ses détails, l’a­ve­nir dira où
sont les erreurs, où sont les manques. C’est une œuvre
col­lec­tive qui se par­fe­ra avec le temps.

C’est
donc une forme toute nou­velle de pro­pa­gande, que vient d’a­dop­ter la
Fédé­ra­tion. C’est quelque chose qui vient utilement
com­plé­ter l’or­gane corporatif.

En
publiant la liste et les adresses de ses syn­di­cats, c’est à
une idée de décen­tra­li­sa­tion et de fédéralisme
qu’elle obéit : elle entend faci­li­ter ain­si les relations
directes de syn­di­cat à syn­di­cat et créer entre eux
rela­tions per­son­nelles et intimes, de même sorte que celles qui
se créent dans les syn­di­cats entre mili­tants. Et la Fédération
ne pour­ra que se trou­ver for­ti­fiée des liens de solidarité
qui se trou­ve­ront ain­si entre­mê­lés à l’infini.
D’un autre côté, en déchar­geant le bureau fédéral
de cer­taines besognes fas­ti­dieuses, celui-ci pour­ra consa­crer plus de
temps à des besognes plus importantes.

Bien
sou­vent, au cours de leurs délé­ga­tions, les camarades
ont pu consta­ter com­bien l’or­ga­ni­sa­tion et le fonc­tion­ne­ment de la
C.G.T. étaient incon­nus à pas mal de cama­rades. C’est
pour que ceux-ci, au moins dans nos syn­di­cats, connaissent bien notre
orga­ni­sa­tion cen­trale, que la Fédé­ra­tion insère
dans son Annuaire les sta­tuts de la C.G.T. C’est pour faci­li­ter aux
syn­di­cats nou­veaux l’ac­com­plis­se­ment de la triple obligation
confé­dé­rale qu’elle indique le siège des Bourses
ou Unions confédérées.

C’est
pour que nos cama­rades n’i­gnorent pas non plus les efforts du
pro­lé­ta­riat des autres nations qu’elle donne la liste des
orga­ni­sa­tions cen­trales étran­gères, et notam­ment celles
qui se rap­portent à l’in­dus­trie du bâtiment.

Pour
mieux com­battre son adver­saire, pour savoir où le prendre, il
faut le bien connaître, lui et toute son orga­ni­sa­tion. C’est
pour­quoi l’An­nuaire donne quelques indi­ca­tions sur l’organisation
patro­nale et un court his­to­rique de sa formation.

Et
n’é­tait-il pas inté­res­sant de fixer som­mai­re­ment les
efforts du pro­lé­ta­riat du bâti­ment, pen­dant ces
qua­rante-cinq der­nières années, pour se créer
une forte orga­ni­sa­tion fédé­rale ; de rap­pe­ler, avec les
deux pre­mières ten­ta­tives de consti­tu­tion d’une Fédération
d’in­dus­trie, les rai­sons de leur échec, afin que les leçons
du pas­sé ne soient point per­dues pour l’avenir ?

Et
dans le même ordre d’es­prit, ne fal­lait-il pas noter, dans une
rapide esquisse, comme en un jour­nal de marche de notre armée
pro­lé­ta­rienne, les faits de l’an­née syndicale,
fédé­rale, confé­dé­rale et internationale,
afin de consti­tuer comme un com­men­ce­ment de nos archives et aussi
sur­tout pour sti­mu­ler à de nou­veaux efforts..

