— « La paix partout dans le monde…», supplément (16 pages) à « Liberté », 20, rue Alibert, Paris – 10e.
— « Pensées » d’Anarin, 128 pages, Nouvelles Editions Debresse, 17, rue Dugay-Trouin, Paris‑6e. « Si nous sommes tous égaux devant la loi, alors il n’y a pas de doute : elle a aussi un derrière. » « L’armée est au service de la nation quand ce n’est pas l’envers. »
— « Les cahiers Spartacus » (René Lefeuvre, 5, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, Paris – 4e) ont publié dans leur numéro 35 B d’août 70 deux travaux de Jean Barrué : « l’Anarchisme aujourd’hui » et la traduction d’un inédit de Bakounine : « la Réaction en Allemagne» ; prix 6 F.
L’anarchisme aujourd’hui
« L’Anarchisme aujourd’hui » est une étude faite dans le même état d’esprit que celle de Nicolas Walter que nous avons publiée, c’est-à-dire que le mouvement et les principes anars y sont étudiés de l’intérieur. C’est dire aussi que l’auteur vise moins à une prétendue objectivité qu’à l’efficacité de la clarté, et il laisse volontairement dans l’ombre les aspects historiques de l’anarchisme pour se livrer à une réflexion sur les thèmes de pensée et d’action (ou d’inaction!) du mouvement.
Barrué se distingue de Guérin par sa méfiance à l’égard du marxisme même quand il y trouve des aspects positifs. De toute façon, il articule son travail autour d’une hostilité irréductible au marxisme-léninisme, et il explique les succès des M.-L., des trotskistes, etc., et le bénéfice qu’ils ont tiré seuls de mai 68, alors que l’esprit de cette période contenait plus de germes libertaires que léninistes, par le manque de combativité des anars et leur répugnance à recruter des jeunes qui sont allés ailleurs. Il déplore d’ailleurs l’activisme de ces jeunes qui les conduit à aller rêver d’autogestion chez les partisans de la dictature du parti la plus absolue, quel que soit le « dieu » qu’ils vénèrent.
La dispersion des anars dans des groupes spécialisés contribue aussi selon Barrué à leur inefficacité. Dans l’ensemble voilà une présentation sérieuse des idées forces de l’anarchisme avec toutefois une conception assez traditionnelle sur la violence et une assimilation de la non-violence à la capitulation qui montre qu’il n’a jamais lu ANV ! Je cite : « Faut-il, sous prétexte de non-violence, tout supporter et capituler par avance pour éviter tout acte de violence de notre part ? »
La réaction en Allemagne
Il s’agit là du premier essai de Michel Bakounine, publié en 1842 : il y développe une réflexion « gauchiste » sur la pensée hégélienne et en particulier sur sa dialectique en trois points :
- Affirmation ou principe positif (thèse).
- Négation ou principe négatif (antithèse). Bakounine en fait l’élément actif, révolutionnaire de la contradiction.
- Négation de la négation qui supprime les deux principes antagonistes tout en conservant la totalité de leur contenu et en s’élevant à une affirmation supérieure.
Dans l’essai de Bakounine, le parti réactionnaire et le parti démocratique se résoudront « en un monde nouveau pratique et spontané, en la présence réelle de la liberté ». Cependant Bakounine ne cache pas que, pour lui, seul l’élément négatif a une valeur en soi, c’est lui seul qui contient en puissance les forces créatrices du monde nouveau. Maintenant il suffit de lire ce texte pour voir que, pour Bakounine, cette table rase qu’il souhaite n’est pas nécessairement une Apocalypse mais plutôt une destruction radicale des institutions, une nouvelle nuit du 4‑août, et aussi une victoire sur l’ennemi qui est en chacun de nous, ce qui en fait l’inspirateur de la formule de Mai : « Chassez le flic de votre tête », et le rend beaucoup plus proche qu’on eût pu l’imaginer des conceptions non violentes. « Nous devons agir non seulement politiquement, mais aussi religieusement, ce qui signifie avoir la religion de la liberté dont la seule expression authentique est la justice et l’amour. Oui, c’est à nous — qu’on traite d’ennemis de la religion chrétienne — c’est à nous seuls qu’est réservée cette tâche dont nous nous sommes fait le devoir suprême : pratiquer effectivement l’amour même dans les combats les plus acharnés, cet amour qui est le plus haut commandement du Christ et le principe unique du vrai christianisme. » On est loin des bains de sang et des massacres dont on en a voulu faire l’apôtre !
