La Presse Anarchiste

Un débat marxisme-non-violence

[(En 1966, Dave Dellinger — paci­fiste améri­cain et directeur du men­su­el Lib­er­a­tion — et Isaac Deutsch­er — biographe de Trot­sky et l’un des grands spé­cial­istes des ques­tions sovié­tiques — se ren­con­traient à la tri­bune de man­i­fes­ta­tions con­tre la guerre du Viet­nam. Dellinger, qui est un paci­fiste révo­lu­tion­naire et lib­er­taire, fut frap­pé par les argu­ments de Deutsch­er et pro­posa une con­fronta­tion à ce dernier sur le thème de la non-vio­lence, en com­pag­nie d’A. J. Muste un des grands noms de la tra­di­tion paci­fiste améri­caine. L’entretien eut lieu, non sans pas­sion ; mal­heureuse­ment, la mau­vaise qual­ité de l’enregistrement ne per­mit pas sa pub­li­ca­tion immédiate.
Quand Dellinger reprit la bande, en juil­let 1969, Muste et Deutsch­er étaient morts. Le texte valait tout de même la peine d’être pub­lié, mal­gré les coupures et le manque de retouch­es. Que cela excuse les phras­es par­fois mal­ha­biles, les red­ites. Nous avons jugé intéres­sant de le traduire, en espérant une fois de plus ouvrir le débat par­mi nos lecteurs. L’interprétation que donne Deutsch­er de la révo­lu­tion russe est dis­cutable ; ce qui nous a surtout sem­blé intéres­sant, ce sont les élé­ments qu’il apporte à la con­cep­tion d’une révo­lu­tion sans fusils, et à la dialec­tique entre la volon­té des hommes et le poids de l’Histoire.
M. M.)]

Dave Dellinger : Nous nous pro­posons de défi­er, sur le ter­rain d’une non-vio­lence révo­lu­tion­naire, ce théoricien révo­lu­tion­naire accom­pli qu’est Isaac Deutsch­er. Je pars de l’idée que la non-vio­lence n’est pas encore suff­isam­ment dévelop­pée, qu’elle ne peut être pleine­ment appré­ciée ou com­prise sous sa forme actuelle qui ne révèle pas son vrai poten­tiel. Je crois qu’on peut dire la même chose du social­isme à un cer­tain stade ; il y a eu le stade pré-marx­ien du social­isme chré­tien et dif­férentes formes de ce qu’on appelle le social­isme roman­tique. Puis il s’est gradu­elle­ment sophis­tiqué, il a peu à peu mûri. Je crois que le même proces­sus doit se pass­er dans la non-vio­lence ; mal­heureuse­ment, les marx­istes révo­lu­tion­naires ont ten­dance à écarter la non-vio­lence comme arme révo­lu­tion­naire, sous ses for­mu­la­tions les plus anci­ennes et les plus primitives.

De la non-vio­lence comme témoignage sym­bol­ique, ou comme voca­tion par­ti­c­ulière d’un petit groupe de gens séparés en quelque sorte du reste de la société par leur for­ma­tion religieuse, on a passé à un type de non-vio­lence déter­minée à chang­er le cours de l’histoire, à trans­former réelle­ment les événe­ments ; cette déter­mi­na­tion est aus­si forte et aus­si totale que les instincts révo­lu­tion­naires des révo­lu­tion­naires non paci­fistes du passé. Pen­dant la guerre de Corée, j’ai soumis à l’une des organ­i­sa­tions paci­fistes dont j’étais mem­bre un rap­port attaquant les posi­tions améri­caines, et j’ai été hor­ri­fié de décou­vrir que même cer­tains dirigeants de l’organisation soute­naient vrai­ment la cause améri­caine, mais pen­saient que ses buts devaient être pour­suiv­is par des moyens non vio­lents au lieu de moyens vio­lents. Cette idée de la non-vio­lence est en régres­sion, avec le tour­nant qu’a mar­qué la guerre du Viet­nam ; l’accent est mis main­tenant sur la déter­mi­na­tion à influ­encer les événe­ments historiques.

