La Presse Anarchiste

Recherches libertaires

 

Pro­posée
au con­grès de la Fédéra­tion anar­chiste en 1964,
par le groupe de Stras­bourg, la rubrique « Recherches
lib­er­taires » du men­su­el de la FA le Monde lib­er­taire, se
voulait l’expression écrite de groupes de recherch­es issus
de la fédéra­tion ; ces groupes — qui finale­ment ne
virent jamais le jour, les « anciens », à quelques
rares excep­tions près, pos­sé­dant la vérité,
ne voy­aient aucun intérêt à la chose, les
« jeunes », eux, n’avaient pas le temps… — ces
groupes donc, se pro­po­saient la recherche, la tra­duc­tion, la
présen­ta­tion de travaux, d’études restés peu
con­nus, la con­fronta­tion des hypothès­es et analyses
fon­da­men­tales de l’anarchisme avec les méth­odes et
acqui­si­tions des sci­ences humaines et sociales actuelles, la
recherche sys­té­ma­tique. Il s’agissait donc de combler un
vide qui se fai­sait et se fait encore sen­tir. Mal­gré l’échec
au niveau des groupes, quelques mil­i­tants se mirent individuellement
à la tâche, quelques arti­cles parurent dans le ML,
les résul­tats furent des plus min­imes, seul un groupe
parisien, « la Tri­bune d’action cul­turelle », con­tribua à
la con­tin­u­a­tion de l’expérience. Expéri­ence, qui
s’attirant l’hostilité de nom­breux cama­rades de la FA,
pou­vait dif­fi­cile­ment se pour­suiv­re par le biais du ML. Dès
le con­grès de 1966, l’offensive en règle est menée
con­tre une ten­ta­tive man­i­fes­tant l’ambition suspectée
d’intégrer à l’anarchisme des idées
extérieures.

Changeant
alors leurs bat­ter­ies, la TAC et Stras­bourg pro­posent la création
d’un bul­letin pub­liant des arti­cles jugés trop « arides »
pour le ML, ou sus­pects d’hérésie.
Curieuse­ment, cette propo­si­tion provo­qua un mou­ve­ment d’intérêt
inat­ten­du, cristalli­sa­tion — momen­tanée — des oppositions
au sein de la FA. En décem­bre 67, RL, n° 1, verra
le jour. Dans ce numéro, les cama­rades se définissent
comme suit :

Présen­ta­tion

« Ce
bul­letin a l’ambition d’être le sup­port d’une véritable
dis­cus­sion théorique au sein du mou­ve­ment lib­er­taire. Si nous
ressen­tons le besoin de cette dis­cus­sion, c’est que nous
con­sta­tons, que les anar­chistes sont bien sou­vent désarmés
lorsqu’il s’agit de faire une analyse poli­tique ou lorsqu’il
faut se situer par rap­port à cer­tains mou­ve­ments, comme par
exem­ple l’existentialisme, le sur­réal­isme, le syndicalisme,
le sit­u­a­tion­nisme. L’analyse se trou­ve sou­vent escamotée par
une mécon­nais­sance des faits et des idées, ce qui
con­duit à un rejet ou un engoue­ment aus­si fac­tices l’un que
l’autre. Nous pen­sons qu’un exa­m­en des différents
mou­ve­ments et des idées pro­pres au XXe siè­cle doit
précéder toute analyse poli­tique. C’est pourquoi nous
nous atta­chons, dès ce pre­mier numéro, à
quelques thèmes qui nous parais­sent essen­tiels : psychanalyse,
marx­isme-anar­chisme, syn­di­cal­isme. Cette liste n’est nullement
close. Nous pen­sons que l’élargissement du cer­cle de
dis­cus­sion amèn­era d’autres thèmes essentiels.

La
dis­cus­sion doit s’engager à tra­vers ces ques­tions, ne peut
être le fait d’un petit groupe, aus­si bien pour des raisons
pra­tiques évi­dentes que pour des raisons théoriques :
toute dis­cus­sion lim­itée à un petit cénacle
aboutit au dog­ma­tisme et au court-cir­cuitage d’une par­tie des
prob­lèmes. Nous avons pré­cisé qu’il n’y
aurait aucune cen­sure. Il est cepen­dant évi­dent que pour des
raisons matérielles une pri­or­ité sera don­née aux
arti­cles qui apporteront des élé­ments aux discussions
en cours. Une dis­cus­sion est d’abord un échange, il serait
peu effi­cace que cha­cun exprimât ses idées sans tenir
compte de celles des autres. Le but de ce bul­letin est d’arriver à
des syn­thès­es qui per­me­t­tent. alors de s’exprimer vers
l’extérieur. »

Encore
l’histoire

La
petite d’abord…

Sur
la lancée de la déc­la­ra­tion que vous venez de lire plus
haut, RL con­fec­tion­né par les soins des cama­rades de la
TAC parut qua­tre fois ; à la paru­tion du quatrième
numéro un petit événe­ment bous­cu­la les anars : la
scis­sion de la FA. La TAC, comme Stras­bourg et bien d’autres
groupes, se retrou­vèrent dans la nature, ten­tèrent une
liai­son « scis­sion­niste » qui dura ce que durent les
ros­es… et se posèrent la ques­tion de savoir s’il fallait
con­tin­uer ou pas :