À
côté de ces docu­ments, l’An­nuaire contient également
une par­tie pro­fes­sion­nelle, dans le double but, qu’in­dique la
pré­face, de ser­vir à la fois d’arme tech­nique dans les
reven­di­ca­tions actuelles et en même temps d’ha­bi­tuer les
cama­rades à envi­sa­ger le côté tech­nique, le côté
com­mer­cial de l’in­dus­trie où ils sont exploi­tés ; ils
com­men­ce­ront là leur édu­ca­tion économique
pra­tique — tâche impor­tante, — car, après le
triomphe de la Révo­lu­tion, nous serons tou­jours maçons,
char­pen­tiers ou des­si­na­teurs, et nous ne pour­rons assu­rer notre
vic­toire que si notre classe est capable d’as­su­rer la direc­tion de la
pro­duc­tion. Et la Fédé­ra­tion du Bâti­ment entend
pour­suivre la double besogne d’é­du­ca­tion révolutionnaire
et d’ins­truc­tion pro­fes­sion­nelle, ne comp­tant, pour l’une comme pour
l’autre, que sur ses élé­ments, sur son action directe.

Le
Congrès fédé­ral de Saint-Étienne avait
déci­dé une enquête sur les heures de tra­vail dans
notre indus­trie, afin d’en­tre­prendre une cam­pagne méthodique
pour leur dimi­nu­tion. Mais les dif­fi­cul­tés inhé­rentes à
pareille enquête l’ont, jus­qu’à pré­sent, empêché
d’a­bou­tir. En don­nant un tableau, limi­té à quelques
centres, on aper­ce­vra de suite l’in­té­rêt d’une telle
enquête, et les cama­rades sti­mu­lés don­ne­ront un léger
effort pour que cette enquête soit bien­tôt étendue
à tous nos syndicats.

Si
nous n’a­vons aucune confiance dans les lois et le Par­le­ment, nous
esti­mons néan­moins que si, par hasard, il y a dans le fatras
des textes légis­la­tifs ou des décrets des clauses
pou­vant nous ser­vir d’armes, il est bon de nous en ser­vir dans la
mesure de nos forces. C’est pour­quoi l’An­nuaire donne quelques textes
inté­res­sant plus spé­cia­le­ment notre indus­trie et la
liste des ins­pec­teurs du travail.

En
atten­dant l’or­ga­ni­sa­tion métho­dique et ration­nelle des travaux
qui ne sera pos­sible que dans la socié­té que nous
ins­tau­re­rons, il est néces­saire que la Fédération
cen­tra­lise tous les ren­sei­gne­ments rela­tifs à l’exécution
des grands tra­vaux entre­pris par l’É­tat, les départements,
les com­munes, etc., ceci afin de régu­la­ri­ser les mou­ve­ments de
la main-d’œuvre et de se rendre compte par la situa­tion générale
de l’in­dus­trie des mou­ve­ments à ten­ter, des centres où
ils doivent être ten­tés, de régu­la­ri­ser ain­si le
taux des salaires, le chô­mage et les autres condi­tions du
travail.

Dans
aucune des par­ties de son pro­jet, la Fédé­ra­tion n’a
atteint plei­ne­ment son but. Dans son Annuaire ont pu se glis­ser et se
sont presque sûre­ment glis­sées des erreurs, et il y
manque bien des docu­ments. Mais on son­ge­ra que c’est la première
fois que ce tra­vail est ten­té et que l’a­ve­nir et l’expérience,
peu à peu, le met­tront au point.

En
somme, c’est une amorce pour des études plus complètes,
plus sérieuses. La par­tie tech­nique, notam­ment, devra être
éten­due. La par­tie docu­men­taire devra être mise au point
et éga­le­ment éten­due. La Par­tie his­to­rique devra
s’é­tendre aux luttes de nos cama­rades des autres nations.

Mais,
par ce nou­vel effort, la Fédé­ra­tion du Bâtiment,
fidèle à son esprit révo­lu­tion­naire, démontre
qu’à côté de la lutte contre le patronat
exploi­teur elle pour­suit une action d’éducation
pro­fes­sion­nelle et éco­no­mique. Et cette dernière
action, elle la pour­suit non pas pour faire de ses adhérents
d’ex­cel­lentes machines à pro­duc­tion, mais pour en faire des
tra­vailleurs capables de com­prendre leur tra­vail et de l’organiser
pour la pro­duc­tion communiste.

A.
Picart

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