Le mou­ve­ment paci­fiste avant la guerre du Viet­nam avait deux ori­en­ta­tions prin­ci­pales. Cer­tains voulaient réalis­er le but améri­cain — retenir le com­mu­nisme et pro­téger le sys­tème améri­cain — par des moyens non vio­lents au lieu de moyens vio­lents. La plu­part de ceux-là ne se sont pas pronon­cés très fer­me­ment con­tre la guerre, ce qui a hâté le proces­sus his­torique de dis­crédit qui recou­vre cette sorte de « non-vio­lence ». Je ne pré­tends pas que les paci­fistes aient jamais voulu la guerre ou n’aient pas désiré un monde sans guerre, mais je crois que l’on répug­nait autre­fois à se plonger dans la boue des con­flits poli­tiques et soci­aux de peur de per­dre sa pureté paci­fiste. Je crois qu’il est absol­u­ment néces­saire aujourd’hui, et con­forme à la ten­dance his­torique, d’aller dans l’autre direc­tion, celle de la non-vio­lence essayant de pro­pos­er une nou­velle méth­ode de libéra­tion aux peu­ples opprimés et exploités. Un autre exem­ple : il y a eu une ten­dance trag­ique dans le mou­ve­ment paci­fiste à se sen­tir con­cerné surtout par la vio­lence ouverte, la vio­lence des moyens, et non par la vio­lence du statu quo ou la vio­lence insti­tu­tion­nal­isée. Aujourd’hui on recon­naît que l’on peut mourir aus­si bien de mal­adies guériss­ables dues à la pau­vreté que d’une balle ; que l’on peut être blessé aus­si bien par la vie dans un ghet­to ou par la vie de par­a­site que par un éclat d’obus. Ce raison­nement nous con­duit à con­sid­ér­er la non-vio­lence comme une méth­ode de libéra­tion, une alter­na­tive sérieuse aux guer­res de libéra­tion actuelles.

A cet égard, je voudrais raison­ner dialec­tique­ment, au moins dans la mesure où j’en suis capa­ble. La vieille forme de non-résis­tance non vio­lente, l’attention insuff­isante accordée à la vio­lence insti­tu­tion­nal­isée, voilà la thèse. La résis­tance anti-nazie pen­dant la sec­onde guerre mon­di­ale, les guéril­las fidélistes à Cuba, l’héroïque résis­tance viet­nami­enne aujourd’hui, voilà l’antithèse. Ce que je voudrais voir con­sid­ér­er, c’est la pos­si­bil­ité d’une syn­thèse, de quelque chose de neuf, que nous soupçon­nions mais qui n’a pas vrai­ment été dévelop­pé. La guéril­la repose sur l’identification avec la pop­u­la­tion d’un pays en pleine résis­tance, et cette iden­ti­fi­ca­tion n’est pas une chose facile ni ris­i­ble, car elle doit ren­dre compte des aspi­ra­tions à la lib­erté, à la dig­nité, à la jus­tice d’un pays. Voilà un exem­ple de ce qui peut sur­gir de cette syn­thèse. D’autre part, la non-vio­lence procède d’un human­isme pro­fond et uni­versel qui est tout aus­si car­ac­téris­tique, en ce qu’elle a de mieux, de la révo­lu­tion his­torique qui ne se réclame pas de la non-vio­lence ; mais cet human­isme risque d’être trahi et réprimé au cours du con­flit réel. Je crois que nous avons appris que tout ce qui nous fait con­sid­ér­er l’ennemi de classe ou l’ennemi insti­tu­tion­nel comme l’ennemi de l’homme risque de men­er à la cor­rup­tion interne et à une détéri­o­ra­tion pro­gres­sive de l’idéalisme orig­inel et de la méth­ode orig­inelle du mou­ve­ment. J’ai un autre exem­ple à don­ner. Lorsque Isaac Deutsch­er par­lait récem­ment, à Berke­ley, des con­séquences néga­tives du con­flit viet­namien actuel dans le monde com­mu­niste, il sig­nala que, bien que le proces­sus de déstal­in­i­sa­tion n’ait pas été totale­ment nul, il a cepen­dant été arrêté ou même ren­ver­sé. Il cita le fait qu’un des effets indi­rects du pré­ten­du com­bat pour la lib­erté au Viet­nam a été d’encourager l’étouffement de la lib­erté dans le monde com­mu­niste. Je crois que cela vient de la peur et de l’enchaînement de caus­es et d’effets iden­tiques, la vio­lence, la haine et la méfi­ance provo­quant à leur tour vio­lence, haine et méfi­ance, et je me demande s’il n’est pas vrai que les mou­ve­ments révo­lu­tion­naires les plus idéal­istes qui se fondent sur la haine et la vio­lence provo­quent la même con­fu­sion, la même peur, la même hys­térie par­mi leurs adver­saires, de sorte que le même effet cumu­latif se pro­duit et que nous devenons les antag­o­nistes de ceux que nous voulons gag­n­er à notre cause. (Dans l’«Histoire de la révo­lu­tion russe », de Trot­sky, qui n’est pas à coup sûr un livre prô­nant la non-vio­lence, j’ai été frap­pé par la manière dont les révo­lu­tion­naires russ­es gag­naient à leur cause les troupes qui avaient reçu l’ordre de les dis­pers­er ou de leur tir­er dessus. Il sem­ble qu’il se soit passé un phénomène dynamique et créa­teur, phénomène que la plu­part des mou­ve­ments révo­lu­tion­naires stop­pent au moment cru­cial, par manque de courage non vio­lent.) Je crois que nous devons aban­don­ner l’idée que la non-vio­lence peut gag­n­er une guerre sans que le sang soit ver­sé (il y aura des vic­times, il y aura des morts), mais rien ne nous per­met, même si les nôtres sont les plus touchés, de dire : « Voyez, ça ne marche pas, main­tenant nous devons entr­er en guerre ! », car ce raison­nement garan­ti­rait encore plus de mas­sacres, encore plus de morts.