Toutefois cet amour n’a rien à voir avec une conciliation jésuitique, il pourfend les modérés « centristes » d’alors et leur applique une boutade employée au moment de la révolution de Juillet : « Le côté gauche dit : deux fois deux font quatre ; le côté droit : deux fois deux font six… et le juste milieu dit : deux fois deux font cinq ».
Michel Bouquet
* * * *
— « Mon point de vue sur… l’anarchisme », par Thierry Legrand, bibliothèque de travail ; institut coopératif de l’école moderne, pédagogie Freinet 1970 ; mensuel, 78 pages. ICEM, place Henri-Bergia, 06 – Cannes.
— « Les Héritiers infidèles » par Claudius Vaultier ; c’est le propos d’un libre penseur non violent, 172 pages. C. Vaultier, pointe du Roc, 50 – Cranville.
— La Tour de Feu, n° 105, Pierre Boujut, 16 – Jarnac.
Dans le cadre des échanges entre revues, TdF et ANV se font du troc. Faut-il voir en cela un appel à la Pub(licité)? Pourquoi pas ? Tout simplement et tout bêtement un besoin — tout naturel — d’élargir son public.
Pour ma part, la Tour de Feu m’a toujours retenu quelques minutes de plus, dans mes errances de librairie en librairie, histoire de voir les nouveautés (d’en faucher une si possible) et de paraître au courant. Tiens salut, … dis… t’as lu dans la dernière TdF… l’article… de Boujut ? Une fois j’ai même poussé jusqu’à commander le n° 47 (Henry Miller)… épuisé… m’a répondu 15 jours plus tard… le charmant libraire… avec un sourire contrit.
On peut, je crois, dire que la Tour de Feu se donne deux objectifs :
- Faire connaître des poètes — peu ou prou — inconnus.
- Analyser et critiquer des parutions poétiques ou qui se veulent telles.
La première partie nous semble la meilleure, et la plus méritoire. Dans le n° 105, dédié à Claude Le Maguet, pas grand-chose à dire, sinon remettre la médaille de carton d’ANV en espérant que le récipiendaire ne se croira pas, pour cela, aux marches du palais et qu’il continuera son œuvre.
Côté critique… La Tour de Feu n’est qu’une publication parmi tant d’autres qui exploitent la mine d’or poésiaque. On y retrouve le même déchaînement verbalistique de nos adeptes telquéliens [[Tel Quel : Revue très sérieuse ; trop sérieuse. A lire les soirs de fiesta. De préférence envoyer les enfants se coucher.]]
Notons au passage : La Chronique de Christian Prigent : Psittacisme, Sinapisme, Poésie.
C’est avec toujours la même angoisse que je lis les soliloques de nos proseurs. Les phrases, perfides à la Tel Quel : « La poésie est inadmissible » me ravagent les tripes.
Une évidence : « La poésie est une inscription réalisée dans un objet » me contriste. Car… mon cher Prigent, la poésie, quelle soit hiéroglyphique, sémitique ou mitique, ne peut se réduire à sa matérialité pure et simple.
Mais entièrement d’accord avec toi : une inscription : graffitis, marque céleste de l’urine acide sur le mur de ma chambre, signes, chiffres, dessins, Objet : la rue avec ses pavés glorieux et volants, le papier… PQ, journal, papier gras du charcutier…
Oui, Prigent, « la poésie est une inscription sur un objet ».
Mais toute inscription n’est pas poétique… et tout objet n’est pas support digne de nos fientes.
Exemple : la publicité des couloirs, air conditionné, de notre métro avant que la main anonyme n’y applique son trait blasphémateur… La poésie… restera toujours une pureté, dans l’acte… d’inscrire son signe…
Dominique Morel