Je ne puis supporter la présence d’Assodyos malgré qu’il se soit parfois réclamé de moi, intellectuellement. C’est que nous différons totalement lui et moi, sur ce qu’il faut entendre par « amitié amoureuse » et que je ne conçois pas qu’on en puisse discourir à la légère, Assodyos, lui, parle toujours de « faire l’amour » et j’en suis arrivé à prendre, pour ainsi dire, cette expression en dégoût. Non pas qu’elle évoque à mon esprit, cette expression, une quelconque idée d’obscénité, mais parce qu’il y revient en homme chez lequel est étouffé tout sens éthique de la vie. J’entends Assodyos ressasser qu’il est excellent, pour la santé féminine, de « faire l’amour », mais il énonce cela superficiellement, oubliant que peut-être en étudiant la question au point de vue biologique, c’est plutôt la maternité qui conditionnerait, chez la femme, la bonne santé. Je sais bien le motif qui meut Assodyos. Je l’ai entendu dire un jour — oui de mes propres oreilles : « ça prend toujours ». Et voilà on nous ne pouvons nous entendre. Assodyos considère toute femme qu’il fréquente, ou a peu près, comme un déversoir, comme de la viande à plaisir, destinée à son plaisir, à lui, mais en se gardant bien de lui faire connaître sa pensée intime, en dissimulant sa voracité derrière une façade doucereuse, sous un vernis mielleux. Il n’est pas de ceux qui se précipitent sur leur proie pour la dévorer, il préfère attendre, telle une araignée, qu’elle vienne choir dans la toile traîtreusement tissée à son intention. Une proie ! Je ne discute même plus avec lui. Je déteste les chasseurs sexuels. Il est de ceux qui, pour assouvir une convoitise passagère, n’hésitent pas a ravaler — en leur esprit et c’est cela le pire — la femme au niveau de la femelle. Une proie, une femelle ! À moins que ce ne soit au niveau d’un paillasson. Ah ! ne lui parlez pas de l’amie tendrement respectée, de l’amie dont on accepte l’affection avec je ne sais quel frémissement de gratitude, parce qu’on comprend que cela ne vous était pas dû, que c’est un privilège qui vous est octroyé. Vous l’amusez. Ne lui partez pas de cette amie, qui ne veut faire le don de sa tendresse qu’a l’être qui la regardera comme son égale, moralement et spirituellement. Il ricanera. Si vous lui dites que vous considérez comme secondaire le désir qui se base exclusivement sur l’attrait de l’apparence extérieure, il haussera les épaules. Si vous exaltez en sa présence la femme qui règle son désir sur la constance, la fidélité, la persévérance affectueuse de l’être qui sollicite ses caresses, sur la persistance, au travers des épreuves, du sentiment que celui-ci lui témoigne, Assodyos éclatera de rire. Il veut que je sois un puritain ou on ne sait quel contempteur de la chair. C’est faux. Il n’est personne au monde qui prise plus que moi la fantaisie voluptueuse, mais je prends au sérieux tout ce qui se rapporte à cet art, si bien que me dégoûte tout ce qui le veut pervertir et faire sombrer dans la fange de l’impureté. Je regarde, moi, « l’amitié amoureuse » comme un état sentimental inaccessible à qui pense bassement, aux égoutiers de la chose sexuelle — comme la conséquence normale, naturelle d’une amitié prolongée, éprouvée, fondée sur le don et l’abandon mutuel du cerveau, du coeur, de la sensualité, d’un sentiment enraciné dans un sol souvent arrosé de larmes, plongeant dans un sous-sol trempé dans les tribulations. C’est lorsqu’une pareille amitié les conditionne que me semblent justifiables et compréhensibles les manifestations érotiques. Si l’idéal pour Assodyos est « la femme qui couche avec n’importe qui », de cette femme-là, moi, je me tiendrai à l’écart, car ma pensée est nette et mon jugement sain. Quelle joie, quelle jouissance amoureuse, quelle extase voluptueuse pourrait-elle m’apporter ? Ce n’est pas parce qu’obéissant à un accès de conformisme moral que je ne puis supporter la présence d’Assodyos, c’est parce que je ne veux pas, en un tel domaine, éprouver la sensation d’un abaissement de ma personnalité. Pas plus qu’éprouver, chez l’amie que j’aime, le sentiment d’une diminution de la sienne. La peine que cela me causerait, Assodyos ne la comprend pas. Il n’y a donc rien de commun entre nous.
Menthor