Isaac Deutsch­er : Je dois recon­naître que la joute sur le thème de la non-vio­lence a com­mencé par cho­quer ma ten­dance de vieux marx­iste à refuser cette sorte d’argument. J’étais d’abord agacé en soupçon­nant de vagues général­i­sa­tions idéal­istes, qui ne nous mènent nulle part, ni sur le ter­rain poli­tique ni sur celui de l’analyse ou de la morale. Mais, à mesure que j’écoute vos argu­ments, je me rends compte que cette réserve vise un adver­saire qui n’est pas en face de moi : elle con­cerne la fuite du paci­fisme inté­gral. Et il est bien dif­fi­cile de s’opposer aux principes élevés du paci­fisme inté­gral sans un cer­tain embar­ras moral, parce qu’on voudrait que le paci­fiste inté­gral ait rai­son, lui qui dénie tout rôle posi­tif à la vio­lence dans l’histoire. Et pour­tant on sait qu’il n’a pas rai­son, et que c’est une fuite dan­gereuse. Alors on réag­it, si l’on est marx­iste, avec un cer­tain venin.

Mais vous n’êtes pas ces créa­tures roman­tiques de la non-vio­lence. A mon avis, et j’hésite à utilis­er des mots forts, vous avez pris une posi­tion héroïque envers la guerre du Viet­nam. Lorsque vous avez com­mencé à pro­test­er vous ne pou­viez pas prévoir que vous seriez soutenus par de si larges couch­es de l’opinion publique ; vous avez pris de grands risques pour exprimer non seule­ment votre oppo­si­tion à la vio­lence employée par le pou­voir améri­cain, par son impéri­al­isme, mais aus­si pour défendre dans une cer­taine mesure, morale­ment, la vio­lence à laque­lle les Viet­namiens ont dû recourir pour sauver leur dig­nité, leurs intérêts, leur présent et leur avenir.

On pour­rait dire que votre atti­tude est inco­hérente, que votre façon de prêch­er la non-vio­lence et d’accepter cepen­dant, dans une cer­taine mesure, la vio­lence util­isée par le Viet­cong au Viet­nam et par le FLN en Algérie est con­tra­dic­toire. Mais je crois que c’est une inco­hérence créa­tive, une con­tra­dic­tion créa­tive dans votre posi­tion. Bien que vous par­tiez d’un principe idéal­iste, et à mes yeux quelque peu méta­physique, votre inco­hérence vous ouvre cepen­dant un vaste hori­zon dans les réal­ités de notre époque. Je crois que vous pra­tiquez en quelque sorte la véri­ta­ble aut­o­cri­tique : l’autocritique d’un type de paci­fisme qui ne craint pas de révéler sa pro­pre inco­hérence formelle pour arriv­er à une plus grande cohérence morale et poli­tique dans l’action. Et, dois-je le dire ? dans le débat philosophique où je m’oppose par­tielle­ment à vous, je recon­nais une inco­hérence sim­i­laire, mais plus grande, peut-être plus trag­ique, dans l’histoire de la révo­lu­tion, dans l’histoire du com­mu­nisme et du marxisme.

Le fait est que la doc­trine marx­iste, depuis ses débuts et à tra­vers toutes ses méta­mor­phoses entre 1848 et 1966, implique toute une dialec­tique de la vio­lence et de la non-vio­lence. Marx­istes, nous avons tou­jours prêché la dic­tature du pro­lé­tari­at et la néces­sité de ren­vers­er le cap­i­tal­isme par la force. Nous avons tou­jours essayé de per­suad­er la classe ouvrière de tous les pays à se tenir prête à com­bat­tre, même dans des guer­res, con­tre la classe dom­i­nante et exploiteuse. Nous assom­mions de nos répliques ceux qui doutaient de notre bon droit ou met­taient en ques­tion la néces­sité de notre enseigne­ment. Mais voici la con­tra­dic­tion dialec­tique : somme toute, quelle a été l’idée du marx­isme ? Celle d’une société sans class­es dans laque­lle l’homme ne sera plus dom­iné ni exploité par l’homme, celle d’une société sans Etat. C’est ce que bien des gens con­sid­èrent comme l’élément utopique du marx­isme, l’aspiration à trans­former la société de telle sorte que la vio­lence cesse pour tou­jours d’être le régu­la­teur per­ma­nent et indis­pens­able des rela­tions entre la société et les indi­vidus, entre les indi­vidus eux-mêmes.

