La Presse Anarchiste

L’objection de conscience en Espagne

L’Espagne, sous le régime que vous savez, ne recon­naît aujourd’hui aucun motif d’objection de conscience. Les peines infli­gées sont lourdes et si longues que seule une convic­tion comme celle des témoins de Jého­vah a pu s’en accom­mo­der (10 ans d’emprisonnement et de régi­ment dis­ci­pli­naire en Saha­ra espagnol).

Envi­ron 200 témoins de Jého­vah et 2 adven­tistes sont actuel­le­ment incarcérés.

Le ser­vice mili­taire a une durée de 15 mois et sera éven­tuel­le­ment réduit à 12 mois pour une rai­son de contingent.

Une par­tie non négli­geable de jeunes Espa­gnols se fait soit dis­pen­ser à l’aide d’un cer­ti­fi­cat médi­cal, soit s’expatrie pour une période d’environ 10 ans avec ou sans congé militaire.

Le poids des condam­na­tions a jusqu’à cette année rete­nu les jeunes Espa­gnols, pré­oc­cu­pés de la situa­tion socio-poli­tique de leur pays, de s’attaquer au pilier numé­ro 1 du régime : l’armée. Cepen­dant la concen­tra­tion des actions par­le­men­taires et extra­par­le­men­taires de tous les pays leur assure que, tous les moyens étant mis en œuvre, l’obtention du sta­tut est pour le peuple espa­gnol une ques­tion de temps.

Pour ces diverses rai­sons, trois groupes de sou­tien se sont consti­tués à Valence, Bar­ce­lone et Madrid afin d’engager les asso­cia­tions poli­tiques extra­par­le­men­taires, l’information et les auto­ri­tés dans le débat.

José Beun­za de Valence, que nous appe­lons Pepe, ex-lea­der du syn­di­cat démo­cra­tique des étu­diants, a entre­pris de pré­ci­pi­ter les acti­vi­tés anti­mi­li­ta­ristes dans son pays en se fai­sant arrê­ter publi­que­ment pour insou­mis­sion, sous le motif large et réa­liste de la non-vio­lence. Pepe est « non violent ». Son enga­ge­ment poli­tique pas­sé et actuel est le moteur de son activité.

Pra­ti­que­ment : le but de cette action est d’obtenir la recon­nais­sance de l’objection de conscience en Espagne par l’application d’un sta­tut ouvert à toutes les convic­tions. La pre­mière étape devant conte­nir l’objection reli­gieuse et non vio­lente au moins.

Le régime actuel de l’Espagne ne per­met pas d’entreprendre l’action comme nous l’avons fait res­pec­ti­ve­ment dans cha­cun de nos pays. Je n’insiste donc pas sur l’évidence des impli­ca­tions inter­na­tio­nales de cette action. Voi­ci donc en deux points le cadre de l’action puis l’application du plan des pre­miers mois à venir :

1. Action directe et autres modes extraparlementaires :

Au niveau natio­nal ou régio­nal, l’initiative est lais­sée aux comi­tés et aux orga­ni­sa­tions en place. Pour l’instant toute l’information est cen­tra­li­sée à Genève pour tra­duc­tions et dif­fu­sion internationale.

Au niveau inter­na­tio­nal, l’action sera coor­don­née depuis Londres en coopé­ra­tion avec l’Internationale des résis­tants à la guerre.

Action par­le­men­taire avec l’aide :

a) des auto­ri­tés inter­na­tio­nales (per­son­na­li­tés et organisations);

b) des auto­ri­tés natio­nales (per­son­na­li­tés et Parlements);

c) des auto­ri­tés reli­gieuses natio­nales et inter­na­tio­nales (per­son­na­li­tés, dio­cèses et synodes).

Cette acti­vi­té, dans la mesure des besoins et des évé­ne­ments (arres­ta­tions, pro­cès, etc.), sera coor­don­née depuis Genève.

2 . Ce qui est fait :

Amnes­ty Inter­na­tio­nal a obtenu :

— La pro­messe du gou­ver­ne­ment espa­gnol de « chan­ger la loi sur l’insoumission en faveur des objecteurs ».

— Un pro­jet de loi, adop­té par le Conseil des ministres (mai 70), mais refu­sé par la com­mis­sion de défense du Par­le­ment (les Cor­tès), en juillet 70, et ren­voyé au gou­ver­ne­ment pour une nou­velle pro­po­si­tion. Ce pro­jet ne concer­nait que l’objection reli­gieuse impé­ra­tive (témoins de Jého­vah, adventistes).

