Le Comité parisien de soutien aux objecteurs de conscience (CPSOC) lutte principalement contre la militarisation. Cette lutte, pour la plupart d’entre nous, fait partie du processus révolutionnaire en cours.
Dans ce cadre, il serait intéressant pour nous, semble-t-il, de connaître d’autres facettes qui s’inscrivent dans la dynamique révolutionnaire. Il en est certaines, parmi d’autres, qui sont appelées à nous intéresser principalement. Ce sont les luttes qui se déroulent à propos de l’éducation et parmi celles-ci, celles concernant les crèches. Aussi ce texte essaiera-t-il d’éclairer la situation des crèches sauvages, en particulier, celles du centre Censier.
Tout d’abord, crèches sauvages : action révolutionnaire ou réformisme ?
Pour moi, les crèches sauvages, si la lutte est bien menée (et les dangers d’égarement sont grands), sont un aspect réel et concret de la lutte révolutionnaire contre l’idéologie bourgeoise transmise par l’éducation, et ce dès le plus jeune âge, contre la conception que donne le système mécanisé et autoritaire, la société capitaliste en ce qui nous concerne, par l’intermédiaire des parents, enseignants, éducateurs, cette conception de la femme, de l’enfant, de la famille.
Ce que les crèches sauvages remettent également en cause, c’est la cellule familiale, instrument de transmission de l’idéologie dominante : les rapports sont des rapports d’autorité, de répression généralisée (créativité, sexualité…).
C’est donc une remise en cause, sur un problème précis, de cette société.
Pratiquement, les crèches sauvages, par leur création, leur orientation politique (organisation matérielle, orientation « pédagogique »), visent à transformer progressivement et radicalement les mentalités en présence, enfants-adultes, enfants entre eux, adultes entre eux, et à permettre à tous, parents, étudiants et autres, une prise de conscience des possibilités de réalisation que peut leur offrir la crèche.
Création
Par la poussée de la base, parents, militants, des « crèches » ont été créées dans diverses facs, Beaux-Arts, Censier, Nanterre… après occupation de locaux et de bureaux administratifs.
Aux Beaux-Arts, à Censier, à Nanterre, les parents et militants se sont regroupés en associations loi 1901.
A Censier, ce fut le CAEC (Centre d’activité des enfants de Censier) dont les principes alors étaient les suivants :
- Gratuité.
- Encadrement mixte.
- Ouverture sur le quartier (à ses problèmes).
- Ouverture toute la semaine (sauf le dimanche).
- Heures d’ouvertures souples adéquates aux besoins des parents. Possibilité d’amener et de reprendre son enfant quand on le désire.
- Intervention des parents dans la vie de la crèche.
- Accueil des enfants de 1 mois à 6 ans sans séparation par classe d’âge (ce point, entre autres, est actuellement sérieusement discuté vu son caractère limitatif — l’appellation même de crèche semble fausse pour certains).
Quoiqu’elles ne soient pas totalement acceptées (surtout à Censier), leur existence est néanmoins une réalité.
Orientation politique
J’entends par là non pas choix d’une idéologie partisane mais un changement de vie en application avec ses idées. Il s’agit d’appliquer, de vivre la révolution.
L’action quotidienne de la crèche est politique car la politique se fait chaque jour et non pas de 6 à 8 h où le dimanche du vote, c’est cela qu’il faut comprendre, qu’il faut vivre.
Organisation matérielle
A vrai dire, il n’y en a pas. Les gens qui s’occupaient de la crèche se chargeaient des tâches matérielles (préparation des repas, vaisselle, courses…) sans planning, sans préparation. Les résultats ne correspondirent pas aux désirs de certains.
Orientation pédagogique
Si l’on peut désigner notre conception de l’éducation par ce mot.
Tracée dans ses grandes lignes, elle reste à préciser.
Ses buts (dans mon optique précisément, je tiens à le préciser afin de ne pas impliquer les autres camarades quoique nous devrions nous retrouver en général sur cela): développer l’enfant, encourager ses initiatives, de préférence collectives, supprimer cette peur de l’autorité, de l’adulte, peur de faire, de créer, de s’épanouir, de vivre.
Il s’agit d’«amener » l’enfant à la possibilité d’exercer librement son choix. L’un des buts de la crèche est d’aider les enfants à devenir responsables. Pour que cette action soit efficace, il est donc primordial que l’action entreprise au sein de la crèche soit profondément coordonnée avec l’éducation familiale, d’où la nécessité d’une intervention permanente, d’une prise de responsabilité des parents à la crèche.