En adop­tant la vision d’une société non vio­lente, le marx­isme à mes yeux est allé plus loin et plus au fond que tous les paci­fistes qui ont prêché la non-vio­lence. Pourquoi ? Parce que le marx­isme a mis à nu les racines de la vio­lence dans notre société, tan­dis que les autres ne l’ont pas fait. Le marx­isme s’est mis à déracin­er la vio­lence non seule­ment des pen­sées humaines, non seule­ment des émo­tions humaines, mais des bases pro­fondes de l’existence matérielle des sociétés. Le marx­isme a com­pris que la vio­lence était entretenue par les antag­o­nismes de classe dans la société — c’est là qu’il faut le réé­val­uer en regard des deux mille ans de futile prêche chré­tien pour la non-vio­lence. Je dis futile dans le sens que cela n’a con­duit à aucune con­séquence réelle, à aucune diminu­tion réelle de la vio­lence. Après deux mil­lé­naires de « Aimez-vous les uns les autres », nous sommes dans la sit­u­a­tion suiv­ante : ceux qui vont à l’église jet­tent des bombes ou napalm, et ces autres qui avaient aus­si été élevés dans la tra­di­tion chré­ti­enne, les nazis, ont envoyé dans les cham­bres à gaz six mil­lions de descen­dants des com­pa­tri­otes du Christ. C’est à ça qu’ont con­duit deux mille ans de prêche non vio­lent ! Une des raisons, c’est que les racines de la vio­lence n’ont jamais été attaquées, jamais extir­pées. La société de class­es a sub­sisté, et par con­séquent ces prêch­es, même les plus sincères, même lorsque le prosé­lyte chré­tien y met­tait tout son cœur et son âme, restaient néces­saire­ment futiles, parce qu’ils n’attaquaient la vio­lence qu’en sur­face. Mais la dialec­tique marx­iste a aus­si été prise en défaut, et le marx­isme lui-même, tout au long de son his­toire de pro­fondes et trag­iques con­tra­dic­tions. Com­bi­en le rêve de la non-vio­lence était à la racine même de la révo­lu­tion russe, on le décou­vre en étu­di­ant la posi­tion de Lénine sur la révo­lu­tion, qui est rédigée sous une forme apparem­ment dog­ma­tique, presque comme un texte ecclési­as­tique inter­pré­tant des ver­sets bibliques. Der­rière ces for­mules ecclési­as­tiques, la source vive du rêve d’une société sans Etat jail­lit con­stam­ment. L’insurrection d’octobre a été menée d’une telle façon que, selon même les témoins hos­tiles comme les ambas­sadeurs occi­den­taux qui se trou­vaient alors à Pet­ro­grad, le total des vic­times des deux côtés fut de dix. Ce furent toutes les vic­times de la grande insur­rec­tion d’octobre. Les hommes qui dirigèrent cette insur­rec­tion : Lénine, Trot­sky, les mem­bres du comité révo­lu­tion­naire mil­i­taire, pen­saient aux prob­lèmes de la vio­lence et de la non-vio­lence, et organ­isèrent ce soulève­ment énorme avec un respect pro­fond, bien qu’inexprimé, pour les vies humaines, pour les vies de leurs enne­mis aus­si bien que pour celles de leurs hommes. La révo­lu­tion russe, au nom de laque­lle on a com­mis tant de vio­lence, fut pro­por­tion­nelle­ment l’acte le plus non vio­lent de toute l’histoire de l’humanité.

Ce ne sont pas les fusils, mais les paroles, les argu­ments, la per­sua­sion qui ont fait la révo­lu­tion. Les paroles étaient très vio­lentes, très dures, mais c’était la vio­lence de l’émotion dans la révolte con­tre la réal­ité de la vio­lence, con­tre la réal­ité d’une guerre mon­di­ale qui était en train de coûter des mil­lions de vies humaines. Aujourd’hui, tous ceux qui entre­prirent de faire la morale aux arti­sans de la révo­lu­tion russe pré­ten­dent, bien sûr, qu’il rég­nait une sit­u­a­tion de bon­té et d’angélisme, une non-vio­lence angélique qui fut boulever­sée par les démons de Dos­toïevsky, par des révo­lu­tion­naires qui s’arrogeaient le droit de dis­pos­er de vies humaines. Près de dix mil­lions de gens ont péri dans les tranchées de la Pre­mière Guerre mon­di­ale, alors que les bolcheviks réal­i­saient cette grande révo­lu­tion qui coû­ta dix victimes.

L’humanisme pro­fond et uni­versel inhérent à ce que vous appelez le défi de la non-vio­lence a été là l’élément essen­tiel du marx­isme. C’est un peu gênant de par­ler d’humanisme, car quel scélérat de l’histoire n’a pas par­lé d’humanisme ? Staline, Hitler, Goebbels n’en ont-ils pas par­lé ? Je suis même plus que choqué lorsque j’entends des gens de gauche et des ex-marx­istes sug­gér­er que le marx­isme doit être com­plété, par l’humanisme. Le marx­isme n’a besoin que d’être fidèle à lui-même.