« Pour
ce qui est de RL, il nous faut replac­er cette ten­ta­tive dans
une per­spec­tive révo­lu­tion­naire. Ini­tiale­ment bul­letin de
dis­cus­sion lim­ité aux anar­chistes, il a attiré des
lecteurs, et quand nous dis­ons lecteurs nous enten­dons des camarades
désireux de con­naître les idées anar­chistes et
les posi­tions anar­chistes sur les prob­lèmes actuels. RL
tel qu’il est conçu ne peut rester dans cette ambiguïté.
Devons-nous lim­iter notre dif­fu­sion au milieu anar ? Devons-nous
essay­er de pos­er les prob­lèmes dans ce cadre ? Une discussion,
une com­mu­ni­ca­tion est-elle pos­si­ble aujourd’hui dans le milieu
anar­chiste ? Devons-nous essay­er de pos­er les ques­tions par-delà
les tra­di­tions anar­chistes ? Quel sens pour­rait avoir une
com­mu­ni­ca­tion avec les autres grou­pus­cules révolutionnaires ?
RL n’est-il pas en fait une sur­vivance de ce qu’a été
l’anarchisme ces dernières années : une étiquette,
un dra­peau, une idéolo­gie qui donne une réponse à
tout sans s’interroger sur elle-même…»

La
réponse à toutes ces ques­tions ne tar­da pas, la TAC
renonça à la con­tin­u­a­tion de RL malgré
l’opposition du groupe de Stras­bourg qui reçut l’héritage
en essayant de pour­suiv­re l’expérience. Parut alors, début
68, un numéro spé­cial « Pourquoi continuer »
qui repré­cise la volon­té de recherch­es, de dialogues
(l’ouverture dans la con­ti­nu­ité, quoi!):

« Nous
voulons nous aus­si dévelop­per le dia­logue, mais en acceptant
que les lecteurs n’entrent que peu à peu dans le jeu. Nous
savons que dif­férents cama­rades pour­suiv­ent des recherch­es sur
l’anarchisme, son his­toire, sur les champs d’études
qu’offre à la pen­sée lib­er­taire le mou­ve­ment des
sci­ences de l’homme. Nous voulons leur offrir un moyen
d’expression, un out­il de tra­vail, nous voulons développer
un tra­vail d’équipe. Et nous sup­posons que ces contributions
pour­ront être pour d’autres un moyen d’information, une
inci­ta­tion à la réflex­ion et à la discussion.
Nous essayerons d’échapper à l’asphyxie du petit
céna­cle en provo­quant des apports, en nous adres­sant à
dif­férents groupes pour leur deman­der d’exposer leurs
con­cep­tions, leurs méth­odes d’action… En schématisant
à l’excès nous pour­rions dire qu’une attitude
volon­tariste suc­cède à une atti­tude spontanéiste.
Nous croyons moins en la pos­si­bil­ité de notre entre­prise qu’en
sa néces­sité. Ceci dit, nous reprenons à notre
compte cer­taines des règles définies par la TAC :

Ne
par­ler que si l’on a quelque chose à dire.

Ne
par­ler que de ce que l’on connaît.

Ne
par­ler que si l’on essaie d’être entendu.

Ne
par­ler que si l’on a des chances d’être entendu.

La
grande…

La
dis­cus­sion à peine entamée autour des pris­es de
posi­tions du numéro spé­cial « Pourquoi continuer »,
voici qu’éclate la « Révo­lu­tion de Mai ».
Nous ne nous en plaignons pas… mais celle-ci nous a con­duits un
moment à l’hésitation, et puis d’autres
préoc­cu­pa­tions nous ont fait oubli­er RL un temps. Un
temps seule­ment, très vite nous nous sommes con­va­in­cus que
notre ten­ta­tive deve­nait plus néces­saire que jamais. Nous
l’avons résumée une fois de plus dans le numéro
5 paru fin 69 : « Nous avons reçu un cer­tain nom­bre de
répons­es mais c’étaient tou­jours des let­tres de
lecteurs, et non de col­lab­o­ra­teurs. Nous tenons bien sûr à
être lus. Nous tenons aus­si et surtout à publier
d’autres textes que les nôtres, à provo­quer des
dis­cus­sions et des études, à con­stituer des réseaux
de cor­re­spon­dants et des groupes de travail ».

Depuis
ce cinquième numéro, nous avons enfin vu s’amorcer
deux débats de nature dif­férente, l’un autour du
texte de notre cama­rade Cohen­ny (« Respon­s­abil­ité sociale
de l’architecte »), l’autre autour de celui de Furth
(« L’anarchie pos­i­tive »). Le six­ième numéro
qui vient de paraître est essen­tielle­ment com­posé de ces
débats.

Le
grand nom­bre de deman­des d’échange de revues qui nous a été
demandé depuis le début de l’année, les
con­tacts qui s’établissent avec la « Tendance
anar­chiste com­mu­niste du MR », avec « Anar­chisme et
non-vio­lence » , avec le Cen­tre inter­na­tion­al de recherche sur
l’anarchisme, etc., nous font espér­er que le débat
n’est pas près d’être clos, que nous touchons…
peut-être au but, que nous avons eu rai­son de nous accrocher à
cette entre­prise qui pour­rait débouch­er sur une revitalisation
d’une véri­ta­ble cul­ture libertaire.

Som­maire
de RL, n° 6 :

Édi­to­r­i­al,

Quelques
con­sid­éra­tions métathéoriques suiv­ies de « Note
sur anar­chisme et marxisme »,

Sur
la « théorie anar­chiste spécifique »,

Un
marx­isme libertaire ?

Un
anar­chisme réformiste ?

L’individualisme
social,

Wil­helm
Reich aujourd’hui,

La
respon­s­abil­ité sociale de l’architecte.

A.
Piron, 10, rue Joseph-Wey­d­mann 67, Stras­bourg-Mein­au.
Abon­nement
(4 numéros): 10 francs. Le numéro 2,50 F.


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