La Presse Anarchiste

Individualisme et libéralisme

L’in­di­vid­u­al­isme est fondé sur l’in­térêt per­son­nel, il prend pour point de départ l’homme tel qu’il est. Il se base sur des obser­va­tions et non sur des espérances En somme il est réaliste. 

On con­fond — sou­vent à tort — intérêt per­son­nel et égoïsme. L’in­térêt per­son­nel peut s’é­ten­dre à la famille, aux amis, aus­si bien qu’à l’ag­gloméra­tion où l’on évolue, même à la nation dont on fait par­tie. C’est un cer­cle d’af­fec­tion gran­dis­sant à volon­té. Quant à la dif­férence exis­tant entre l’in­di­vid­u­al­iste et l’al­tru­iste pro­pre­ment dit, il réside dans la pos­si­bil­ité de choix que fait et con­serve le pre­mier, alors qu’on con­sid­ère le sec­ond comme capa­ble de se dévouer, indif­férem­ment, à tous les hommes : « il vit pour autrui ». L’in­di­vid­u­al­iste se dévoue selon ce qui lui indique sa con­science, ses incli­na­tions, ses sen­ti­ments ; d’après un critère qu’il établit lui-même ; il restreint le cer­cle des per­son­nes dont l’in­térêt lui sem­ble ana­logue ou supérieur au sien. L’al­tru­isme appa­raît comme une exten­sion illim­itée et sou­vent impré­cise de la capac­ité affec­tive de l’individu. 

Pour l’in­di­vid­u­al­iste, l’in­di­vidu est libre — ou il doit l’être — par con­séquent respon­s­able, la lib­erté ne se con­ce­vant pas sans la respon­s­abil­ité : il lui échet, selon les cir­con­stances, de prévoir, d’or­gan­is­er, de diriger, d’œuvrer, de créer, etc. S’il court des risques, il en sup­porte les con­séquences. Il est — ou se croit — l’ar­ti­san de sa pro­pre des­tinée, le gain est la récom­pense de son mérite. C’est la con­science de sa lib­erté qui fait sa grandeur et son mérite. Il n’y a pas de moral­ité sans déci­sion de la rai­son, stat­u­ant en pleine indépen­dance. Toute morale imposée de l’ex­térieur est non seule­ment absurde, mais tyrannique. 

Je n’ig­nore pas qu’on con­fond volon­tiers indi­vid­u­al­isme et anar­chisme avec cet égoïsme (égo­tisme) étroit, mesquin, sor­dide dont cer­tains se font les apôtres. L’in­di­vid­u­al­isme et l’a­n­ar­chisme ne s’opposent que sur quelques points, telle la pro­priété, et encore faudrait-il exam­in­er cela de près. Après tout les dif­férences que l’on sig­nale entre com­mu­nistes anar­chistes et indi­vid­u­al­istes anar­chistes ont été bien exagérées… On n’in­ter­dit pas la viande parce qu’il y a des goin­fres car­nassiers et je suis de l’avis de M. Barthélémy, écrivant : « L’individualisme n’est pas aveu­gle, il laisse les jambes libres, mais si l’une est cassée, il la met dans le plâtre. Il met les malades à l’hôpi­tal, les fous à l’asile, mais parce qu’il y a des malades et des fous, il n’en­ferme pas toute la nation ». 

Aus­si, en tant qu’in­di­vid­u­al­iste, me proclamé-je libéral ou, plutôt « lib­er­taire », car le terme libéral à telle­ment été gal­vaudé, défor­mé, dénaturé par toutes sortes de per­son­nages sans scrupules qu’on éprou­ve de la honte à se dire libéral, mais le libéral­isme n’a rien à voir avec l’hypocrisie de ceux qui s’en sont servis. 

Le libéral­isme, a‑t-on dit, est la doc­trine selon laque­lle l’homme réalise sa des­tinée par la lib­erté envis­agée comme le principe, le moteur, le moyen du progrès. 

Reste à définir ce qu’il faut enten­dre par « lib­erté » ? D’une manière générale, c’est l’é­panouisse­ment de l’être. Qu’est-ce que la lib­erté d’une per­son­ne ? C’est sa prise de con­science d’elle-même, sa per­fec­tion, son achève­ment — l’ac­cord d’elle-même avec elle-même. La lib­erté de la per­son­ne humaine est sa réal­i­sa­tion en tant qu’in­di­vid­u­al­ité dis­tincte, apte à la déter­mi­na­tion de son des­tin par­ti­c­uli­er, ce qui exige com­préhen­sion, intel­li­gence et volonté. 

Mau­rice Imbard


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