Mais que se pas­sa-t-il après ce début si promet­teur de la révo­lu­tion russe, après que Lénine eut écrit « l’Etat et la Révo­lu­tion » qui est le grand rêve non vio­lent exprimé en ter­mes marx­istes ? Les autres par­ti­sans de la non-vio­lence, comme Kéren­sky, prô­naient son emploi envers les opprimés tout en réin­tro­duisant la peine de mort con­tre les sol­dats qui refu­saient de se bat­tre au front. Peut-être y a‑t-il dans la nature de ceux qui détes­tent vrai­ment la vio­lence une plus grande gêne à par­ler de non-vio­lence. Je me méfie de ceux qui ont tou­jours des mots nobles à la bouche. J’ai sou­vent plus con­fi­ance en ceux qui par­lent franche­ment et même bru­tale­ment des néces­sités du com­bat poli­tique, aus­si longtemps qu’ils ne se lais­sent pas entraîn­er par leur droi­ture même.

Alors ce fut l’intervention, la guerre civile. La vio­lence devait être util­isée sur une plus large échelle, comme pour les Viet­con­gs aujourd’hui. Ils ne peu­vent rien y faire : ou bien ils sont écrasés, ou bien ils utilisent la vio­lence. Mais même pen­dant la guerre civile, que firent les bolcheviks ? Ils essayèrent à nou­veau de con­serv­er l’équilibre entre les argu­ments, la per­sua­sion et la vio­lence ; équili­bre dans lequel ils attachaient bien plus d’importance à la per­sua­sion et aux argu­ments qu’aux fusils. Sur le plan de l’armement, ils étaient infin­i­ment inférieurs aux Anglais, aux Français et aux Améri­cains (qui envoyèrent troupes et armes aux armées blanch­es en Russie). L’armée rouge, dirigée à cette époque par Trot­sky, leur était bien inférieure. Que se pas­sa-t-il ? Ils firent de l’agitation, ils firent appel à la con­science des sol­dats, des tra­vailleurs sous l’uniforme dans les armées inter­ven­tion­nistes. La marine française, envoyée pour stop­per la révo­lu­tion, se muti­na à Odessa et refusa de com­bat­tre les bolcheviks : autre tri­om­phe de la non-vio­lence dans la guerre civile. La révolte des marins résul­tait de ce que l’on appelait la pro­pa­gande bolchevique, mais cette « sub­ver­sion » empêcha la vio­lence. (En Angleterre, en 1920, pen­dant l’intervention, pen­dant la guerre rus­so-polon­aise — la Pologne était blanche alors —, les dock­ers de Lon­dres firent grève et refusèrent d’envoyer des armes con­tre la Russie, les docks de Lon­dres furent immo­bil­isés : c’était de la non-violence.)

Et puis ce fut la grande tragédie de la révo­lu­tion russe, son isole­ment, com­ment elle suc­com­ba à des formes incroy­ables, inimag­in­ables de destruc­tion, de pau­vreté, de faim et de mal­adie dues aux guer­res d’intervention, à la guerre civile, et surtout à la longue et éprou­vante guerre mon­di­ale qui n’était pas la faute des bolcheviks. Il en résul­ta que libre cours fut lais­sé à la ter­reur en Russie. Les gens per­daient toute mesure ; même les lead­ers perdirent la clarté de leurs pen­sées et de leurs esprits. Ils agis­saient pressés par une sit­u­a­tion envahissante et inhu­maine. Je n’entreprends pas de les juger, de les blâmer ni de les jus­ti­fi­er. Je ne peux que con­stater la pro­fonde tragédie de ce proces­sus his­torique, qui con­duisit à une glo­ri­fi­ca­tion de la violence.

Mais ce qui n’avait été qu’un plein verre de vio­lence se déver­sa par seaux, devint un fleuve de vio­lence. C’est là la tragédie de la révo­lu­tion russe. La dialec­tique de la vio­lence et de la non-vio­lence dans le marx­isme fut si boulever­sée que finale­ment la sig­ni­fi­ca­tion non vio­lente du marx­isme fut sup­primée sous le poids mas­sif et écras­ant du stal­in­isme. Ce n’est pas un hasard si Staline a dénon­cé l’idée marx­iste et lénin­iste du dépérisse­ment de l’Etat : c’est sur cette idée que toute la non-vio­lence marx­iste était fondée. Le régime stal­in­ien ne pou­vait tolér­er, ne pou­vait sup­port­er la sur­vivance de ce rêve ; il devait l’extirper des esprits pour jus­ti­fi­er sa pro­pre vio­lence. Je ne dis pas ça pour rejeter toute la faute sur des indi­vidus. C’était plus que cela. C’était toute la tragédie d’une révo­lu­tion isolée et écrasée par la pau­vreté, inca­pable de rem­plir ses promess­es dans l’isolement et la pau­vreté : une révo­lu­tion prise dans sa sit­u­a­tion trag­ique — tragédie de la con­tra­dic­tion irré­c­on­cil­i­able entre les promess­es et leur réal­i­sa­tion, entre le rêve et la réal­ité, enfon­cée dans l’irrationnel.