L’Organisation des Nations unies (Onu – Uno) se voit pré­sen­ter cette année un pro­jet de réso­lu­tion sur l’objection de conscience et une charte inter­na­tio­nale des objec­teurs. L’Internationale des résis­tants à la guerre est à l’origine de ces projets.

Une confé­rence à Genève, le 30 octobre 1970, don­née par Pepe Beun­za, où sera pré­sen­tée une réso­lu­tion sur l’objection en Espagne, fon­dée sur la réso­lu­tion 337 de l’Assemblée consul­ta­tive du Conseil de l’Europe, la consul­ta­tion par la Com­mis­sion inter­na­tio­nale des juristes du Conseil mon­dial des Eglises, de la Com­mis­sion pon­ti­fi­cale Jus­tice et Paix (Vati­can), ain­si que de Sodepax.

Ce qui est à faire :

Acti­vi­tés natio­nales ou régionales :

Per­ma­nente : pré­pa­ra­tion de textes adé­quats à la poli­tique espa­gnole des­ti­nés à être adop­tés par les auto­ri­tés concernées. 

Acti­vi­tés directes : inter­na­tio­na­li­sa­tion de l’objection lors de mani­fes­ta­tions liées à des évé­ne­ments natio­naux ou régionaux.

Acti­vi­tés internationales :

Per­ma­nente : élar­gis­se­ment des rela­tions par­le­men­taires inter­na­tio­nales dans chaque pays, coor­don­nées au niveau natio­nal et inter­na­tio­nal par un comi­té res­treint pour des ques­tions de communications. 

Acti­vi­tés directes : pré­pa­ra­tion avec les dif­fé­rentes orga­ni­sa­tions inté­res­sées d’actions appli­cables à court terme sur des évé­ne­ments dépen­dant des auto­ri­tés espa­gnoles ou lors d’événements dont il nous reste à prendre l’initiative (arres­ta­tions, pro­cès, mani­fes­ta­tions en Espagne, etc.).

A la fin de cette année, en Espagne, auront lieu l’étude et l’adoption d’un pro­gramme géné­ral pour les trois années à venir.

Qui est Pepe ?

José Beun­za est né en 1947. Il est ingé­nieur agro­nome (a fini ses études en octobre 1970). Il a béné­fi­cié de trois ans de sur­sis au recru­te­ment, pour ter­mi­ner ses études. Ce sur­sis est échu en 1970. Durant les deux der­nières années, d’abord seul puis avec des sym­pa­thi­sants et d’autres futurs objec­teurs, il a réus­si à don­ner un cer­tain nombre de confé­rences et de cau­se­ries dans des col­lèges, des asso­cia­tions d’étudiants et autres groupes de jeunes dont les Amis de l’Arche. Arrê­té trois fois, il est chaque fois relâ­ché après expo­sé de ses convic­tions non violentes.

Au début du mois d’octobre est paru le pre­mier bul­le­tin des groupes de sou­tien en Espagne, dans lequel Pepe expose ses moti­va­tions. Cet expo­sé, qu’il a signé, lui vau­dra pro­ba­ble­ment une incul­pa­tion pour atteinte à la sûre­té de l’Etat.

J. Beun­za rece­vra ses papiers mili­taires en fin de mois de novembre et les retour­ne­ra aux auto­ri­tés pour expri­mer ain­si son refus. Dans ces papiers lui seront indi­qués les lieu et date d’incorporation ; ces points résultent d’une véri­table loterie.

L’incorporation de fait sera pour les mois de jan­vier, mai ou sep­tembre 1971. Pour les témoins de Jého­vah, les pro­cès se déroulent trois ou quatre mois après leur arrestation.

J. Beun­za est le pre­mier Espa­gnol à faire publi­que­ment objec­tion. Pepe est catho­lique, mais c’est de la non-vio­lence qu’il se réclame d’abord. Il refu­se­ra de sor­tir de pri­son par une mesure excep­tion­nelle ou par un sta­tut trop restreint.

Les condam­na­tions se suc­cé­de­ront jusqu’à l’âge de 30 ans, der­nière limite d’incorporation pos­sible, si aucune de nos actions n’aboutit.

(Extrait d’une docu­men­ta­tion four­nie par Jean-Claude Luthi, rue Mont­fal­con 6, 1227 Carouge, Suisse.)

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Lettre aux auto­ri­tés espagnoles

Valence, le 11 juin 1970.

Nous sommes un groupe d’amis inté­res­sés par le pro­blème de l’objection de conscience, cer­tains par­mi nous étant de futurs objec­teurs et, pour cette rai­son, nous vous écri­vons pour vous don­ner notre avis sur le pro­jet de loi que vous êtes char­gé d’élaborer, et pour que vous en teniez compte, si cela vous semble oppor­tun, dans la rédac­tion du rapport.