Vos enfants ne sont pas vos enfants
Historique de la crèche Censier
Le début de l’action crèche à Censier remonte en juin 1969, en mai 1968 pour les crèches sauvages (Sorbonne). Mais, à Censier, la véritable action s’est engagée en novembre dernier par l’occupation de salles de cours, de bureaux, notamment, celui du directeur du Centre. A la suite de cette lutte, l’administration et le conseil paritaire de gestion ont accepté le principe d’une crèche à la fac de Censier et ont fait aménager des locaux (lavabos, mini-WC, douches, cuisine) à l’intérieur du centre. Installation prévue provisoire !
Cependant, dès la rentrée de Noël, le Conseil de gestion et l’administration ont essayé de récupérer la crèche. Sans donner de réponse aux demandes de postes d’éducateurs formulées par trois personnes (deux femmes — un garçon) militants du CAEC, ils installent d’abord une puéricultrice, puis, une semaine plus tard, deux aides-puéricultrices et une jardinière d’enfants. La menace de récupération de la crèche par les autorités devient évidente. Très vite, la situation devient difficilement supportable. Après avoir discuté avec le personnel proposé par la fac et devant l’échec d’accord (il ne pouvait y en avoir), les militants renvoient les puéricultrices.
Après cela, le conseil de gestion (à majorité PC) et l’administration, après une tentative de reprise de la crèche, portent plainte contre le CAEC pour occupation illégale de locaux, entrave au fonctionnement d’un service public et dégradation de matériel (les murs ayant été repeints de couleur moins neutre.).
Depuis la rentrée de Noël, donc, des parents, des militants révolutionnaires ont occupé illégalement et se sont efforcés de faire fonctionner une crèche révolutionnaire à l’intérieur de la faculté Censier. Malgré une tentative d’intimidation de la part des autorités par la force (des flics investirent la crèche et tentèrent vainement de relever les identités des personnes présentes), cette occupation, se poursuivit avec des hauts et des bas, et l’un des objectifs, plus ou moins négligé il faut dire, fut la prise en charge de la crèche par les parents concernés.
Objectif non réalisé et qui provoqua, à la rentrée de Pâques, le départ de quelques militants et parents qui, par là, voulaient hâter cette prise en charge des parents en les mettant devant leurs responsabilités. Les autres militants et parents ne pensèrent pas que c’était une bonne tactique. Pour eux, cette prise de « pouvoir » des parents (nécessaire), pouvait s’effectuer avec les militants permanents, en collaboration avec eux. Pour cela, des propositions furent faites, dont l’une fut l’organisation matérielle de la crèche afin de s’assurer, par là même, une base solide, favorable et l’extension de l’action sur le quartier, à partir d’un point concret. Cette proposition, il faut bien le dire, ne suscita pas la motivation désirée.
Une réunion rassembla les deux tendances, réunion qui souligna le désaccord notamment quant aux moyens d’action, sur le quartier principalement. Donc, deux conceptions d’intervention sur le quartier :
- Celle des camarades ayant quitté la crèche. Diffusion de tracts sur des thèmes intéressant directement le quartier, visites à domicile.
- Intervention à partir des parents du quartier qui fréquentaient la crèche. Ces parents provoquant des discussions avec leurs amis, leurs voisins afin de les sensibiliser, d’obtenir un contact sûr, une connaissance réelle des problèmes urgents et quotidiens qui se posent à ces personnes. Principe de l’enquête ouvrière.
La première équipe a commencé à diffuser son premier tract. Depuis cette réunion, la situation à la crèche s’est détériorée de jour en jour : non seulement les parents ne se sont pas plus engagés, à quelques exceptions près (toujours les mêmes), mais on a pu assister au contraire à une démobilisation générale. Seuls, certains parents et militants continuaient à assurer les permanences. Aussi, la question que se posèrent les militants fut : est-ce que notre présence à nous militants a raison d’être si elle ne repose pas sur une base solide : la responsabilité engagée des parents à titre égal ?
Donc, en réponse à cela, les militants ont commencé une grève pendant laquelle une table sera tenue avec les divers textes explicatifs, permanences assurées par des militants et parents prêts à discuter. Une réunion est prévue, réunion décisive pour l’avenir de la crèche. Si les parents ne réagissent pas positivement, la crèche sera interrompue et l’action pourra, c’est le désir de certains, être orientée différemment, toujours avec les locaux qui ne seront pas rendus à la fac. Donc, actuellement, ce n’est pas une crèche qui est occupée mais des locaux militants.
Cette tribune, comme les autres, de connaissance, de réflexion, de contacts sur divers aspects de la lutte révolutionnaire ne peut être bénéfique, intéressante et enrichissante que si des lecteurs nous écrivent, nous posent des questions, nous font part de leur propre expérience dans tous les domaines (toutes les luttes sont liées).
Nous attendons les lettres de tous ceux qui se sentent concernés, intéressés.
Dominique Binzenbach