Jusqu’à quel point le marx­isme en tant que tel est-il respon­s­able de cela ? Il serait faux d’identifier stal­in­isme et marx­isme, et d’accuser le marx­isme d’être la cause des purges stal­in­i­ennes. D’un autre côté, ce serait man­quer de courage moral dans le marx­isme que de les dis­soci­er formelle­ment et de dire que nous ne sommes pas respon­s­ables du stal­in­isme, que ce n’était pas le but que nous visions. Voyez-vous, dans un sens le marx­isme est aus­si respon­s­able du stal­in­isme que le chris­tian­isme est respon­s­able des Bor­gias. Les Bor­gias ne sont pas le chris­tian­isme, mais ce dernier ne peut pas les effac­er de son his­toire. Nous ne pou­vons pas effac­er le stal­in­isme de notre his­toire, bien que nous ne soyons pas respon­s­ables des crimes stal­in­iens. A un cer­tain degré, nous (et ce dis­ant je pense à la généra­tion de marx­istes à laque­lle je m’identifie morale­ment, je pense à Lénine, Trot­sky, Boukharine, aux pre­miers lead­ers com­mu­nistes en Europe) avons par­ticipé de cette glo­ri­fi­ca­tion de la vio­lence comme moyen d’autodéfense. Rosa Lux­em­bourg l’a bien com­pris, lorsqu’elle a cri­tiqué les pre­miers symp­tômes de cette attitude.

Mais le prob­lème va plus loin et plus pro­fondé­ment que les sim­ples inten­tions humaines. La vio­lence n’a pas ses racines dans les inten­tions humaines. Celles-ci sont, dis­ons, le mécan­isme psy­chologique, le mécan­isme men­tal sur lequel les fac­teurs matériels et les besoins matériels exer­cent leur pres­sion. Le marx­isme n’a jamais pu per­me­t­tre qu’un déchaîne­ment si hor­ri­ble de vio­lence, qu’un tel abus de vio­lence soit com­mis en son nom, et cela pour une sim­ple rai­son : le marx­isme impli­quait que la révo­lu­tion soit tou­jours un change­ment social réal­isé avec vio­lence, mais avec le sou­tien d’une immense majorité du peu­ple. Il sup­po­sait que la révo­lu­tion se ferait dans l’Occident indus­triel grâce à la classe ouvrière gag­née au social­isme, sou­tenant la révo­lu­tion de tout son cœur et ayant pour enne­mis une toute petite minorité, les exploiteurs. Dans cette con­fronta­tion de majorités révo­lu­tion­naires avec les minorités con­tre-révo­lu­tion­naires, la néces­sité d’employer la vio­lence aurait vrai­ment été très lim­itée, et on pou­vait espér­er voir se réalis­er le rêve de la non-violence.

On dit que le marx­isme con­vient aux pays sous-dévelop­pés mais non à l’Occident avancé et indus­triel. Je sou­tiens que le rêve orig­inel du marx­isme, son inspi­ra­tion et son espoir orig­inels con­vi­en­nent tou­jours beau­coup mieux à l’Occident qu’aux pays sous-dévelop­pés, même si dans cer­taines phas­es la révo­lu­tion est l’affaire de très grandes mass­es, comme c’était le cas en Russie en 1917, en Chine en 1949, comme c’est le cas au Viet­nam aujourd’hui. Dans les pays sous-dévelop­pés, il y a un moment après la révo­lu­tion où resur­git le hia­tus entre les promess­es et leur réal­i­sa­tion, ce qui fait accom­plir aux gens ce qu’ils avaient com­mencé à réalis­er, mais de manière très par­tielle, très inadéquate. Alors appa­rais­sent des frus­tra­tions, des dis­so­nances explo­sives, et les autorités postrévo­lu­tion­naires n’ont qu’un désir, c’est d’assurer la révo­lu­tion de la manière dont ils la com­pren­nent et dont ils en sont capa­bles. Plus le pays est sous-dévelop­pé, plus il risque d’advenir après la révo­lu­tion un moment de vérité amère et de violence.

Je pense toute­fois que la vio­lence en Chine est déjà moin­dre qu’en Russie. L’irrationalité de la révo­lu­tion chi­noise, et Dieu sait s’il y en a, est même moin­dre à mon sens que celle qui rég­nait pen­dant la révo­lu­tion russe. Mais c’est que la révo­lu­tion chi­noise ne fut pas le pre­mier pio­nnier, ne fut pas une révo­lu­tion isolée : elle était déjà assistée par la Russie stal­in­i­enne, et cela réduisit son irra­tional­ité. Je crois qu’avec la prop­a­ga­tion de la révo­lu­tion, avec le pro­grès indus­triel et tech­nique des sociétés révo­lu­tion­naires, avec la crois­sance de leur richesse, l’élévation de leur niveau de vie, la sat­is­fac­tion rel­a­tive des mass­es pop­u­laires, l’élément irra­tionnel con­tin­uera de dimin­uer. La reven­di­ca­tion finale du rêve non vio­lent dans le marx­isme se réalis­era avec l’avance du social­isme dans les pays dévelop­pés. C’est ce que je crois, et ce n’est pas un vœu pieux : c’est toute la struc­ture théorique du marx­isme qui m’a con­duit à cette con­clu­sion. Je crois que la déstal­in­i­sa­tion en Russie, pour par­tielle, inadéquate, hyp­ocrite qu’elle fût, a déjà rétabli quelque peu l’équilibre entre les élé­ments con­tra­dic­toires de la révo­lu­tion russe, en réduisant la vio­lence et en lais­sant se dévelop­per l’élément non vio­lent du marxisme.