En recon­nais­sant l’objection pour des motifs de croyances reli­gieuses et à cause des pra­tiques qui en découlent, on fait abs­trac­tion des catho­liques, car leur reli­gion ne l’exige pas, ain­si que de tout motif autre que reli­gieux comme la non-vio­lence, le paci­fisme, les motifs éthiques ou huma­ni­taires, etc., ce qui ne résout pas tous les pro­blèmes qui se pré­sentent à ce sujet, puisque aucun de nous n’est ni témoin de Jého­vah, ni adven­tiste. Nous pen­sons que la loi ne doit pas seule­ment résoudre les cas actuels, mais aus­si les cas futurs. De plus, dans tous les pays d’Europe où l’on recon­naît l’objection de conscience (tous excep­té le Por­tu­gal, la Grèce, la Suisse et l’Espagne) on admet cette plu­ra­li­té de motifs. La recon­naissent aus­si l’Assemblée consul­ta­tive du Conseil de l’Europe et le Concile Vati­can II.

En ce qui concerne le ser­vice dans les uni­tés ou ser­vices spé­ciaux, il existe à l’étranger (France, Suède, etc.) des orga­nismes civils déter­mi­nés qui accueillent les objec­teurs (Chif­fon­niers d’Emmaüs, Ser­vice civil inter­na­tio­nal, Aide aux déshé­ri­tés, mou­ve­ments ruraux, centres de jeu­nesse, minis­tère des Affaires cultu­relles, etc.), et nous aime­rions qu’en Espagne les objec­teurs soient accep­tés par des orga­nismes simi­laires exis­tant déjà, ou d’autres qui réa­li­se­raient des acti­vi­tés ayant les carac­té­ris­tiques suivantes :

— Etran­gères à toute acti­vi­té mili­taire (ni dans l’armée ni pour l’armée). Par exemple, nous n’accepterions pas de ser­vir des repas dans une caserne, alors que nous le ferions dans un asile pour vieillards ou un orphelinat.

— De carac­tère social : aide aux plus déshérités.

— D’une grande varié­té, pour que puissent s’y consa­crer des objec­teurs de tout niveau culturel.

— Qui n’isolent pas de la société.

— Qui ne soient pas du tra­vail intro­duit dans des zones ou des sec­teurs de chômage.

En Espagne, il y a un mil­lion d’enfants sans écoles et presque deux mil­lions d’analphabètes. L’alphabétisation serait le ser­vice civil le meilleur et le plus urgent, à condi­tion de ne pas por­ter pré­ju­dice aux ins­ti­tu­teurs en quête d’emploi.

A Valence, il existe une grande dis­pro­por­tion entre le nombre très éle­vé des bars et celui, minime, des centres cultu­rels, car ces der­niers fonc­tionnent au ralen­ti faute de res­pon­sables et d’animateurs.

D’autres ser­vices civils pour­raient être :

— Le tra­vail dans les Auberges de jeunesse.

— Des tra­vaux fores­tiers (coupe-feu, reboi­se­ment, etc.).

— L’archéologie.

— La remise en état de routes dans les régions à mau­vaises com­mu­ni­ca­tions, etc.

Ce ne sont que de simples sug­ges­tions pour le ser­vice civil. Nous pen­sons que vous connais­sez mieux que nous les besoins du pays. Nous vou­lons enfin vous rap­pe­ler que, à par­tir du moment où la loi recon­naît le sta­tut d’objecteur de conscience, le ser­vice civil n’est plus consi­dé­ré comme une sanc­tion, mais comme un rem­pla­ce­ment au ser­vice mili­taire, et qu’on doit le limi­ter à une juste pro­por­tion quant à sa durée, son inten­si­té, etc. Nous consi­dé­rons que trois ans sont exces­sifs, car cela res­semble à une sanc­tion, et que deux ans seraient suf­fi­sants pour garan­tir l’honnêteté d’intention des objecteurs.

En même temps, on devrait pré­voir, comme dans tous des pays, les cas d’objecteurs abso­lus, c’est-à-dire ceux qui refusent même le ser­vice civil, pour qu’ils aient des peines de pri­son fixes et pro­por­tion­nelles au ser­vice mili­taire, et non la pri­son conti­nue comme c’est le cas actuellement.

Dans l’espoir que cette lettre retien­dra votre atten­tion, nous vous remercions. 

Pour le groupe : Pepe Beun­za, Cis­car 42, Valen­cia – 5. 

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