Vous m’avez demandé ce que j’entendais par l’effet négatif de la guerre du Viet­nam dans le monde com­mu­niste. La guerre du Viet­nam peut être ou non le prélude à de nou­velles con­fronta­tions vio­lentes écla­tant sur notre revers et sub­mergeant le monde une fois de plus. La crainte de l’ultime affron­te­ment encour­age la recrude­s­cence des ten­sions autori­taires et vio­lentes entre la Russie et la Chine. Je vois une analo­gie entre les effets de la guerre du Viet­nam dans la par­tie com­mu­niste du monde et les réper­cus­sions de la guerre de Corée à la fin de l’époque stal­in­i­enne. La crainte, la panique déclenchées par la guerre de Corée se sont traduites en Russie par la démence des dernières années du règne de Staline, par la reprise des chas­s­es aux sor­cières des années 30. Je ne prévois pas, je ne crains pas d’issue aus­si ter­ri­ble que celle-là à l’agression améri­caine au Viet­nam, mais nous avons déjà vu une cer­taine recrude­s­cence de l’autoritarisme.

Le XXI­I­Ie Con­grès du par­ti com­mu­niste en témoigne. Les procès de Daniel et Sini­avsky furent symp­to­ma­tiques du retour par­tiel à l’autoritarisme.

D’un autre côté, je ne pense pas qu’on puisse dire que la guerre de Corée ait eu un seul effet, l’encouragement de la vio­lence intérieure en Union sovié­tique et en Chine. Elle a eu aus­si un effet posi­tif par­al­lèle, dans notre par­tie du monde. Elle a fait naître un sen­ti­ment de sol­i­dar­ité avec un petit pays si impi­toy­able­ment attaqué, si impi­toy­able­ment écrasé par le pays le plus puis­sant, le plus grand, le plus riche du monde. La guerre de Corée a liq­uidé cer­taines illu­sions que le khrouchtchévisme avait propagées, celle de la pos­si­bil­ité d’une tran­si­tion paci­fique du cap­i­tal­isme au social­isme dans des pays comme la France ou l’Italie. Allez donc aujourd’hui vers des ouvri­ers français ou ital­iens et dites-leur qu’ils peu­vent accom­plir ce mir­a­cle, alors que les grandes puis­sances cap­i­tal­istes l’empêchent avec tant d’acharnement dans des petits pays comme la Corée et le Vietnam.

A.-J. Muste : En pre­mier lieu, je vous suis tout à fait dans la plu­part de vos analy­ses, y com­pris dans l’idée que nous n’avons pas à intro­duire, comme une nou­velle révéla­tion, la non-vio­lence dans le marx­isme. Je suis aus­si d’accord avec l’idée que si on par­le de non-vio­lence on doit par­ler de la vio­lence de l’Occident chré­tien. Je dirai qu’il faut être pru­dent avec la ter­mi­nolo­gie qu’on emploie, parce que c’est très tôt que l’Église chré­ti­enne a aban­don­né la non-vio­lence. Il n’y avait qu’une petite secte qui croy­ait que chris­tian­isme et non-vio­lence étaient liés. Je suis tout à fait d’accord que si l’on étudie la vio­lence his­torique­ment et actuelle­ment on la trou­ve dans l’Eglise chré­ti­enne, les civil­i­sa­tions chré­ti­ennes, les pays chré­tiens. C’est pourquoi, pour moi, la pos­si­bil­ité d’une non-vio­lence révo­lu­tion­naire implique fon­da­men­tale­ment la destruc­tion de la vio­lence des nations occi­den­tales : l’impérialisme. C’est ain­si que des gens comme Dave et moi accep­tons la cri­tique des paci­fistes inté­graux qui réprou­vent la vio­lence du Viet­cong. Il faut porter un juge­ment poli­tique sur ces rela­tions, pas sim­ple­ment un juge­ment moral. Et si on le fait en fonc­tion de bases dog­ma­tiques absolues, on s’abstrait de la sit­u­a­tion politique.

Un point qui me pose des prob­lèmes et sur lequel vous êtes passés rapi­de­ment est la tragédie du marx­isme dans ses orgies de ter­reur et de vio­lence en Union sovié­tique et en Europe, sous Staline. Il me sem­ble que les grandes tragédies dont nous devons pren­dre con­science devraient être en fait l’Union sovié­tique et les Etats-Unis. Mais il faut en faire une analyse appro­fondie afin que, par l’exemple du com­mu­nisme en Union sovié­tique, ceux d’entre nous qui sont révo­lu­tion­naires se gar­dent d’aller plus loin dans une évo­lu­tion vio­lente de cette sorte.

En sec­ond lieu, il nous faut nous deman­der si le con­cept de non-vio­lence con­naît d’autres formes de force que les formes mil­i­taires. Cela sig­ni­fie qu’il faut se garder de s’accommoder d’un sys­tème dont l’essence même est la vio­lence, même dans les péri­odes dites de paix. Pour ma part, je me sens frus­tré en essayant de savoir ce qu’il faut enten­dre par le terme de révo­lu­tion non vio­lente. Que feri­ons-nous si nous étions con­crète­ment au Viet­nam ? Y a‑t-il d’autres moyens de com­bat­tre que ceux qu’emploient les Viet­namiens ? Je crois que nous n’avons qu’une idée élé­men­taire de ce que peut être la force non vio­lente dans le com­bat con­tre les armes de l’impérialisme, force réac­tion­naire s’il en est. Je crois qu’il n’y a pas de place pour un com­pro­mis, mais qu’il nous faut présen­ter des sug­ges­tions pour éviter à notre pays ce qui est arrivé à l’Union soviétique.

(A ce moment les paroles de Muste devi­en­nent inaudi­bles.)

Isaac Deutsch­er : Nous devons avoir à l’esprit la longue, la ter­ri­ble route qui nous con­duit à la société sans class­es. Vous par­lez comme si nous nous tenions déjà sur le seuil d’une société sans class­es. Voyez-vous, c’est si facile de faire du slo­gan de la non-vio­lence une échap­pa­toire ; c’est si facile de nég­liger les réal­ités de cette longue route ; or sur cette route nous vivons dans la vio­lence, et si nous sommes social­istes nous emploierons la violence.

Mon point de vue est le suiv­ant. En tant que marx­istes, lorsque nous sommes con­duits à utilis­er la vio­lence, ce que nous devons savoir et dire à ceux que nous appelons à l’action, c’est que la vio­lence est un mal néces­saire. Et il faut met­tre l’accent sur l’adjectif et sur le nom, sur « néces­saire » et sur « mal ». Prêch­er la non-vio­lence à ceux qui ont tou­jours subi la vio­lence peut même être faux.

La leçon que nous devons tir­er de l’histoire sovié­tique est qu’on ne peut jamais trop met­tre en relief le mal qu’est la vio­lence. Mais si j’étais viet­namien et dans les rangs Viêt-cong, j’emploierais aus­si la vio­lence. Je ne sais pas, avec ma forme de pen­sée européenne, si j’essaierais dans ce cas de dire à mes com­pagnons d’armes que nous ne devons pas nous faire une ver­tu de la néces­sité amère et ter­ri­ble de la vio­lence. Mais nous sommes en Occi­dent, où ce genre d’argument a bien plus de chances d’être com­pris et accepté.

Par­mi la gauche occi­den­tale, il nous faut favoris­er une pen­sée qui n’esquive pas les réal­ités qui sont sous nos yeux — et c’est là que le marx­isme se sépare de l’anarchisme et du paci­fisme inté­gral : nous parta­geons avec les anar­chistes le rêve d’une société sans Etat, mais nous nous deman­dons com­ment y arriv­er. Vous acceptez l’idée que la guerre du Viet­nam n’est pas un acci­dent de l’histoire, qu’elle révèle la struc­ture de votre société, le car­ac­tère impéri­al­iste de vos rela­tions avec le monde extérieur. Si vous acceptez cela, cela implique que l’ordre social doit être trans­for­mé. Com­ment sera-t-il trans­for­mé par des moyens non vio­lents ? Ceux qui refusent de céder un pouce de ter­rain au Viet­nam à leurs enne­mis de classe céderont-ils le ter­ri­toire améri­cain au social­isme sans défendre le statu quo ? Vous imag­inez-vous cela ? Je peux le faire, mais à une con­di­tion : qu’une majorité écras­ante d’Américains soit prête à utilis­er la vio­lence pour amen­er le social­isme, alors seule­ment le social­isme pour­ra con­quérir les Etats-Unis sans vio­lence. Le cap­i­tal de la révo­lu­tion était sa supéri­or­ité morale. Voyez-vous, si vous par­venez à cette supré­matie morale de la révo­lu­tion dans la société améri­caine, com­pa­ra­ble à celle de la révo­lu­tion russe, alors vous serez à même de n’utiliser qu’une quan­tité infime de vio­lence. Mais c’est tou­jours la dialec­tique : seule­ment si vous êtes prêts à user de vio­lence sans en faire une vertu.

(Tiré de « Lib­er­a­tion », New-York, July 1969.) 


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